Dans la rue, Bouldepoil et Plumdur jamais l’un sans l’autre. Qui voyait l’un, l’autre à son côté. Devant l’un, cachait l’autre telle une seule entité. Même corpulence, même dandinement, même appétit. Sans un liard en poche.

Tin, bordel, on dirait deux ours !

Nawak. D’ailleurs on les surnommait « les deux orphelines » cause qu’y avait pas de raison qu’ils pleurent pas. Et ils faisaient pas le poids, comme on le verra par la suite. Donc les deux mômes s’approchèrent cahin-caha du pieu. Ah, faut que j’expliquasse…

Dans le lointain pays de Bousenmard, tout se mange, tout se dit, tout se joue, surtout aux dépens des plus faiblards. Bousenmard, c’est le fief des gros bras, des grosses bouffes et des ailes d’ange, comme qui dirait. Et la cheffe, c’est Véhuit, la célèbre dévoreuse d’artichauts chauds à peine cuits. Et comme à Bousenmard on aime rigoler et qu’on ne sait plus trop quoi inventer, Véhuit organise…

Organise ? Véhuit ? Non mais tu rêves ?! Véhuit ronfle au démarrage, carbure dans les tours, mais jamais n’a été capable d’organiser quoi que ce soit !

C’est pas faux, c’est Secondecannembois qui fait tout, mais comme le chef c’est la cheffe, c’est son nom d’abord et c’est son nom ensuite parce que plus facile à prononcer. Et moins long. Sans compter que Véhuit aimerait bien échanger lela Secondecannembois contre un dragon faiseur de miracles. Donc Véhuit fait organiser des jeux par la, ou le, pauvre Secondecannembois (prononcez comme vous voulez, j’suis pas votre conscience, moi, m’dame !), et le, ou la, pauvre a du boulot parce qu’elle exige. Exige ! On voit bien que c’est une… cheffe ! Elle, exige. Elle exige qu’il y ait deux jeux par mois et à chaque fois des inédits. Pour le nom, c’est facile, les jeunes G.O. ont la langue bien rôdée. Pour les animations, on réemploie les restes et ça repart comme en 40. Pour en revenir au sujet, c’était le jour du Tour des LasCars, le tournoi de la mi-avril de ce temps-là. Bouldepoil et Plumdur, crânes de piaf en vadrouille, s’étaient laissé emporter par la foule, vers les manèges à soie et la vie en pause. La fête leur faisait tourner la tête. Ils se retrouvèrent engagés au jeu des jambes en l’air sur le pieu plus vite qu’ils comprirent qu’ils allaient être mal barrés.

On en revient au pieu. Un bout de bois taillé dans un chêne bicentenaire. Diamètre 1 m 76. Hauteur 23 m et des poussières. Brillant comme un sou neuf, nettoyé récuré épluché de son écorce, enduit d’huile de lin du bas jusqu’en haut. En haut… En haut était le mickey, une Boss Hoss de plus de 500 ch. En bas…

Et comment qu’ils l’ont montée là-haut, la Boss Hoss ?

Et j’t’en pose des questions, moi ?! Bousenmard a beau être un pays d’abrutis, ce sont pas eux qu’ont inventé l’hélico !

Ah…

Ben oui, ah… l’hélico, les ailes d’ange, Johnny tu piges ? Faut réfléchir deux secondes, t’es dans d’la fantasy, là, vieux !

J’croyais que dans la fantasy…

Quoi encore ? Qu’y a pas de moteurs ? Et pis alors, comment qu’y font pour imiter la magie, hein, hein ? Tu crois qu’une montagne ça se déplace sur des roulettes sans personne ni un truc qui chauffe pour pousser les roulettes ? Et t’entends pas le moteur parce qu’y a le tonnerre qui gronde ? Allez, laisse-moi finir, j’suis déjà à plus de 500 mots et La, ou Le, Penne va me jeter. La Boss Hoss, celui qui réussissait à la descendre, sans casse je précise, avait la main de Véhuit. C’était pas gagné, parce que Véhuit elle avait aucunement l’intention de perdre une main à ce jeu. Ça ne l’aurait pas empêchée d’avaler ses artichauds, or tenir son épée de 30 kg d’une seule main serait compliqué. Mais elle était finaude la Véhuit, et elle s’était assurée que le cadeau accuserait largement ses 500 kg, réservoir rempli. D’en bas, pour les deux mômes, il paraissait pas si gros que ça…

L’accordéoniste accorda son instrument et une chanson a mis le temps. Ils se mirent à grimper, les mômes, pas les notes quoique, toutes griffes bien plantées dans le mât, jambes en l’air, l’un poussant l’autre du museau.

Des ours, j’te dis.

Non.

Des ours.

Non. Ou alors des kodiaks, j’aime bien les kodiaks.

C’est c’que j’disais.

Ils arrivèrent au sommet et détachèrent le V8 avec leurs mains arrière. Arrêtez la zik cria la cheffe ! On entendit les cœurs battre padam padam et le suspense tint la trique durant de looongues minutes, comme un ainhoa en extase. Chacun de se demander comment ces deux minus allaient s’y prendre pour décharger l’engin sans que ça finisse mal. Il finit ce qui devait finir : les deux orphelines s’écrasèrent sous le mât qui plia, la Boss Hoss s’extirpa en douceur de ses liens, le mât se redressa libérant Bouldepoil et Plumdur qui furent éjectés et atterrirent plume poil sur le V8 rutilant. Un grand nuage de poussière, un bruit de tonnerre, il y eut comme un tour de magie sans mage, et on ne les revit jamais, ni eux, ni la moto.

Véhuit ne regretta presque rien. Le ciel bleu pouvait bien s’écrouler, elle avait toujours ses deux mains. Elle accusa Secondecannembois d’avoir subtilisé la Boss Hoss et en profita pour l’envoyer se balancer au mât sans plus de procès. Même s’il y eut trois cloches égarées pour dire avoir aperçu deux kodiaks chromés sur deux roues déjantées rapetisser jusqu’à disparaitre à l’horizon dans une brume sale et nauséabonde. 2 kms parcourus en 30 secondes. Impossible qu’elle a dit la cheffe.

Et où est la fille ?

Celle que t’as pas vue ?

Ouaip, t’avais dit qu’il y aurait parité et j’ai compté que les neutres comptaient pas.

T’as bien fait, les neutres comptent pas. La fille, cher moitié de lord, celle qui manque, elle était dans l’accordéoniste !