Dies Irae

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Ne pas bouger. Regarder l’ombre qui goutte à goutte s’étale sur les vitres, regarder, au-delà, la mer immobile dans la tiédeur humide du soir. Ne pas bouger. Ne pas faire de bruit. Simplement rester debout, à regarder, à écouter la nuit qui approche.

Bruits d’ongles sur les vitres. Il pleut. L’ombre et l’eau ruissellent ensemble, lentement, et lentement se mélangent. Fracas de foudre qui explose. Les gouttes tambourinent avec plus d’insistance. Le vent se lève, encore faible — prélude à la tempête.


Pas de lumière dans la maison, l’étrange dôme de verre et d’acier posé au sommet d’une dune. L’homme qui l’occupe, seul, n’en a nul besoin. Pas de lumière, pas de bruit sinon celui de l’eau qui ruisselle. L’homme attend.


Un éclair vers le sud. Ne pas bouger. C’est presque nuit noire.

Étrange, on n’entend même pas les vagues se briser. Pas encore. Ça viendra.

Le murmure de la pluie. C’était si bon autrefois. Quand donc ?


Il ne sait plus. D’ailleurs il s’en moque. Il préfère oublier, pour échapper à la morsure cruelle du souvenir. Mais il ne peut oublier, il fait semblant — et la morsure n’en est que bien plus douloureuse.


Aller s’asseoir. Le fauteuil est face à la mer, on peut toujours regarder si rien ne vient, et ce serait idiot de rester indéfiniment debout.

Le vent se renforce. La pluie redouble. Près de la plage la mer est légèrement phosphorescente, lumière pâle qui danse.

De plus en plus d’éclairs. Désormais on peut entendre les vagues se rompre dans un fracas confus. En se brisant, elles jettent une lueur verte sinistre.

Finir le verre de rhum, l’ultime. Fermer les yeux. Écouter la pluie, le vent, la mer. Dormir.

Non, pas encore.


Il en aurait pourtant bien besoin, lui qui veille depuis trois jours, depuis que le vagabond défiguré qui rôdait autour de sa maison a disparu. Il a peur. Il se demande ce qui lui est arrivé. Il imaginait que ce vagabond lui porterait chance — allez donc savoir pourquoi. Mais maintenant qu’il n’est plus là…


Il faut tenir encore un peu. Jusqu’à l’aube. Ce n’est pas si loin. Si besoin est il reste du café. Et une bouteille de whisky pour soutenir le moral.

Tenir. Le café est fort, le whisky est bon.

Il pleut comme jamais il n’a plu, le vent se déchaîne. La mer brille.

Une vitre vole en éclats. Puis une autre. Du verre partout. Les mains et le visage en sang. Peu importe : la bouteille est intacte.

Le grondement des vagues et le tonnerre confondus. Goût bizarre dans la bouche. C’est le sang. Les vitres se brisent l’une après l’autre. Le vent tourbillonne, arrache tout ce qui peut l’être.

Le whisky est encore meilleur avec du sang. Bien meilleur.


Il est ivre, mais pas encore assez à son goût. Boire encore. Il a la nausée, mais il continue, incapable de s’arrêter.


À qui est ce rire ? À moi ?

Qui, moi ? Je n’existe plus depuis longtemps, je suis mort… alors ce rire ce n’est pas moi. C’est impossible. Ces mains, ce sang non plus.

Impossible.

Se lever. Se rasseoir. Les blessures font mal, mais pas trop. La douleur ce n’est rien, quand on est mort. Rien du tout.

Le verre craque sous les pieds. Le vent hurle et dévaste. Le monde explose, encore. La pluie fouette le visage.

Des anges de feu se battent au milieu des vagues. Leurs cris sont étourdissants.

D’autres anges, des anges sombres, dansent autour de la maison. Et des anges blancs, à l’autre bout de la plage, viennent par ici. Qui n’ont pas d’ailes. Ni de visages. Est-ce que ce sont vraiment des anges ?


Il ne répond pas, car il ne trouve pas de réponse. À moins qu’il ne veuille pas en trouver. Avec l’ivresse et la fatigue, sa peur s’est transmuée en terreur, qu’il combat en buvant encore plus.


Ils avancent. Pas de visages, pas de regards. Les autres ont des yeux qui flamboient. Ou bien… ceux-ci porteraient-ils des armures ? Il y a si peu de lumière…

La pluie cingle. Le verre craque. La clameur des anges. Le sang.

Il pleut. Encore. Toujours. Pluie aux gouttes énormes.

Ils approchent. Cligner des yeux. Ils sont cinq, en armures immaculées. Viendraient-ils me chercher ?


Il boit deux gorgées. La bouteille est vide. Il la laisse tomber, se lève. Quelques pas en leur direction, et il s’arrête. La terreur s’est faite panique.


Non. Pas eux.


Derrière les vitres des casques, il lui semble discerner des visages. Ce sont cinq hommes qui se tiennent auprès de ce qui fut un orgueilleux dôme de verre et dont ne demeure plus que l’armature métallique. C’est une chasse dérisoire et vaine qui s’achève, l’apothéose d’un jugement absurde.

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