Prologue

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Il regardait le fond de son verre vide, espérant qu’il se remplisse une dernière fois. Une ultime fois avant que la soirée se termine. Combien en avait-il bu ce soir-là ? Beaucoup trop de toutes évidences car même-lui n’en avait pas la moindre idée.

Laissant échapper un rot étouffé, il se leva maladroitement de sa chaise.

- Bon, les gars ! J’ai un bon lit moelleux qui m’attend ! Dit-il en se frottant les mains contre sa vieille chemise à carreaux.

Ses amis le regardèrent en ricanant.

- Tu es sûr qu' tu pourras atteindre ta cabane ? On va te retrouver dans le caniveau John !

- Ferme là Bob ! Moi au moins je s’rai frais pour la coupe, demain.

Par réflexe, il attrapa son verre vide et essaya d’en boire les dernières gouttes qui gisaient au fond. Puis déposant le verre sur le comptoir, il remercia le barman avant de pousser les portes battantes du saloon.

Une légère brise vint lui caresser sa barbe rousse. Pris d’un frisson, il rangea sa chemise dans son pantalon afin de mettresa bedaine à l’abri. Il était normal de voir un brouilard glaçant se lever la nuit autour du lac Shearbrook.

La rue principale, déserte, s’étendait devant lui. John n’habitait pas loin aux abords de la ville, tout près de la scierie en quittant la presqu’ile. Un chemin court mais qui, à cette heure, pouvait être une véritable épreuve.

Il tituba devant les différentes maisons, dont certaines étaient encore allumées. Le vieux Jeremy était encore en train de travailler son cuir près de sa lampe à huile. Surement avait-il une autre commande en retard à finir.

Une petite voix maigrelette résonna au détour d’une ruelle.

- Elle a froid ! fit doucement la voix avant de renifler au milieu de sanglots.

C’était le Pierrot, un garçon des rues, chétif et perturbé qui baragouinaient les mêmes mots tous les jours. Commençant toujours ses phrases par « Elle », les gens avaient très vite pris l’habitude de le surnommé Pierrette. Un peu comme la mascotte de Shearbrook Island, ils s’étaient tous pris d’affection pour le jeune homme, c’est pourquoi ils veillaient à ce qu’il ne manque de rien.

Comme à son habitude, il était couché sous un amas de couverture, contre le mur de Madame Jenkins. C'est là qu'on pouvait ressentir la chaleur du vieux poile qui se trouvait à l'intérieur.

John continua sa route sans lui prêter d’attention. Lui n'avait que faire des problèmes du pierrot, et ce n’est pas dans son état qu’il allait pouvoir aider qui que ce soit.

Il s’arrêta quelques minutes plus tard à coté de la grange à l’entrée de la ville pour reprendre son souffle. La lune s’était découverte, et baignait la ville d’une aura laiteuse.

- He oh, toi là-haut ! dit-il en pointant de manière ridicule la lune. T’es trop lum’neuse… Tu f’rais mieux de t’éteindre si tu veux pas tâter de mon s’coups…

C’est seulement son colt tourné vers le ciel qu’il vit au loin, une jeune femme avec un genre de parapluie. Elle semblait s’approcher dans sa direction, le regard vers le sol. Sa tenue rouge et fleurie ressemblait à une robe en provenance d’Asie.

John se lecha la main, plaqua ses cheveux hirsutes en arrière puis inspira profondément afin de pouvoir marcher le plus droit possible. Curieux et attiré par ses formes enchanteresses, il s’approcha de la belle demoiselle dans un équilibre étonnant. Comme si la vue de cette étoile au milieu de la nuit lui avait tout de suite retiré son ébriété.

- Eh bien Mam’zelle ! Que faites-vous ici à cette heure et toute seule ?

La femme sanglotante se cachait le visage de honte.

- Vous savez que ce n’est pas très prudent de trainer toute seule en pleine nuit ? Vous pourriez tomber sur des gens malintentionnés, dit-il le sourire aux lèvres.

Il avait, en plus d’une forte odeur d’alcool, un air mauvais.

- Excusez-moi… Je peux vous poser une question ? Demanda timidement la jeune femme entre deux sanglots.

Sa voix légère et innocente redoubla l’excitation du bucheron qui se mit à lui tenir l’épaule.

- Qu’y a-t-il ma petite ?

- Est-ce que… vous me trouvez belle ?

Elle cachait encore son visage, mais cela n’empêcha pas John de répondre sur un ton dragueur.

- Je vous trouve magnifique mon enfant, mais pourquoi vous posez vous cette…

- Et même comme ça ? Coupa la jeune femme en découvrant son visage.

Son visage était mutilé à tel point que son sourire remontait jusqu’à ses oreilles et ses yeux étaient aussi clairs que le cristal.

Brusquement le bucheron se mit à reculer de frayeur. Il ne s’attendait à tout sauf à ça. Il voulu s’emparer de son revolver mais celui-ci tomba au sol.

- Est-ce que je dois prendre cela pour un non ? demanda-t-elle avant de plonger sur l’homme.

John hurla de toutes ses forces… Puis on entendit des gémissements, des déglutitions. Puis vint le silence.

Quelques habitants de la ville dont Monsieur et Madame Jenkins sortirent pour voir ce qui se tramait.

- Juste ciel Georges ! C’est…

- Chut Judith ! Regarde !!!

Ils regardèrent au loin, c’est là qu’ils virent une jeune femme, marchant au milieu du lac, se tourner vers eux une lanterne à la main. Le sourire béant, elle les fixait tout en disparaissant dans la brume. Madame Jenkins ne put s’empêcher de pousser un cri d’effroi.

Ravalant sa salive et prenant son courage à deux mains, monsieur Jenkins sortit, la carabine à la main, afin de voir de plus près la scène macabre qui ornait son porche.

- Pour l’amour de Dieu ! Judith… Va chercher Marshal !

John était accroché au mur par un crochet de boucher tel un vulgaire manteau, les bras sectionnés et la bouche scarifié jusqu’aux oreilles.

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