Folles furieuses 2/2

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Dans la caisse, il y a de la glace à placer sur la brûlure pour la calmer et refroidir les chairs. Il y a aussi de l'eau saine et quelques pommes. Je les invite tous à boire et à manger un peu, sans les quitter des yeux et surveillant nos arrières et les alentours. Vu notre vitesse, une attaque d'infectés est peu probable, mais je fais tout de même attention. De mon poste d'observation, je scrute le groupe. Ils se partagent le peu de nourriture et d'eau en faisant attention de ne pas toucher la bouteille avec leurs lèvres. Une pomme et le fond d'eau sont gardés pour le blessé. Ils savent donc pour la contamination par salive. C'est pour cela qu'ils ont brûlé la plaie sans broncher. Ils prennent soin les uns des autres, vu qu'ils pensent à leur copain inconscient lors du partage et s'entraident pour se tenir le mieux possible à la carrosserie. C'est un point positif pour eux. Les mercenaires et les cupides ont rarement un esprit de groupe protecteur et coopératif.

Ce sont clairement des hommes au vu des tonalités de voix, de la largeur d'épaules, de la silhouette plutôt en H qu'en huit et aussi l'absence totale de bosses au niveau pectoral. À part le mollet brûlé du blessé, rien ne dégage de chaleur importante chez eux. Le blessé est même un peu froid. Vu ce qu'il vient de subir, il faut l'aider à se maintenir à température. Je leur dis de sortir la couverture de survie et de le recouvrir. Puis ordonne que l'un des autres le prenne dans ses bras pour éviter que le blessé n'accentue les dégâts et ne soit pas trimballé dans tous les sens. C'est le tireur qui se charge de cela. Il a abandonné son arme que je suppose être à court de balles. Grossière erreur. Cela, plus ses faibles performances à viser, m'indiquent son statut de novice et donc de faible menace.

Mélia fonce comme un bolide. Tout en scrutant la nuit, je discute avec les passagers dans le but d'estimer leur potentiel. Enfin, j'aboie mes questions et ils répondent poliment. Ils ont des réponses cohérentes. Ils ne semblent pas agressifs. Ils sont en train de me remercier, y compris le blessé qui a repris conscience. Il doit être résistant vu sa récupération rapide. L'eau et la pomme lui font pousser un soupir de soulagement. Leurs voix sont fatiguées et un peu inquiètes. Ils n'ont pas le langage de militaires. Certains ont un vocabulaire élaboré. D'autres plus simple.

C'est un groupe qui semble fait d'individus disparates à l'oreille. Eux aussi tentent d'évaluer ma dangerosité. Ils sont encore tendus et sous adrénaline bien que le danger s'éloigne de plus en plus. Je dois reconnaître que je ne donne guère l'impression d'être saine d'esprit. J'ai aussi un fusil d'assaut en main et je viens de canarder au moins deux cents créatures en hurlant de joie comme une folle. Je perçois leur peur et cela me réjouit. S'ils ont peur, c'est qu'ils ne sont pas aussi dangereux que moi.

Il y a clairement deux leaders. Le tireur et un homme plus petit et mince. Tous les deux ont un langage soutenu et un riche vocabulaire. Ils m'ont l'air très bien éduqués. Le ton de leur voix et le langage corporel que je distingue semble être celui de la sincérité. Prudents mais sincères. Le blessé et celui qui a une arme sont clairement proches quand je vois comment ils se parlent et se comprennent. Le blessé venait de s'entailler sur une planche en sautant d'un obstacle lors de la fuite. Ce n'est pas une morsure et le délai des vingt minutes n’était pas atteint. Il y a peu de chances qu'il soit contaminé. Ils ont pourtant cramé son mollet sans poser de questions.

Ils étaient un groupe d'une cinquantaine au début de la guerre. Ils viennent de trois cents kilomètres au Nord, et cherchent à rejoindre un abri sûr ou la mer. Les créatures ont réduit leur nombre peu à peu. Ils confirment être tous des hommes d'une vingtaine à une cinquantaine d'années. Ils viennent d'arriver depuis six jours dans Georgia, survivant grâce à la nourriture mise en sécurité dans les congélateurs et aux quelques clés mises en évidence. Les anciens habitants de la ville ont dû suivre les conseils de Richard. Il y a donc espoir de trouver encore des ressources en nettoyant la ville.

Ils sont inquiets puisque n'ayant encore pas trouvé de zone moins dangereuse. Ils ont traversé beaucoup de grosses villes ressemblantes à Georgia. La campagne est quasi nulle au Nord. Le nombre de cachettes et de nourriture importantes. Je dois vraiment couper cette ville du reste du Nord si je veux l'assainir. Ils ignorent que nous dirigeons vers un lieu presque propre. Je ne leur réponds pas quand ils me questionnent sur notre destination. Ils me racontent brièvement leur périple. Ils ont rencontré quelques humains belliqueux et cupides, mais ont su les éviter. Le principal danger pour eux est l'omniprésence de créatures, dans le moindre recoin.

Georgia est le premier lieu où ils ont trouvé des signes de résistance et d'adaptation, tant par les refuges construits que par la sécurisation de la nourriture. Le premier où ils ont trouvé un abri qui leur a permis de dormir un peu la nuit sans avoir besoin de faire tous le guet. Afin de se déplacer, ils ont organisé leurs journées différemment. Ils bougent en matinée aux premières lueurs du jour, trouvent un abri sécurisé pour dormir l'après-midi puis veillent la nuit pour être prêts à se défendre. Le rythme est dur, surtout que la nourriture manque cruellement. Cette ville leur a permis de manger et de dormir un peu plus sans non plus les requinquer.

Ils commençaient à reprendre des forces quand un humanoïde a défoncé leur abri en utilisant une voiture bélier. Ils avaient croisé l'homme trois jours auparavant en train de voler dans une bijouterie. J'apprends que le véhicule attaquant est bleu et correspond à celui où j'ai mis des provisions cet après-midi. L'infecté est récent et encore capable de raisonner. Heureusement, le tireur me confirme lui avoir collé une balle dans la tête. La porte étant démolie, ils ont dû chercher en urgence un nouvel abri, se faisant courser par les infectés ayant perçu l'odeur du sang et le bruit de l'attaque. Il faudra que j'aille vérifier la mort de celui capable de lire.

Cela sera plus tard. Je note les informations dans un coin de ma tête. Je sais que ma jumelle doit entendre aussi par la lucarne à peine ouverte. La cabine n'est pas parfaitement insonorisée et les gars parlent fort pour couvrir le bruit du moteur et le vent dû à la vitesse. Ils se livrent à demi-mots, essayant d'en découvrir plus sur nous. Mélia ne pouvant parler, et moi étant une experte en mensonges, j'invente un bastion de militaires lourdement armés qui ont besoin de main d'œuvre docile. Je sais comment exagérer les choses et les déformer pour que cela reste crédible et surtout effrayant.

Ils baissent tous les épaules, déçus de tomber sur des esclavagistes, pourtant, leurs voix trahissent un peu de calme de se savoir bientôt à l'abri des créatures et de peut-être pouvoir dormir et manger un peu. Ils promettent de nous obéir si nous les aidons à survivre. Un des mecs se dit plombier et se propose pour réparer ou effectuer des travaux. Le leader le plus petit se dit instruit et capable d'aider pour de nombreuses choses. Le tireur reste assez silencieux et écoute. Il est clairement le plus dangereux de la bande. Donc, je l'interroge directement ainsi que le blessé. Ses réponses courtes et prudentes me confirment que je devrais le surveiller de près. Il agit en protecteur. Il fera ce qu'il estime le mieux pour le groupe. Bref, il ne se soumettra pas s'il perçoit un danger. Logique, mais à surveiller.

Soudain, un groupe musical que j'aime et parfaitement de circonstance passe dans la cabine conducteur. Les Cranberries. Je tape sur le toit pour que Mélia remonte le son de la musique. Elle comprend aussitôt. Nous avons le même genre d'idées débiles à force d'être ensemble 24h/24. Je tape en rythme du pied en improvisant une chorégraphie, hurlant avec la chanteuse et Mélia, tout en scrutant la nuit avec mon fusil. J'invite nos passagers à utiliser leurs cordes vocales, mais ils déclinent tous, voulant préserver leurs forces. Malgré mon boucan d'enfer, j'entends les chuchotis des hommes.

Ils parlent en pensant que je n'entends rien. Ma santé mentale et leur sécurité sont au centre des discussions. Je comprends tout à fait leurs raisonnements. Je me méfierais moi-même de ma personne dans de telles circonstances. L'homme armé a deviné avoir affaire à deux filles ou deux adolescents au vu des cheveux longs de Mélia, de nos épaules fines, de notre taille plus petite et surtout de ma voix plus aigüe. Il doute de mon discours. Il est le seul à ne pas me croire sur parole, ce qui prouve qu'il est intelligent, observateur et surtout potentiellement dangereux.

J'ai confirmation que l'arme est vide et sans munitions. Il réfléchit aux possibilités de fuite ou de défense avant que nous ne les amenions à notre bastion. Je rigole quand la possibilité de nous attaquer est envisagée. Elle est vite abandonnée en raison de mon fusil d'assaut pointé vers eux. En plus, ils ne m'ont pas l'air très entraînés, ni bien nourris. J'aurais vite fait d'en maîtriser quelques-uns et de pointer l'arme de ma poche arrière sur la tête de l'un d'eux, de préférence le leader anciennement armé.

Le blessé prend la parole et incite les autres à nous obéir. Il me plaît celui-là. J'espère qu'il ne sera pas infecté. Je n'ai pas envie de lui coller une balle entre les deux yeux. En plus, je ne sais pas pourquoi sa voix douce me rappelle une époque heureuse. Rien n'obligeait les deux filles à les recueillir en prenant des risques ni à leur indiquer comment désinfecter la plaie. Il se fiche d'être l'esclave d'une faction de militaires si ceux-ci sont capables de fournir à deux nanas de quoi fabriquer des pièges et survivre dans une ville bourrée de créatures. Si les filles ne fuient pas avec le véhicule, c'est qu'elles sont bien traitées et en sécurité là-bas.

Son discours est juste et empreint de bienveillance tout en restant prudent. Il me fait penser à Mélia. Doux mais ferme et surtout avec une grande réflexion. Maintenant qu'il s'est réchauffé et est réveillé, il présente une très légère fièvre cohérente avec la blessure. Il ne se plaint même pas alors que ça doit être très douloureux. Les autres l'écoutent, y compris celui qui a une arme. D'ailleurs, c'est assez étrange. Ils s'écoutent tous. Deux dirigent clairement, mais l'avis de chacun semble pris en compte. Ce ne sont pas des militaires à coup sûr. La hiérarchie semble inexistante. La voix du blessé me berce un peu et calme ma danse frénétique.

Je rêvasse dans ma bulle tandis que la musique diminue. Je continue de surveiller les alentours et d'écouter les gars parler, mais je me perds dans mes pensées, un brin nostalgique. Mélia sort de la route goudronnée et descend dans une rivière. Elle roule dedans pour la remonter légèrement. Les gars sont éclaboussés d'eau, cependant, ils ne posent pas de question. Ils nous font confiance. Je sais qu'elle nettoie la carrosserie et tente de déloger les rats qui pourraient s'être placés dessous. Rien de chaud n'apparaît dans le lit de la rivière.

Nous arrivons enfin au sas de sécurité de Town. Ils sont surpris de la musique et des éclairages. Le leader le plus petit comprend très vite les raisons de la présence des spots et des haut-parleurs comme repoussoirs à créatures. Je les entends discuter sur l'ingéniosité de ce bricolage. J'ordonne à l'un des mecs de sauter à terre et d'ouvrir le verrou de la première porte pour que la voiture rentre puis de refermer derrière nous. Le type à terre reçoit une torche pour inspecter le dessous de la carrosserie. Il se couche avec agilité. Très vite, il déclare que tout a l'air net et sans danger. Je lui fais alors ouvrir la seconde porte, puis la refermer et enfin pareil, avec la troisième et dernière porte. Il remonte à l'arrière.

Nous traversons Town à cent kilomètres heures. Nous avons baissé le son, je continue de chantonner. Mélia stoppe. Avant d'aller au mas, et malgré le blessé, nous devons évaluer nos passagers. Nous les avons secourus en prenant un énorme risque. On va arrêter là les conneries. Nous sommes sur un grand parking d'une petite zone artisanale et commerciale sous un projecteur puissant. Les alentours sont vides. Nous voyons sans obstacle sur un périmètre de cinq cents mètres.

Je leur ordonne de tous descendre et de se placer sous les lampes en tenant mon fusil fermement. Ils obéissent. Ils reprennent peur. Le plus petit leader tente de discuter avec moi pour comprendre nos intentions. Je suis claire et logique, ce qui semble le rassurer. Je dois contrôler personnellement le dessous du véhicule dans le garage à proximité équipé d'un pont. Je dois vérifier qu'ils n'ont pas d'armes ou de choses dangereuses dissimulées. Et surtout, je dois évaluer la gravité de la blessure et établir son potentiel de contamination. J’ai donc besoin de lumière forte pour cela. Nous les conduirons après en lieu sûr pour la nuit.

Ils se tranquillisent un peu en comprenant la logique derrière mes ordres. Il n'y a rien contre eux. J'agis de manière à vérifier les risques et pouvoir décider en toute connaissance. S'ils obéissent et satisfont mes demandes, je donne ma parole pour des heures de sommeil très prochainement. Ils n'ont pas de raison de douter de moi. Je viens de les sauver d'une mort imminente et ne montre une hostilité que tout à fait légitime en ces temps de guerre et de danger.

Tandis qu'ils descendent et aident le blessé à se mouvoir, je réponds à leurs questions et confirme que les lumières et le son sont des éléments dissuasifs et répulsifs. Tant qu'il s'agit de questions pour se protéger des affreux, je n'ai rien à cacher. Je les rassure sur notre lieu de stop. La ville est presque saine, au contraire de Georgia. Aussi, on peut s'arrêter ici sans trop de danger. Après un regard à 360, je quitte mes lunettes. Je regarde vers le blessé et ses infirmiers, surtout le type armé qui a récupéré discrétos son arme pourtant vide. Et là...

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