1 - Via {imaginaire}=2
Il y avait la Via. Quand on la suivait, longtemps, car l’enfer se mérite au temps que l’on y consacre, on tombait sur l’espace. « L’espace ». Il n’existait pas d’autre mot pour définir cette étendue sans fin : ce n’était pas le néant, il y avait là des gens, des personnes d’os et de chair, et d’idées pas claires. Il y avait aussi des bêtes, et pas qu’humaines, et pas que monstrueuses, mais des animaux non finis, comme en attente d’une décision qui ne serait jamais prise. Et puis, avec la faune, s’étalait la flore. Belle, odorante, accueillante. Méchante. La flore n’était pas plus nette dans ses contours que les autres habitants de cet open space. Restait le minéral. Lui était bien ce qu’il paraissait être : dur, froid ou brûlant, sec. Trompeur. Et j’allais oublier les deux éléments principaux de l’histoire : l’air et l’eau. Eux étaient l’enfer de l’enfer. Immobiles ou vadrouilleurs, ils se chargeaient de crocs, d’épines, de virus, de tout ce qui était en mesure d’attaquer, lacérer, pourrir ce qui ressemblait de près ou de loin à du réel. Voilà où menait la Via. Et je ne connais personne qui, un jour ou l’autre, ne se mette à emprunter cette voie maudite.
La Via, vous ne savez jamais quand vous la prenez, vous ne savez l’avoir suivie que le terme atteint. Nul ne sait où commence la Via, ni où elle passe, on ne sait pas exactement où elle se termine, on sait juste qu’elle débouche quelque part. À l’origine, elle n’était pas, l’espace était juste un coin oublié de Dieu, si l’on peut appeler « coin » une partie de terre ronde. Seul le temps y circulait sans but, apportant parfois une graine d’ailleurs. Ni démon ni dieu n’y avait déposé son empreinte, c’était comme si l’endroit n’existait pas, ou si peu qu’on ne le voyait pas. Puis il y eut la Horde. Selon la légende, la Horde aux 52 trolls, refoulée des cabarets les plus malfamés, s’était retrouvée dans l’obligation de partir à la recherche de territoires vierges. Elle avait tracé une voie, qu’on avait appelée « Via », périphrase évitant de nommer ce qui ressemblait à une route menant à l’enfer, lieu d’où nul ne revenait.
Vraiment, était-on piégé pour l’éternité dans l’espace où débouchait la Via ? Certains s’en échappèrent, rares, et leurs récits alimentent encore les légendes qui courent à ce sujet. Depuis, on affirme tant de choses sur l’espace… Tout d’abord qu’il ne faut pas de majuscule à espace, car on n’en met ni à terre, ni à air, ni à eau. Que l’espace est un élément comme un autre. Pour la Via, c’est différent : plus qu’une route, c’est un accès, une porte ; et, de tout temps, on a nommé les portes, comme l’on nommerait un gardien. Certains affirment mordicus que l’espace est l’enfer ; d’autres soutiennent le contraire, que l’espace est l’espoir, avant tout. Devrait-on en conclure que l’espoir est synonyme d’enfer ?
Et puis, il y a toutes ces histoires qu’on raconte…
Septembre 2018
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