La transgression

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Meril fut attristée par la petite mine que je montrais en sortant de la salle du trône. Elle me prit dans ses bras sans trop savoir de quoi avait pu parler le Roi. Voyant que Daekar ne m'avait pas suivi à la sortie, je demandais à Meril si elle acceptait d'attendre sa sortie avec moi.

– Bien sûr Thirra. Je reste avec toi. Écoute ! Je ne sais pas de quoi il en retourne, mais je te connais par cœur. Il ne faut pas que tu te laisses submerger par tes émotions. Cela ne te ressemble pas d'être aussi affligée sans même te battre.

Je réfléchissais aux paroles de mon amie. Il était vrai que même si c'était le Roi en personne qui m'avait donné l'ordre de ne pas interférer dans les affaires de mon père et de rester au palais, je n'aillais pas non plus tout abandonner. Après tout, le Roi avait juste refusé de me confier "toutes" les tâches de mon père "pour l'instant". Et puis, Orel m'avait assuré qu'il avait pris les dispositions nécessaires pour remplacer ma mère dans son rôle le temps de se remettre.

À cette idée, je songeais alors que ma mère ne survivrait jamais à la perte de mon père. Moi aussi, je perdrais une grosse partie de moi si cela arrivait, mais je me battrais toujours pour vivre. Voilà que mes pensées devenaient sombres et incohérentes. Cette journée qui avait si bien commencée, avait pris un tournant que je n'aurais jamais imaginé.

Alors que je me décidais à rejoindre mes appartements, Deakar sorti de la salle du trône. Il semblait surpris que nous l'eussions attendu.

– Que me vaut l'honneur d'être attendu par les plus ravissantes dames que je connaisse ?

– Nous sommes là, car nous ne connaissons pas de plus grand flatteur dans le royaume, lui rétorqu'ai-je. Daekar avait réussi à me rendre le sourire.

– Oh je peux vous assurer qu'il y a bien là dans ce palais bien plus de langues viles et flatteuses que partout ailleurs dans le royaume. Il en va s'en dire que l'honnêteté de ces seigneurs n'est pas proportionnelle à ce talent.

– Dans ce cas, nous allons donc nous remettre à vos oreilles expertes pour nous assurer de la véracité de nos interlocuteurs.

– J'aurais volontiers accepté de vous rendre ce service, mais j'ai bien peur que mes fonctions m'accaparent et je ne serais donc plus d'une grande utilité. Pourquoi pas demander à Orel d'être votre guide ? Il se tourna vers l'intéressé avec un sourire narquois.

Orel sembla se réveiller quand nous nous étions tous tournés vers lui attendant sa réponse.

– Ce serait un honneur mes Dames de vous faire les présentations des principaux sujets résidents du palais et d’apprendre quelques ficelles de filtres d'honnêteté.

– Je vous laisse mes Dames en compagnie d'Orel. Il va vous accompagner à vos appartements et il s'assurera de votre confort et de votre sécurité durant votre séjour.

Il s'inclina pour nous saluer et se dirigea vers la sortie. Avant qu'il n'atteigne la porte, je l'interpellais pour une discussion en privé. Il me fit la promesse de passer me voir dès que possible.

Orel me fit un clin d'œil et m'invita à le suivre d'un geste de la main. Meril ne tenait plus en place. Elle admirait tout autant le palais que les tenues des sujets du Roi. Elle se donna pour vocation de devenir la prochaine styliste à la mode du royaume. Ni moi, ni Orel n'arrivions à la suivre tant ses idées étaient folles. De plus, elle changeait d'avis en permanence.

Le Roi nous avait installés à des appartements voisins. Dans l'aile parallèle à celle de ses Majestées, les invités étaient logés. Les deux ailes étaient séparées de part et d'autre d'immenses couloirs recouverts de miroirs ornés de cadres dorés et de fenêtres donnant sur des balcons. La suite d'Orel était face à la mienne et celle de Meril à côté.

Je comptais me laisser porter par les appels d'un lit douillet le plus rapidement possible quand on toqua à ma porte. Des demoiselles de compagnie et des servantes se ruèrent vers moi. Les demoiselles piaillaient comme des pies en ne citant que les robes à la mode ou encore des potins croustillants. Pendant ce temps, je fus mesuré par une couturière sous tous les angles, pendant que d'autres servantes s'affairaient à installer mes affaires. Ce qui fut bref, j'étais parti avec le minimum et je ne possédais pas, comme Meril, beaucoup de processions. Encore moins de robes. Puis la couturière tapa dans ses mains et les demoiselles de compagnie s'éloignèrent comme une nuée d'abeilles hors de ma chambre. Ce silence me fit le plus grand bien. Je poussais un long soupir. La couturière me souriait et m'invita à me dévêtir. Je pris un bain relaxant, puis je fus habillé, maquillé et coiffée. J'étais épuisée, mais après quelques infusions toniques, je sentis un regain d'énergie.

On me dirigea vers un grand miroir ovale orné de sculptures d'or. Je ne réalisais pas de suite que la belle femme que je distinguais de l'autre côté de la vitre était mon reflet. Ma robe était rouge bordeaux, en velours, très cintré à ma taille et tombant en cascade sous mes hanches. Dessous, j'avais enfilé une robe légère en soie blanche, brodée au niveau du décolleté et des manches. Mes seins semblaient déborder tellement ils étaient révélés.

– Dame Sea. Vous êtes attendu dans la salle de réception afin de dîner avec Ses Altesses. Il est de coutume que vous soyez accompagné lors de ces dîners. Monsieur Orel Carmaenor, s'est assuré de vous accompagner.

– Merci pour votre aide. Qui dois-je remercier pour ma toilette ?

– Vous êtes l'invitée du Roi Dame Sea. Il a insisté pour que vous soyez présenté à la cour au plus vite.

A ses mots, je paniquais. J'avais subitement chaud et mes mains tremblaient. La couturière, qui avait de refusé de me donner son prénom, dû sentir mon malaise, car elle me rassura.

– Pas d’inquiétude Dame Sea. Vous ne ferez que vous asseoir, manger et boire à volonté et répondre à vos hôtes. Vous êtes installés à côté du Seigneur Deakar Nasdol, ainsi que Dame Meril Galadh-dril et Monsieur Orel Carmaenor . Vous ne serez pas seule.

Je pris alors une grande respiration, m'obligeant à un retour au calme puis je me dirigeais vers la salle de réception. Orel m'attendait devant la porte. Il me tendit le bras auquel je m'accrochais. Je fus bien soulagé de sa présence. Il m'indiqua de Meril était déjà attablée et nous attendait avec impatience.

Il était impossible de manquer cette salle. Aussi grande et resplendissante que la salle du trône, elle faisait le lien entre les deux ailes principales du palais.

Comme dans beaucoup de pièces du palais, l'or, les miroirs et les fenêtres recouvraient chaque surface, des murs aux plafonds, formant une œuvre d'art. Au centre de la pièce immense, une table en U trônait. Occupée de chaque côté par les convives. Et bien entendu, au centre de celle-ci se tenait le Roi Tevius Mordron qui discutait avec Deakar à sa gauche. Je me rapprochais de mes hôtes et je pus distinguer la magnifique Reine Lorara Mordron au côté du Roi. Orel et moi nous arrêtâmes devant nos places et nous nous effectuâmes une révérence. Le Roi tourna la tête vers nous et nous présenta à son épouse. Deux places libres, nous séparaient de la reine, assise à notre gauche.

La reine était très avenante et semblait ravie de voir une nouvelle tête. Ayant senti rapidement que je n’étais pas alaise avec les critères de la mode ou autres sujets, elle me demanda ce qu’étaient mes passions et à quoi ressemblait Dal’Sea.

– Pourquoi je ne vous ai jamais vu à la cour Thirra ? Et quel est l’objet de votre visite ? Mon mari m’a seulement dit que cela concernait votre père Kael.

Bien que ce soit la Reine, je ne savais pas si j’avais le droit de lui confier toutes ces informations. Devant mon hésitation, elle se retourna vers son mari et lui chuchota à l’oreille. Je me tournais vers Meril qui m’encourageait à parler à la Reine pour obtenir son soutien. Cette chipie voulait aussi en profiter pour m’écouter révéler mon secret. Après que le Roi répondit à sa femme, il me regarda un instant, le visage grave et hocha la tête. J’y compris un avertissement.

La Reine m’invita à prendre place à côté d’elle pour discuter en toute discrétion. Meril fulminait, elle aurait rêvé d’être à ma place.

  • Vous n’avez pas besoin de tout m’expliquer en détail. Alors que nous vaut votre visite belle demoiselle ? Je rougissais à ce compliment de la Reine.
  • Je suis venue quérir le Roi concernant mon père. Mon père étant absent, étant fille unique, je dois prendre ses responsabilités en son absence.
  • Eh bien j’espère que votre père se porte bien et qu’il nous rejoindra dès que possible. Je comprends en effet, les raisons de votre venue. Mais pourquoi ne vous ai-je pas aperçu tout à l’heure au conseil d’État-major ?
  • Parce que je n’y ai pas été invité.
  • Je ne comprends pas. Votre père participait à chacune de ces assemblées. Il est donc de votre rôle d’y être présente.

Je ne savais pas comment répondre à la Reine. Je jetais un coup d’œil à Meril plus loin qui m’encourageait.

  • Votre Majesté, je ne fais que suivre les ordres du Roi. Il souhaite pour l’instant que je réside au palais, en attendant de savoir quelles responsabilités me confier.
  • Mais comment peut-on savoir si vous êtes apte ou non à assumer des responsabilités si on ne vous laisse pas faire vos preuves ?
    Je ne savais pas quoi répondre à cela. Sa logique était mienne, mais m’était interdite de critiquer ouvertement le Roi.

A ce moment-là, il y eu un brouhaha autour de nous et la Reine souriait à quelque chose derrière moi. Je tournais la tête à ma droite, puis à ma gauche, je ne vis personne. Une voix grave et sensuelle me fit soudainement sursauter.

  • Mère, m’aurais-tu renié pour que je tombe en disgrâce. Tu m’as déjà remplacé ?

Puis, l’homme passa à ma gauche et m’observa avec un petit sourire coquin. Mon cœur fit plusieurs sauts périlleux quand je compris que le Prince plaisantait avec sa mère. Un magnifique homme aux cheveux bruns et tressé sur les tempes, aux yeux bleu saphir, soulignés de longs cils noirs. Une carrure athlétique, assez grande. En tout cas, de ma position, il semblait géant. Je rougissais alors comme une tomate et m’empressait de me redresser afin de rendre sa place au Prince.

  • Qui plus est, par une resplendissante jeune femme.

Il me servit un sourire charmeur, qui devait plaire à toutes ces dames de la cour. Il usait de son charme et de sa position. Mon intuition m’incitait à me méfier de lui. Mais je me tenais devant le Roi et la Reine ainsi que toute la cour. Je ne pouvais pas me permettre de disparaitre simplement.

  • Pardonnez-moi, Votre Altesse, de vous avoir laissé croire à mon impolitesse. Je vous laisse retrouver la place qui est vôtre. Je suis ravie de vous rencontrer et je vous prie d’accepter mes excuses.
  • Je suis nullement froissé et vous êtes entièrement pardonnés. Mère, me présentez-vous cette ravissante personne avant qu’elle ne s’enfuie ?
  • Mais certainement. Je vous présente Dame Thirra Sea, fille du Comte Kael Sea. Elle nous fait le plaisir d’être notre invité pour la première fois ce soir.

Le Prince se retourna vers moi et semblait m’analyser de la tête aux pieds. Il était si sûr de lui et de son jugement qu’il commençait de suite à m’irriter. Totalement imbue de sa personne, il fit semblant de réfléchir, calculant chaque expression de son visage, chaque geste, mots et même ses intonations de voix. Rien n’était naturel chez ce Prince. Mais ce fût sa mère qui répondit à ma place lorsqu’il demanda pour quelle raison je n’étais jamais venu au palais jusque là.

  • Thirra est venu rencontrer votre père pour discuter de son rôle au sein du royaume. En l’absence du Commandant Sea, elle hérite de ses fonctions.
  • J’ai beaucoup d’estime pour votre père. Vous me voyez navré que vous traversiez cette épreuve. Cela fait beaucoup de responsabilités pour une seule personne. D’autant plus pour une jeune Dame. Comment vivez-vous cela ?
  • J’ai certains talents similaires à mon père. Je n’ai ni son âge ni son expérience, mais c’est un honneur de servir le royaume. Quant à l’âge, il ne me semble guère que votre âge diffère beaucoup du mien, Votre Altesse. Et pourtant, vos responsabilités sont bien plus effrayantes. Le prince ria à ma remarque.
  • Je ne doute pas un instant, vu la teneur et la précision de vos propos quand vous me dites que vous ressemblez à votre père. Il faut beaucoup de force de caractère pour être un guerrier et une grande intelligence pour diriger une armée. Il prit un instant de réflexion et me demanda.
  • Jouez-vous au Mathé ?
  • Oui, j’y joue parfois avec mon père.
  • Fort bien. Si c’est votre père qui vous l’a enseigné, vous seriez peut-être un adversaire à la hauteur. Venez dans mon salon demain, après le petit déjeuner.

Je fis une révérence et m’apprêtait à rejoindre ma place quand il m’arrêta.

  • Restez, je vous prie. Mère, je ne suis malheureusement pas venue profiter de votre délicieuse présence et de ce succulent repas. Je dois partir chez Raeniel pour sa soirée dont je t’ai parlé. Mais nous pourrions déjeuner ensemble demain midi.
  • Je suis déçue, mais pas surprise mon fils. Ne fais pas attendre ton ami.

Le Prince se retira et la Reine m’invita à me rasseoir à ses côtés. Puis elle me posa plein de questions sur mes compétences (combats, armes, stratégie et diplomatie). Je me sentais mal alaise que la Reine critique devant moi les décisions de son mari, le Roi en personne. J’essayais d’arrondir les angles, de me montrer docile et compréhensive, mais la Reine n’en démordait pas. Le Roi se tourna ensuite vers sa femme, puis moi. Il semblait avoir entendu les dernières brides de notre discussion.

  • En quoi chère épouse vous contestez mes décisions, encore une fois, concernant cette jeune femme je vous prie ?
  • Vous ne savez rien de cette Dame et pourtant vous l’avez jugé sans même réfléchir au bénéfice d’avoir une personne si remarquable à notre service.
  • Je ne vois en effet, rien qu’une jeune femme de son rang, puisse offrir à la couronne.
  • La même chose que ce que son père vous a offert à ses débuts et peut-être plus encore. C’est à vous de le découvrir.

Le Roi fulminait. Sa femme était la seule à pouvoir le contredire et le me retrouvait au beau milieu de leur dispute. Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur et honte de ma vie.

  • Soit, je ne souhaite pas continuer cet échange ridicule alors je vais laisser une chance à cette Dame. Une seule.
  • La Reine sourit à son époux. Puis il se tourna vers moi, le visage grave.
  • Demain, vous vous présenterez devant le conseil de l’État-major. Soyez à l’heure et ne décevez pas mon épouse.

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