Prologue - 3

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Laïla émergea brusquement de son sommeil.

Haletant, elle n'eut l'impression d'avoir fermé les yeux qu'un instant. Laïla avisa l'extérieur : il faisait encore nuit, le sol végétal continuait de briller. La pluie s'était arrêtée, mais les nuages avaient à nouveau complètement recouvert le ciel.

Quelque chose l'avait arraché de l'inconscience. Un frisson d'avertissement parcouru le long de son dos, mais pas provoqué par le froid. Un sixième sens, qu'elle avait développé après des années de chasse et au contact rapproché avec la mort, l'avait secoué avec force.

Cet avertissement : une créature - non humaine - s'approchait.

Laïla avisa sa lance, toujours auprès d'elle. La jeune femme put à peine la placer devant elle, lorsqu'un cri perçant éclata d'en haut et la fit sursauter. Elle dut se mordre durement la lèvre au sang pour retenir une exclamation. Toute la forêt se tut aussitôt, devenue aussi silencieuse qu'elle l'était. Même la lueur du sol s'était atténuée, comme pour refléter l'inquiétude qui la submergeait. Le cœur de Laïla battait fortement dans sa poitrine, au point de lui faire mal, alors que l'attente se prolongeait en minutes.

Sans prévenir, une forme tomba d'au-dessus des arbres, pour s'écraser non loin sur une souche recouverte par la mousse. Les yeux de Laïla s'ouvrirent en grands, terrifiée, alors qu'elle se réfugia plus loin dans la grotte comme un lapin apeuré. Elle s'efforça de ne plus bouger un muscle.

Des ailes blanches - immenses - se déployèrent du dos de l'intrus, les plumes se soulevant légèrement telles des vagues sous de légers mouvements. Comme un humain, ça se redressa sur deux jambes, entièrement vêtu d'habits rudimentaires, et observa longuement les environs à travers un masque décoloré sculpté dans le bois. Derrière deux fentes, l'éclat rouge de son regard aiguisé passa brièvement vers Laïla sans la voir.

Une calme terreur avait envahi la Chasseuse, tandis que son intérieur s'était glacé. Car elle reconnaissait cette créature.

L'un des gardiens de la Forêt, qui chassait les humains osant s'aventurer sur leurs terres.

Un Ange.

Elle n'en avait jamais vu d'aussi près, seulement leurs formes lointaines hauts au-dessus des arbres. C'était un mâle, facilement reconnaissable par la longue griffe alaire vers l'articulation de chaque aile et à sa plus grande taille. Ceux-là étaient bien plus agressifs que les femelles, qui mettaient rapidement à mort les intrus - les attaquant aussi vite qu'une flèche, pour les décapiter ou leur transpercer le cœur. Leurs guerriers préféraient engager le combat avec leur proie, prolongeant la lutte avant une lente mise à mort. Que ce soit par la force physique, ou la dextérité à l'arme, aucun Chasseur n'avait jamais réussi à vaincre un Ange. On parlait d'eux capables de briser la roche à main nue, ou de soulever facilement un être humain dans les airs avant de le lâcher.

Quelques vieux Chasseurs, peu nombreux, racontaient leur rencontre avec ces êtres redoutables, et comment ils les avaient semé en courant le plus vite possible - leurs ennemis n'étaient pas aussi agiles sur terre que dans le ciel - puis se cacher.

Ou par chance - et les regards devenaient alors sombres - une autre proie, souvent un autre humain, attirait leur attention. Et les rescapés devaient entendre leurs hurlements, qui duraient parfois longtemps avant que les voix ne s'éteignent.

D'abord stupéfaite, la peur de Laïla se mua en pur effroi en remarquant l'absence de couleur chez celui-ci. Des cheveux ébouriffés aux ailes, jusqu'à sa queue mouvante et effilée s'étendant au sol, qui battait lentement et langoureusement l'air. Sa peau était d'un pâle maladif, étincelant partout sur sa surface comme plusieurs diamants collés à lui. Les serres mortelles de ses mains, qui se rétractaient vers ses paumes robustes, avaient la teinte de l'ivoire.

Et d'horribles yeux sanglants, remplis de haine... Un grognement sourd, terrible présage, jaillissait de sa gorge. La promesse d'un sort funeste, si jamais il parvenait à trouver l'étrangère qui avait osé pénétrer son territoire.

La Mort Blanche.

Le Croque-Mitaine des Chasseurs.

Un mythe.

Un démon.

Pour la première depuis des années, Laïla sentit ses mains trembler, la peur l'envahissant alors qu'elle voyait ses chances de survie baisser drastiquement.

L'avait-il vu ?

Si oui, elle était perdue. Personne ne réchappait à ce monstre, dès lors que celui-ci les avait repérés. Puis il les traquait avec une obsession féroce, jusqu'aux limites de la Lisière. Toujours, le corps de ses victimes - achevées d'un coup net à la poitrine par une lame - était entouré de ses plumes souillées de rouge, baignant dans le sang.

De longues minutes plus tard - une éternité pour la Chasseuse - la Mort Blanche émit un étrange gazouillis bas, la tête penchée sur le côté. Presque interrogateur. Avait-il perdu sa trace ? La terreur de Laïla s'atténua un peu, comprenant que son odeur était probablement devenue trop diffuse à cause de la pluie tombée en abondance.

Si seulement l'Ange partait tout de suite, avant que sa trace ne réapparaisse...

SKRAAA ! SKRAAA ! s'exclama soudain un oiseau sombre qui fila vers l'Ange.

Avec horreur, la Chasseuse vit le rapace voler jusqu'à l'ennemi, qui s'était mis en position d'attaque, accroupis à quatre pattes au sol et levant une longue dague tranchante. Puis il remarqua son congénère, installé sur une branche non loin, qui continuait ses croassements assourdissants de SKRAAA ! et ouvrant frénétiquement le bec jaune de sa tête rose dépourvue de plumes.

Laïla jura en le reconnaissant : «Encore une de ces sales bêtes.»

C'était un jacasseur. Une espèce nécrophage, des charognards opportunistes qui sentaient littéralement la mort. Ces oiseaux de mauvais augures guidaient efficacement les prédateurs jusqu'aux proies acculées et isolées. Leur sale mode de chasse faisait que la Chasseuse méprisait fortement ces animaux, malgré l'aide qu'ils apportaient parfois aux Chasseurs en survolant le ciel dans des cercles concentriques, indiquant un gibier affaibli.

Malheureusement pour elle, ces vautours savaient parfaitement que le principal prédateur de l'Homme était l'Ange, comme celui qui écoutait attentivement les affreux cris. Puis un autre, sortit de nul part, jaillit à son tour du fond de la Forêt et rejoignit son semblable dans ce concert sinistre. Et un troisième, enfin, qui tourna la paire de billes noires malveillantes formant ses yeux vers la zone broussailleuse où Laïla se cachait actuellement.

Son sang gela dans ses veines, alors que la jeune femme guetta la réaction de la Mort Blanche.

Celui-ci n'avait pas bougé, restant là où il s'était posé. Mais la Chasseuse vit son poing entourer avec force son arme, voyant ses articulations blanchirent plus qu'avant. Lentement, son cou pivota sur ses épaules, exerçant une rotation inhumaine. Laïla dut se forcer à le regarder faire, malgré ses entrailles se tordant devant cette scène macabre. Sa tête tourna jusqu'à ce que le masque observa vers sa direction.

Le souffle coupé, la Chasseuse s'efforça de réduire à rien sa présence. Cependant, elle ressentait la force brûlante de son regard. La jeune femme baissa ses yeux au sol, pour éviter qu'un éclat de lumière ne la trahit.

Défends-toi ou meurs, chuchota une voix dans son esprit.

Il y eut un bruit sourd, se jetant au sol.

Qui s'approchait à pas feutré vers Laïla.

Défends-toi ou meurs ! La voix se fit plus insistante.

Elle ne devait surtout pas bouger, lutter contre l'instinct. Inconsciemment, son bras commençait à relever sa lance pour frapper.

Un frémissement plus près - l'Ange fouillait frénétiquement les hautes herbes, ses cris d'impatiences devenant enragés. Un grondement d'orage se fit entendre. Les jacasseurs crièrent et s'envolèrent, paniqués.

J'ai promis que je rentrerais saine et sauve !

DÉFENDS-TOI OU MEURS ! s'éleva un cri primal dans son esprit, brutal.

Laïla s'apprêtait à sortir de sa cachette, prête à défendre férocement sa vie. Si cette chose désirait tant sa mort, la Chasseuse s'assurerait de lui infliger un coup mortel avant de périr. Dans un rictus furieux et haineux, elle visa vers la gorge de la Mort Blanche, qui s'agitait tout près de l'entrée, proche de la débusquer. Laïla pouvait presque sentir la colère qui irradiait de son corps et la frappait. Elle entendit ses grognements rauques, irrité de ne pas encore la trouver.

Son pouce pressa la détente, électrisant la pointe de la lance. Un crépitement léger se fit entendre et le fer bleuit. L'Ange l'entendit aussi et, d'un geste inhumainement rapide, son masque fut braqué vers la cavité dissimulée.

Puis une lumière éclata des cieux, faisant se figer les deux d'entre eux, avant que Laïla ne sortit ou que l'Ange ne se jeta sur elle.

La Mort Blanche releva la tête, au moment où un déluge d'eau se déversa du ciel et s'abattit sur lui. Laïla ne le vit pas correctement, ou si elle parvenait à distinguer une expression quelconque sous ce masque, mais l'espace d'un instant, elle crut voir celle de l'Ange qui siffla vers la tempête soudaine.

Le guerrier avait l'air surpris. Et... apeuré ?

Est-ce qu'elle rêvait ?

Mais Laïla n'eut pas le temps de s'en assurer : le retour de la pluie sembla avoir un effet sur la végétation, qui se mit à luir plus vivement que jamais. Au point que la Chasseuse fut obligée de fermer ses yeux. Sous elle, la mousse chauffa à une température presque intolérable, la brûlant presque et la jeune femme dut se retenir de ne pas s'enfuir. Jamais Laïla n'avait connu un tel phénomène météorologique et géologique. Naturellement, la paniqua monta en elle.

Qu'est-ce qui se passe ? se plaignit-elle, luttant contre son aveuglement pour rouvrir des yeux féroces vers l'Ange s'apprêtant à l'égorger.

Qui n'était plus là.

Seules restaient une poignée de plumes blanches, témoins de son passage lentement effacé par l'eau.

Parvenant à peine à comprendre ce qui venait d'arriver, Laïla sortit imprudemment sa tête hors du trou. Mais l'Ange avait disparu - il n'était nul part. Ses yeux s'écarquillèrent devant l'une des plumes, la plus grande qui était assez proche de sa main pour qu'elle s'en saisisse avec une curiosité morbide.

  • Est... Est-ce qu'il m'a épargné ? murmura-t-elle, avant de secouer la tête avec vigueur.

Non, impossible. La Mort Blanche n'épargnait jamais personne. Pas une seule fois. Pourtant, il la tenait. Seulement à une seconde de la tuer... avant de tout simplement s'enfuir.

Elle resta par terre, à contempler la question, longtemps après que la pluie se fut enfin arrêtée de tomber. Ce n'était que lorsque les couleurs chaudes de l'aube effleurèrent les arbres que Laïla se vêtit pour repartir, attrapant son sac de victuailles. S'efforçant d'éclaircir son esprit confus et embrumé par la fatigue, elle se dirigea vers la Clairière.

  • Je dois raconter ce qui s'est passé à Ba, décida la Chasseuse, laissant ses pas la guider avec confiance vers le chemin de la maison.

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