52 - Vulcanes [Les bagues prométhéennes] {sf}=15
— On n’imagine pas à quel point l’univers est vaste…
Plost tourna la tête vers la voix rauque. Sans-Face, son coéquipier, les deux trompes plongées dans le liquide ambré jusqu’aux premières narines, deux tentacules arcboutés à la table, les deux autres prenant appui sur le dossier du siège, était bien parti pour une déprime d’escale. Ça manquait…
— On n’imagine pas à quel point est encore plus vaste le mal que vous avez semé.
— Oula… ne put s’empêcher d’ironiser Plost. Ça ne va pas fort…
Plus Sans-Face étendait ses acrimonies, toujours au sujet du peuple humain, plus elles englobaient l’humanité dans l’espace et le temps, plus sa déprime était profonde. Parti comme il l’était, la relâche dans le port de Rigel-Excel serait plus longue que prévue.
Plost en prit son parti, haussa les épaules, jeta un œil vers le serveur en lévitation, forma des lèvres le chiffre cinq en hochant la tête afin de valider la commande, puis se carra profondément dans le fauteuil massant. Il y en aurait pour un moment…
— On n’imagine pas à quel point vous avez décimé les comètes…
Ah, celle-ci, il ne l’avait encore jamais entendue. Finalement, le monologue serait peut-être instructif. Sans-Face, non seulement était une mémoire vivante de toutes les connaissances éparpillées, de celles qui n’apparaissaient qu’en filigrane dans les réseaux neuronums, mais il était doté d’un exceptionnel don d’assemblage, réussissant à recoller des morceaux d’informations qui auraient semblé à première vue n’avoir aucun lien les uns avec les autres.
— … et combien elles ont morflé au passage des Deucalioniens.
— Des Deucalioniens ?
Sans-Face avait horreur d’être interrompu, mais la question avait échappé à Plost. Jamais entendu parler de Deucalioniens. Et pourtant, depuis le temps qu’ils sillonnaient l’espace, étant probablement parmi les explorateurs les mieux cotés des Galaxies Convergentes, ils avaient croisé bien des intelligences étrangères. Mais de ces bêtes-là, avec un nom pareil, il s’en serait souvenu.
— Des jeteurs de pierre.
Plost afficha des yeux ahuris. Bâilla pour une demande d’explication complémentaire. Referma son clapet en prenant conscience qu’il allait fâcher son coéquipier. Or un flashiborborithme qui se fâche est un flashiborborithme qui n’a plus ni ami ni retenue. Un monstre de violence et d’indiscernement qu’il faudrait calmer par des rafales de tar, avec au final une immobilisation qui perdurerait des semaines. Passe encore de perdre quelques jours, mais des semaines cloués au port, ça risquait de revenir cher.
— La plupart des descendants d’Hellènes sont restés sur Terre-d’O, mais tous les autres ont essaimé. Certains jusqu’aux inconnues de l’Après-Cercle, dans l’au-delà des contrées explorables. Les Thuyanes ont franchi les portes du Cercle les premiers. Ils n’ont pas fait trop de dégâts puisqu’ils ont filé tout droit sans s’arrêter, mais les loups macédoniens, leurs bagues ont hurlé dans ce qu’on appelle encore le Loup. Reste encore deux nébuleuses planétaires, et surtout une vaste nébuleuse obscure, pour attester des ravages des désintégrations. Vingt-deux nids de comètes calcinés. Des sommes de vies-connaissances irrémédiablement détruites. Une perte irréparable.
Dans son fauteuil aux vagues caressantes, Plost s’était redressé, son sirotage de wiskcock suspendu, insensible aux mouvements ondulatoires qui auraient dû le détendre. Il n’y comprenait goutte. Terre-d’O, c’était la Terre d’origine. OK. Sans-Face parlait bien d’humains. Mais jamais les humains n’avaient accédé à l’Après-Cercle : une frontière invisible repoussait les vaisseaux les plus modernes dans les Galaxies Convergentes ! Il avait aussi parlé de loups, mais qu’est-ce que les loups venaient faire là-dedans ? Plost, le regard soudain vide, enclencha l’accès wiki d’une tape de volonté sur sa zone intime captatrice. Il lança une recherche, d’abord sur « loup macedonien », n’en tira rien qui puisse correspondre, puis, se concentrant, scinda les champs racinaires, loup et macédon. Bingo ! Il eut accès, enfin, à un début d’explication : les Hellènes – comprendre les Grecs –, les Thuyanes – probablement des descendants de Thyia –, les Macédoniens – mais quel rapport avec le loup qui n’était que l’animal sacré de Macédon ? –, tous descendaient de Deucalion, le seul homme ayant survécu, avec sa femme Pyrrha, au déluge de Zeus.
Une oreille tendue vers Sans-Face – qui pour l’instant commandait des bocks supplémentaires –, son autre moitié d’attention tout à ce que présentait directement à son cerveau la réagrégation des données captées, Plost retint brusquement une image. Un animal noir, sorte de canidé aux allures anthropomorphes, lié à Macédon : Anubis, un dieu égyptien. Tout en n’étant pas féru des antiques mythologies, Plost dissociait les Égyptiens des Grecs, deux civilisations différentes, mais peut-être s’étaient-elles cotoyées. Macédon, un cousin d’Anubis ? Et donc un loup anthropomorphe ? Le wiki bascula sur les loups-garous. Des hommes-loups. En quelques secondes, Plost entrevit l’Histoire telle que la percevait Sans-Face : des hommes primitifs sans intérêt, et puis d’autres beaucoup plus évolués appelés dieux, humains cependant, à même de travailler sur le biomorphisme et de traverser l’espace, si avancés technologiquement qu’ils avaient été capables de franchir le Cercle et de bombarder des galaxies. Des galaxies ! C’était dingue. Des galaxies et des systèmes solaires, pas que des planètes. Et même, des planètes… Plost coupa la captation. Il lui fallait un temps d’adaptation pour digérer cette énormité.
— Les comètes, ce sont de gentilles entités, pas méchantes pour un sou. Pourquoi leur faire du mal ? Pourquoi tuer dans l’œuf toutes ces vies qui auraient pu éclore au gré des pérégrinations des chevelures ? Vous êtes quand même foutument cinglés…
Trois jours de pause, estima machinalement Plost. Me faudra bien ça aussi pour m’en remettre…
— Les comètes, elles ne trimballent que des micromolécules, des bébés molécules, qu’elles bercent et enlacent entre elles, comme des tubes à essais remplis d’essaims en mutation destinés aux déclenchements. Au final, elles sèment des déclics. C’est beau un déclic. C’est presque plus joli qu’une étoile.
Plost se mit à chialer, involontairement. Sans-Face ne pouvait pas pleurer, il n’avait pas d’yeux, mais son chagrin se traduisait par l’émission d’ondes empathiques si chargées de tristesse que les humains qui l’entouraient en étaient affectés. Plost renifla. Dressa une barrière mentale déglinguée en se persuadant n’avoir aucune responsabilité dans l’affaire. Il détrempa un mouchoir, jeté aussitôt au garb qui s’était approché, puis se calma, Sans-Face étant reparti dans ses élucubrations.
— Le Loup, le Scorpion, le Centaure, c’est là qu’ils ont le plus saccagé. Le Loup surtout, c’est vrai. Des nids de comètes, des planètes, au hasard. Des vies qui s’accrochaient, dans le Centaure. Deux petites planètes jumelles qui promettaient. Un vide sidéral, qu’ils ont laissé, plein de gaz et de poussières, mort de vies et d’espoirs. Puis eux aussi ont passé le Cercle. On peut encore suivre leur fuite à la trace : une autoroute de déserts qui sinue jusqu’aux frontières.
Sans-Face retourna son bock vide, fit signe au serveur alors que trois bocks pleins se tenaient devant lui. Plost, se remémorant soudain que son coéquipier avait parlé de bagues qui hurlaient, réactiva la captation. « Bague deucalion ». Renvoi sur Prométhée, père de Deucalion. Une seule bague, celle que Vulcain avait forgée à la libération du supplicié. En avait-il forgé d’autres ? Et pour qui ? Et quel pouvoir auraient eu ces autres bagues ? « Pouvoir bague promethee » ne donnait rien.
Plost baignait dans l’inconfortable, une frustration mêlée d’excitation et de crainte. D’une part il avait la nette sensation qu’on le rendait dépositaire d’un secret énorme et, tout en bouillant d’impatience de connaître tous les détails, il tremblait d’appréhension à l’idée d’en découvrir trop. Et d’autre part, il sentait un poids descendre sur lui inexorablement, une ombre indigeste qu’il lui faudrait porter en solitaire jusqu’à la fin de ses jours. Il avait toujours perçu la participation de Sans-Face comme un atout, voire un joker, tant les dispositions du flashiborborithme leur permettaient de coiffer au poteau bien des entreprises plus considérables. Plost se disait qu’il était en train de se prendre ce qu’on pourrait appeler un retour de bâton, sauf qu’il n’avait jamais eu le bâton en mains propres.
— Les Magnésiens n’avaient que deux bagues, grises, toutes deux d’aimant. L’une pire que l’autre, car elle brûlait blanc en aveuglant. Avec la première, celle qui ne brûlait pas, ils arrachaient le cœur des planètes, extrayant le noyau de fer comme on le ferait d’un noyau de cerise. Leurs déchets, ce sont des ceintures d’astéroïdes sans présence de fer. On y trouve encore des fossilisations d’algues stoppées net dans leur grande aventure de l’évolution.
Des bagues qui éventraient des planètes ? Des aimants si puissants qu’ils pouvaient extraire un cœur de globe ? Plost, sous la stupéfaction, eut le réflexe d’enclencher l’enregistrement auto, quite à y gagner un fort mal de crâne si le stockage venait à prendre trop de place en mémoire. Mais quelle arme démesurée pouvait être contenue dans une bague ? Quel humain, l’anneau au doigt, pourrait supporter de telles décharges d’énergie ? Il en vint à s’interroger sur ce que pouvait être un dieu. Un surhumain certainement, un monstre plus vraisemblablement.
— La seconde, celle qui brûlait, était essentiellement répulsive. Elle déformait les astres, son éclat repoussant la lumière dans sa source, jusqu’à gondoler les soleils comme du carton-pâte mal séché. Une vilaine fin. Ils finissaient par s’effondrer. Le but de la manœuvre m’échappe.
— Pas qu’à toi, murmura Plost qui commençait à douter de la véracité de ce qu’il entendait. Il ne doutait pas de Sans-Face – les flashiborborithmes sont incapables de mentir, ils n’en comprennent même pas la notion –, mais il finissait par douter de ses propres sens, de sa perception des sons. Il se rassura avec la certitude que l’enregistrement lui restituerait le récit sans déformations. Il vida cul-sec le wiskcock qu’il réchauffait dans sa main depuis quelques minutes et lança une moue dubitative aux quatre verres pleins qui s’alignaient sur un bras du fauteuil.
— Ils n’ont jamais atteint l’Après-Cercle. Les bagues ont disparu. Eux aussi, comme évaporés. Peut-être que les deux bagues ont été activées en même temps, s’enivrant l’une de l’autre, jusqu’à tout pulvériser autour d’elles, leur maîtres compris. C’est l’hypothèse de loin la plus probable. Ce n’aurait été qu’une fin accélérée, sachant que tout est appelé à disparaître à plus ou moins long terme. Toi, moi, ta race, la mienne. Ainsi dirige la loi de l’univers. La nature s’use, on n’y peut rien. Comme les pierres s’effritent, les montagnes s’érodent, les océans s’assèchent, les soleils s’éteignent.
Plost ne réagit pas. Il sentait qu’un indice d’importance était en train de lui échapper, juste sous son nez, et comme toujours dans ces cas-là, plus il serrait le poing, plus le sable s’esquivait.
Sans-Face retourna son bock et vida derechef le suivant d’un mouvement de trompe mollasse. Sa voix se fit plus traînante.
— Il y eut d’autres flottes, mais seulement deux groupes encore porteurs de bagues. Les Hellènes et les Protogènes.
Deux tentacules approchèrent chacun un bock. L’alcodur de Dschubba, une macération d’extraits de framboises dans de l’alcool à 95°, auquel était ajouté de l’essence de biarthe, lichen indigène et toxique qui refusait de s’adapter en dehors du système de Dshubba, était une boisson prisée des seuls flashiborborithmes. Tout autre ayant tenté d’en absorber plus d’une goutte tombait pour ne plus se relever. On surnommait, à juste titre, la boisson « Le dard du Scorpion ». Chaque trompe plongea son siphon. Les deux bocks se vidèrent de concert. Plost resta de marbre devant une descente si bien orchestrée, une petite voix lui murmurant qu’à partir de six à sept litres absorbés le flashiborborithme serait insensible aux agressions et répondrait aimablement aux questions. Une autre petite voix ajoutant qu’à partir de dix, Sans-Face risquerait d’un moment à l’autre de s’écrouler sur place.
— Les Protogènes ont caboté durant trois quatre siècles entre les étoiles de Persée. Eux, au moins, ne s’en sont pas pris aux nids de comètes, mais ne maîtrisaient aucunement l’usage des bagues en leur possession. Théoriquement, ils avaient le pouvoir de transformer les pierres en hommes, ayant hérité de la chevalière de Deucalion, l’une de ces deux bagues dites « des pierres » ou « des os de grand-mère ». La seconde, celle de Pyrrha, ayant échoué chez les Hellènes. Avec la bague des pierres, les Protogènes avaient peuplé différents ports de créatures assez répugnantes. Des morts-vivants qui passaient de vie à trépas dès qu’ils n’étaient plus sollicités, des imitations d’homme sans âme qui se mettaient à errer sans but hors des dômes de protection. Il fallait sans cesse renouveler le stock. La tâche était usante et ingrate. Les Protogènes avaient désiré des sujets malléables, mais, ne maîtrisant pas le jet de pierre sous couvert de bague, ils n’avaient obtenus que des esclaves lymphatiques, dépourvus certes des gènes de rébellion d’origine prométhéenne, mais dépourvus aussi de l’étincelle qui les auraient encouragé à vivre. Sans compter que la bague de Deucalion ne donnait vie qu’à des êtres de sexe mâle, lesquels ne pouvant se reproduire disparurent dès que les Protogènes quittèrent Persée.
Soudain, Plost saisit enfin l’indice évanescent. Il s’empressa de noter en mémoire « bague » et s’en voulut de ne pas avoir comptabilisé les bocks vidés par son coéquipier. Il lui sembla qu’il devait encore attendre. L’excitation lui fit saisir un verre de wiskcock qu’il porta à ses lèvres… et reposa sans y avoir goûté. Il devait garder les idées claires. La sensation de vivre un moment historique le rendit encore plus attentif.
— Les Hellènes, partis de Terre-d’O juste derrière les Protogènes, explorèrent quant à eux Céphée. Avec la chevalière de Pyrrha, ils peuplèrent leurs ports de femmes et furent satisfaits de leurs services. Les deux autres bagues qu’ils détenaient étaient des accélérateurs. Un accélérateur de croissance, permettant aux organismes de grandir, et un accélérateur de mouvement, utilisé traditionnellement pour donner de la puissance aux fleuves ou aux vents. Ils firent des essais, et sur une planète où se trouvaient des embryons de vie, ils développèrent les végétaux, puis les animaux de toutes sortes, façonnèrent les paysages, installèrent des saisons puis engendrèrent des femmes à partir des pierres. Le résultat était à la hauteur de leur créativité. Si seulement ils s’en étaient contentés !
Un serveur retira quatre bocks vides et revint aussitôt avec quatre pleins. Sans-Face n’avait pas bougé une trompe, les deux baignant voluptueusement dans l’alcodur.
— Les Hellènes virent que c’était bien et se dirent qu’ils pouvaient faire mieux.
Deux bocks furent retournés en claquant sur le bois d’ébène. Sans-Face laissa échapper un soupir en s’emparant des deux bocks suivants.
Plost n’avait aucune idée de ce qui pouvait mettre son coéquipier dans un état pareil. Après tout, même s’il y avait encore par ci par là des guerres, même si l’Après-Cercle était inaccessible, l’univers des Galaxies Convergentes était un bel univers, riche, encore inexploré, et surtout plein de promesses. Chaque jour apportait son lot de nouveautés dans lesquelles l’humain n’avait qu’à piocher pour améliorer ses conditions de vie.
— L’univers avait quatre milliards d’années. Il était parti de rien pour arriver à ce que nous connaissons, à un détail près. À l’époque, l’expansion de l’univers se stabilisait. Les experts hellènes, après de nombreuses mesures, déduisirent que l’univers avait atteint son acmé et qu’il n’en avait plus que pour quatre milliards d’années avant de tout reprendre à zéro. Ils eurent alors l’idée d’agir sur le destin. Avec leurs deux accélérateurs conjugués, ils réussirent à saisir l’essence des composantes spatiales et temporelles et à leur imprimer des vecteurs de croissance et de mouvement, bref de relancer l’expansion. Ils ne mirent pas longtemps à constater que l’univers n’avait plus à redouter sa propre mort, mais ce qui les inquiéta, et ils n’y trouvèrent aucun remède, était que l’expansion s’accélérait. Ils prirent peur des conséquences et contactèrent leurs voisins protogènes. Il n’y eut guère de tergiversations : Persée et Céphée furent abandonnés dare-dare pour l’Après-Cercle.
— Mais, pourquoi si vite ?
— Oh, dès le départ, Persée et Céphée n’étaient que des étapes. Ils ont peut-être eu peur d’eux-mêmes, d’avoir à nouveau la tentation d’employer leurs pouvoirs et de générer une catastrophe encore pire.
— Mais c’étaient des dieux ! Ils auraient pu faire quelque chose.
— Des dieux… Tu sais, ce que vous appelez dieux, ce n’étaient que des hommes. Un peu mieux finis que les autres, mais sans dérives génétiques qui aurait pu les classer dans une race différente. Alors, leur responsabilité… elle était de l’ordre de celle de l’humain lambda.
— Mieux finis… Mais qu’est-ce que je suis, moi ? Un humain de seconde zone ?
— Tu peux le voir comme ça. Ou un humain à qui a été transmise une certaine aspiration à être dieu, sans les facilités à le devenir. Quand on voit ce qu’ont fait les humains de la première génération, c’est peut-être aussi bien comme ça.
Un silence s’installa. Sans-Face sirotait doucement son breuvage. Plost, le front plissé, ruminait ses frustrations, gardant à l’esprit qu’il suffisait de les passer au crible pour en tirer une expérience enrichissante. Le mal avait été fait, les étoiles s’éloignaient les unes des autres, tous les pilotes l’intégraient dans leurs calculs, mais qu’était cette contrainte à l’échelle du destin de l’humanité ? Il restait des aventures à vivre. Autant en profiter. Mémoire « bague ».
— Tu as parlé des bagues comme si tu en connaissais le nombre exact…
— Il y en avait douze qui sont parties avec les envols deucalioniens. Prométhée, quand il a été libéré, a suivi Vulcain dans sa forge. Pour deux raisons. La première parce que Vulcain avait besoin de l’avoir sous la main pour vérifier que la bague forgée serait à son doigt, et la seconde parce que Prométhée étant un amoureux du feu, il n’aurait pas laissé passer l’occasion d’observer le maître forgeron à l’œuvre. D’ailleurs, il a observé et posé des questions. Si bien qu’ayant saisi la technique, il profita du sommeil de Vulcain pour fabriquer d’autres bagues à sa convenance. Lorsque le déluge initié par Zeus envahit la Terre, Prométhée, étant immortel et n’ayant rien à craindre, confia douze bagues à son fils afin de l’aider. Ce sont ces douze bagues « deucalioniennes », qu’on appelle Vulcanes, que ses descendants ont emporté en exode. Toutes ont disparu des Galaxies Convergentes. Certaines y ont été détruites, voire, soi-disant perdues – mais qui perdrait une bague d’une telle valeur ? –, d’autres, bien plus nombreuses se sont évanouies dans l’Après-Cercle avec leurs propriétaires.
— Et Prométhée, qu’est-il devenu ? A-t-il passé le Cercle ?
— Rien ne permet de le supposer. Ni de supposer le contraire.
— Quel pouvoir avait sa bague ?
— Oh, celle forgée par Vulcain n’avait aucun pouvoir. Elle n’était qu’une bague issue d’un morceau de chaîne qui enserrait un chaton renfermant la pierre du Caucase, uniquement pour satisfaire la conscience de Zeus.
— Celle ? Tu sous-entends qu’il n’y en aurait pas qu’une ?
— Oui. Prométhée en a forgé treize.
— Faut t’arracher les mots…
— Il en a forgé treize, mais nulle part n’est fait mention de bague surnuméraire. Cependant sachant que Prométhée avait deux grands amours, le feu et les hommes, comment aurait-il pu résister à la fabrication d’un outil qui comblerait ses aspirations dans le domaine ? Et comment aurait-il pu s’en séparer ? Il est donc tout aussi logique qu’il l’a encore.
— Et ce serait une Vulcane dotée de quel genre de pouvoir ?
— Tu ne devines pas ?
— Je crois qu’après tout ce que je viens d’apprendre, je n’ai pas la tête à chercher.
— Ce serait une bague qui dispense chaleur et bonheur. Et il est probable qu’elle a déjà été employée pour disperser quelques ondes. Vous les hommes, vous avez tendance à rechercher la chaleur et à vous sentir mieux près d’elle, comme près d’un bonheur. Nul ne sait si l’Immortel est dans les Galaxies Convergentes ou s’il reviendra de l’Après-Cercle, mais je sais que les hommes au fond d’eux attendent qu’il revienne.
Le bar se remplissait. La soirée ne faisait que commencer. Il était temps de partir avant que Sans-Face ne boive trop. Et qu’il n’y ait plus jamais de possibilités de poser au clair l’ombre de ses silences. Enregistrement auto stop.
— Allez, viens, on se rentre.
Sans-Face ne fit pas de difficultés. S’extirpant sans regret de son fauteuil, Plost posa encore une question :
— Tu as dit qu’il y avait douze Vulcanes. Deux magnésiennes, trois hellènes. Les loups ?
— Trois macédoniennes.
— Et les Thuyanes ?
— Deux.
Plost sourit.
— C’est bien ce qu’il me semblait…
La porte franchie, toujours un pli malicieux au bord des lèvres, il baissa d’un ton en s’approchant de son coéquipier :
— Quel pouvoir avait donc la deuxième bague des Protogènes ?
— Elle transformait un mélange de terre et de métal en or. La pierre philosophale, en sorte. Les Protogènes ont eu du mal à la maîtriser. Au sortir du système solaire, ils l’ont essayée sur la dernière planète. Le résultat, on le voit encore, c’est le nuage d’Oort. Dans Persée, ils ont réitéré l’exploit, c’est-à-dire les ratés, de moins en moins ratés, jusqu’à ce qu’ils filent avec les Hellènes.
Le sourire de Plost remonta franchement jusqu’aux oreilles. Pour un peu, il aurait dansé sous le grand dôme de Rigel-Excel, sans honte du ridicule, s’il n’avait eu peur d’attirer l’attention. Ils marchèrent quelques minutes sans échanger un mot. Finalement, ça s’annonçait mieux que prévu : ils pourraient partir dans quelques heures. Comme ils ne croisaient plus personne, Plost lança négligemment :
— Bon… C’est pas le tout… Passons aux choses sérieuses. Comment on la retrouve, ta planète toute d’or pur ?
Novembre 2021
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