Chapitre 14
Aux abords de la grande route reliant le royaume intérieur aux citées maritimes, accompagné d’une discrète brise couchante et des tapements réguliers des sabots contre la terre, un convoi aux couleurs royales avançait avec diligence en direction du crépuscule.
La Chasse ouvrait le pas avec ses grandes montures, forgées pour le combat, et ses chariots débordants d’équipements. Elle était suivie de près par l’escorte des Princes, qui chevauchaient tous trois des destriers aux robes éclatantes et aux selles reluisante d’ornements.
Idris tenait fermement les sangles au creux de ses mains, le regard vaquant et perdu sous l’horizon. Geoffroy, quant à lui, peinait encore à maintenir une posture droite. Sa douleur persistante à l’estomac ne nourrissait qu’un peu plus sa haine. Devant lui, Éerild gardait sa tête basse. Bien que le continent se dévoilait à lui après tant d’années, son esprit ne pouvait plus diverger de ses démons.
À la nuit tombée, le convoi arriva à Orlhia, une citée au cœur de la frontière, bordée par le fleuve du splîs séparant Azur de l’Empire Maérique. À l’intérieur de ses multiples couches de rempart sombre, se dévoilait une ville animée encore lors des nouvelles lunes, où les auberges semblaient toujours briller de plein feu et les commerces veillaient sagement à l’attente des foules.
Arrivés dans les remparts de la forteresse qui surplombait le centre-ville, les soldats installèrent sans attendre leur équipement aux quatre coins de la cour. Dans les entrailles froides du château, autour d’une table sur laquelle la carte du royaume était exhibée et éclairée par quelques bougies, les princes et chasseurs étaient réunis.
Gabrielle lança quelques regards discrets à Éerild et ses frères et ne put s’empêcher de sentir un serrement au cœur en voyant les quelques bandages dissimulés sous leur vêtement, l’effacement discret des maquillages cachant leur bleu et la lueur vacillante de ténèbre dans leurs yeux.
Très peu de temps après leur arrivée, le souverain local entra dans la pièce. Vêtu de sa large tunique bleutée, il se courba vers ses interlocuteurs :
– Mes plus respectueuses salutations aux invités d’Orlhia. Il est pour moi un honneur exceptionnel d’être présent lors de vos épreuves initiatiques, mes altesses. Je me présente : Auguste Améryl, Baron de la Lysie intérieur, au service inconditionnel de sa majesté et de la grande Providence. J’ai fait appel aux services exceptionnels de la chasse royale, car mes terres sont victimes depuis peu d’un mal infatigable. Un Griffon attaque nos champs et les voyageurs de la route. Malgré nos battues, et les mercenaires engagées, les résultats n’ont étés que plus de morts à déplorer.
Ikaar se pencha sur la table et répondit :
– Pouvez-vous nous indiquer où sont survenus les attaques et à quels moments ?
Le Baron s’approcha à son tour et s’exécuta :
– Il y a une semaine, dans le village d’Ermarche non loin au sud-est, le monstre s’en est pris au gibier. Deux jours plus tard, un convoi marchand a subit le même sort. Il est dit que la bête se serait envolé en tenant un cheval entier au creux de ses griffes.
– Attendez, s’exclama Joacquim, un cheval entier ? Dites-moi, quel est le nom de l’homme qui as été témoin de cela ? Est-il encore en ville pour l’interroger ? Ce genre d’informations peuvent être primordiales pour déterminer la race de la bête.
– C’est une grande figure de notre citée, il revenait tout juste d’un voyage à Austencia. Il s’appelle André Grild, il a un établissement à son nom au centre de la ville, proche de la place centrale.
– Merci, marmonna l’érudit. Vous pouvez continuer.
– Le lendemain, un groupe de mercenaire est partie à la recherche de son nid et n’en est jamais revenus. Peu après, ce fut au tour d’un navire de pêche qui n’a pas tenu le choc et a coulé au milieu du fleuve. Sa dernière attaque en date remonte à hier, où une ferme en périphérie des bois D’Adiuc s’est vue pratiquement rasée. Le propriétaire est encore au château, j’ai pensé utile vous le laisser à porter. Mais je vous préviens, le pauvre homme n’est pas ressorti indemne de sa rencontre.
Le paladin acquiesça avec respect ces paroles et reprit :
– Je salue votre coopération monseigneur. Mes soldats et moi-même irons lui rendre visite sans attendre. Quant à vous mes princes, je ne peux que vous conseillez le plus grand des repos après trois longues journées sur la voie.
Tandis que ses deux frères se retiraient sans dire un mot, Geoffroy s’avança vers la table :
– Il n’est pas de ma volonté en venant ici de me reposer. De grâce, Paladin Ikaar, mon initiation en ces terres ne pourra se faire si je ne m’implique pas à parti égale à mes soldats lors de cette chasse.
– Si telle est votre volonté, vous pouvez rester avec nous. Mais je conseille à votre altesse la plus grande des prudences quand il s’agira d’affronter des créatures supérieures.
– Ne craignez point Messire, je comprends l’importance de votre expertise inégalée au combat contre le Mal. Je ne me permettrais point d’interférer. Je souhaite simplement observer et apprendre !
Sur ces paroles, le baron fit signes à ses hôtes de le suivre. En marchant au travers du château et de ses larges couloirs sombres décorés de gravures étranges, Gabrielle ne put retenir son regard. En la voyant scruter la battisse, Joacquim se rapprocha d’elle et lui murmura :
– Décidément, l’architecture Maérique sait toujours attirer le regard des âmes valorisant la sobriété.
– Ouais… Ça n’a rien à voir avec le palais d’Azur…
– Dis-moi, Gabrielle, aurais-tu aperçu des ruines semblables lors de ta vie passée de l’autre côté des montagnes noires ?
– Oui, une fois… Mais c’était différent, géant enfaîte. Je n’en ai pas beaucoup de souvenir, je m’étais presque battu à mort ce jour-là. Comment tu t’en es douté ?
– La race Maérique tire ses origines de l’ouest-centrique. Les textes les plus anciens parlent même de villes et de peuplades au-delà des murs actuels, et ton expérience semble confirmé cette hypothèse. Mais la première invasion et les conquêtes humaines les ont faits reculé jusqu’au sud profond.
– Donc, des gens vivaient vraiment là-bas à une époque ? Je n’y aurais jamais pensé. On m’avait dit qu’il n’y avait jamais eu que les géants.
– Eh bien, les réalités historiques sont souvent plus floues qu’on ne peut le croire. Les descendant de ces Terres sont dits maudits de l’hérésie. De nombreuses légendes de guerres ont parlé de Maéiens capable de la domptée et d’en…
Les histoires de l’érudit furent coupées par l’arrêt du groupe. Devant les chasseurs, se dressait une lourde porte qui portait en son sein de fines ouvertures desquels il était possible de sentir l’odeur de la mort.
Le baron ouvrit le passage, fit entrer tout le monde et pointa un lit. L’air était étouffant et résonnait continuellement des sifflements lourds qu’émettaient les quelques mutilés recroquevillés contre les quatre murs de la pièce.
– Il s’agit de cet homme. Je le laisse à vos soins. Je resterais en dehors des infirmeries si la Chasse a besoin de quelque autre renseignement.
– Merci beaucoup Messire Améryl, répondit Ikaar, nous allons commencer l’enquête.
– Que la sagesse de Sanctia guide vos pas et que sa force anime votre épée, reprit le baron pour saluer ses interlocuteurs avant de quitter la pièce.
Les cinq chasseurs se rapprochèrent du lit tandis que le Geoffroy resta en retrait, répugné par l’odeur du sang.
– Eh bien votre altesse, s’exclama Joacquim, vous n’allez pas bien ? Votre visage est pâle. Vous pouvez nous attendre à l’extérieur si vous le souhaitez.
– Non… Je… Tout va bien. Ne vous inquiétez pas pour moi.
– Bien, commençons alors. Gabrielle, reste bien attentive à ce que je vais dire. Tu devras sans-doute toi aussi examiner des blessés un jour et dans l’urgence de certaines situations tes décisions peuvent jouer dans le sort de nombreuses âmes.
Sans dire un mot et sentant une goutte de sueur lui traverser le front, la jeune chasseresse acquiesça.
“Premièrement, il faut toujours vérifier si le sujet est inconscient ou non, s’il ne l’est pas, il est important de s’assurer qu’il ne soit pas en état de démence ou de trouble qui pourrait le rendre violent. Si vous sentez à n’importe quel moment qu’il se réveille ou s’agite, gardez vos distances. Chasseurs ou non, un homme blessé de l’hérésie est à traiter avec délicatesse. Pour ce qui est de lui, sa respiration légère ainsi que son absence de réactions à nos mots signifie qu’il n’est pas conscient.”
Sur ces mots, Joaquim retira la couverture qui bordait le paysan et dévoila son corps mutilé. Sous les bandages tachetés d’écarlate qui le recouvrait, il n’était possible de distinguer que les creux de sa chair ainsi que des distorsions étranges de ses articulations.
“À premières vues, sa peau ne semble pas subir d’infections, si ce n’est des bleus et des cicatrices de sécheresses apparentes, cela n’est pas rare pour un homme travaillant les champs ou les bétails. Ses blessures semblent être internes en majoprité, liés à des coups lourds et à l’écrasement de ses membres. A vus d’œil il doit avoir plusieurs articulations brisées… Regardez cette main par exemple, enflée et rougeâtre. Cela peut paraître comme une réaction à du poison, mais il n’en est rien, dans ces cas-ci les plaies sont plutôt noirâtres. Il s’agit dans notre cas d’une inflation due à la rupture de plusieurs de ses doigts. Ikaar, rappele-moi ce que t’as dit le Baron à son sujet.”
– Il est arrivé hier, emmener par un groupe de paysans escorté par des soldats. Il est dit que lorsque la bête a attaqué sa ferme, il s’est retrouvé entre elle et son bétail. Les témoins disent qu’il s’est pris un coup d’aile quand le griffon a voulu reprendre vol. Honnêtement, des cas comme ça j’en aie vue et c’est un miracle qu’il ait survécu à un trajet, même sur une courte distance.
– Oui, mais sa chance à l’air de s’arrêter ici, reprit Vaïque. Ces blessures-là ne pourraient pas être guéries par de simples mages de cours. Les soins qu’il reçoit sont presque du gâchis en nos temps troubles, il ne passera pas la journée de demain.
– Tu as une gemme toi, lui rétorqua Gabrielle en s’avançant vers le lit, tu pourrais l’aider non ?… Au lieu de dire des trucs comme ça.
– Écoute-moi bien petite arrogante, on n’utilise pas le pouvoir d’une gemme aussi légèrement ! Joacquim ne te l’a pas appris ? Le temps et l’énergie d’un Gemminencien supérieur tel que moi ne peuvent pas être gaspillés pour faire le bon samaritain. Cet homme, qu’il vive ou qu’il meurt, ne pourra rien nous apprendre davantage. Nous avons déjà des témoins pour cela. Il n’y a tout simplement rien à faire.
Gabrielle, serra le poing et pris une profonde inspiration pour se préparer à rétorquer. Elle se fit arrêter avant cela par Aria, qui lui attrapa le poignet et lui signifia d’un seul regard inquiet qu’elle devait reculer et calmer la situation.
– Tu as raison, excuse-moi…
Après un profond soupire, Ikaar reprit la parole :
– Donc au final ça ne nous apprend pas grand-chose. Il n’a aucune trace de griffure ou d’empoisonnement qui nous donnerait un indice sur la race du griffon.
– Pas exactement, rétorqua Joacquim, il existe peut de griffonoïde qui laisse derrière eux une proie déjà blessée et affaiblie. De plus, si l’on en croit les récits du baron, la ferme aurait été rasée en quasi intégralité. Ce n’est pas normal.
Aria hocha de la tête et s’avança pour répondre :
– Je vois où tu veux en venir, ces monstres-là ne s’attardent généralement pas sur les lieux et préfère éviter un maximum de risque et de blessure. Pour s’en prendre à des battisses, ou laisser de la viande fraiche sur place, il devait probablement être en état de panique.
– En état de panique face à de simples paysans ? Demanda Vaïque.
– Je n’en ai aucune idée, reprit l’érudit, quoi qu’il en soit il ne s’agit pas d’un griffon issu des lignés de l’Ouest pure. Il doit venir du cœur du continent, ou d’encore plus loin s’il est capable de soulever des chevaux… Nous manquons trop d’informations pour le moment. Je propose que l’on aille interroger ce marchand qui a vu la bête dès demain.
Sur ces paroles, Ikaar s’éloigna du lit en soupirant :
– Tu as raison. Partons d’ici et allons prendre un peu repos. La journée de demain risque d’être bien longue…
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