Chapitre 16
Au cœur de la citée d’Orhlia, les lourdes cornes de guerre hurlaient comme au temps sombre des conflits. Contre la boue et les pavés antiques, les sabots de la chasse tapaient avec frénésie pour rejoindre l’épais nuage de terreur qui avait enseveli les bas quartiers.
Arrivés à leur destination, les chasseurs virent mendiants, hommes, femmes et enfants courir dans le chaos, certains fuyant sans se retourner, d’autres se laissant piétiner dans une confusion morbide. Les quelques soldats qui fuyaient à leur tour avaient les haillons remplis de sang et le corps trop meurtri pour pousser le moindre cri. Un homme, dont la vision seule fit trembler Gabrielle, courait hors des débris dans une frénésie incontrôlable, le bras arraché et le visage couvert de sueurs et de larmes épaisses.
Au plus profond de la brume, des cris stridents firent trembler jusqu’aux fondations mêmes des battisses.
– Prince, écartez-vous et allez vous réfugiez au château ! Il n’est point là votre devoir ! Nous nous occupons du reste ! S’exclama Ikaar en voyant la désolation.
– Il en est absolument hors de question ! Mon rôle ici n’a jamais été aussi important !
Sur ces mots, Geoffroy s’avança et brandit sa lame dorée vers le ciel. D’une voix puissante, il scanda :
“Peuple d’Orlhia, ne craignez point ! Votre souverain et sa Chasse Royale sont arrivés ! Par ma main divine, je banirais le mal de votre ville !”
Dans la foule, quelques gens hurlèrent à la vue des chasseurs :
– Que la Providence soit louée !
– Nous sommes sauvés !
– Chassez-le messire ! Je vous en prie !
Fière de l’effet de ses paroles, le Prince reprit :
– Vite, évacuez femmes et enfants ! Et laissez vos soldats s’occuper du…
Une bourrasque alla gifler Geoffroy, le faisant presque perdre son équilibre. Au travers des dernières fumées que le vent dissipa, une immense poutre fendit le ciel et s’écrasa sur le jeune homme. Sa monture poussa de terribles hennissement sous la peine de son dos fracturé, quant à lui, ses membres se firent écraser avec une telle violence que sa lame finit au plus profond de ses cervicales.
Un vent de terreur raviva la frénésie de la foule. Devant toute son horreur, le Griffon dévoila ses larges ailes, habillés d’un plumage épais, ainsi que sa gueule, crispée d’une fureur lancinante.
– Putain ça commence mal… Soupira Vaïque en tendant sa main pour préparer une salve.
– Arrête, répondit Ikaar d’un ton calme, n’utilise pas ta magie ici.
– Le monstre est juste devant et il nous calcule même pas, c’est l’occasion parfaite. Fais-moi confiance, je peux finir ça en une seule attaque. Tu le sais bien.
– C’est bien ça le problème ! Il y a trop de civil, si tu interviens ça va être un massacre. Écoutez tout le monde, notre objectif est de faire fuir la bête à tout prix. Aria reviendra sous peu avec ce qu’il faut pour ça. Mais on doit gagner du temps. Joacquim et Vaïque vous vous occupez de l’évacuation. Gabrielle et moi, on va l’occupé.
Le paladin se retourna vers sa guerrière pour une approbation et la vit déjà les pieds-à-terre et les mains serrées sur le manche de sa flamberge. Sans attendre, il bondit de sa monture à son tour et alla la rejoindre.
“La première chose à faire est de prendre son attention, observe”
Sur ces mots, il brandit son bouclier vers les cieux et invoqua un puissant rayon de lumière qu’il braqua sur la gueule du monstre, qui se retourna vers lui.
“À ton tour, fait en sorte que toute l’hérésie du monde se tourne sur ton âme, et éradique-la, jusqu’à ton dernier souffle”
Gabrielle dégaina et, tout en fonçant vers le danger, poussa un profond hurlement rauque qui ne ressemblait à rien d’humain.
“Bien… Suis ta voie.”
Le griffon ne tarda pas à réagir et ouvrit son large bec pour l’attraper, laissant tomber de son gosier quelques tripes encore giclantes. La guerrière en réchappa en bondissant sur le côté et ne manqua pas de perdre l’équilibre. Tandis qu’elle se relevait, Ikaar arriva et frappa sa lance avec brutalité contre le crâne de la bête, qui ne fut pas égratignée et le repoussa d’un puissant coup de griffe.
Une voix hurla au plus profond de l’esprit de Gabrielle.
“Relève-toi ! Tue-le !”
Dans un élan puissant, elle prit appuie contre un mur effondré et sauta en frappant sa lame noircie contre le cœur du griffon, qui s’agita et tenta de l’écraser. Dans une raffale de vrombissement sourd, de cris stridents et de bourrasques assourdissantes, elle n’arrêta pas d’attaquer sans répit. Malgré toute la force qu’elle y mettait, elle n’arrivait jamais à sentir sa lame s’enfoncer dans la chaire de son ennemi.
Sans crier gare, en prenant appuie contre un bout de ruine, une pierre se déroba sous ses pieds. Dans sa chute, elle se fracassa le bras gauche contre une poutre et resta immobile.
“Non, tu ne peux pas abandonner… Réagis, je t’en pris, il le faut !… ”
– À quoi bon, murmura la guerrière… Je sais même pas ce que je fous ici. Tu me manques tellement… Peut-être que je devrais te rejoindre…
Gabrielle regarda les griffes du monstre se soulever au-dessus de sa tête. D’un soupir léger, elle ferma les yeux.
Au travers de la poussière ambiante, des salves de lumières aussi brûlantes que des giclées de laves touchèrent le monstre. Dans des cris paniqués, il recula et vit devant lui Ikaar, brandissant sa gemme sur sa poitrine. L’homme se tenait devant lui, le regard déterminé et le crâne couvert de sang.
– Et ainsi, tu purifieras les mers et les terres de ta lumière divine. Oh force créatrice, bannis à jamais les êtres se détournant de ta sagesse. Elève nos âmes, que ta Providence transcende ce monde !
Le griffon devint frénétique et bondit vers le paladin, se tordant de douleur à chaque attaque, poussant des cris résonnant tels des tonnerres.
Non loin de là, Aria était positionnée en vue de la bataille. Sur ses épaules et son torse, son plastron était recouvert de plaques mécaniques supportant sur une suite de ressorts et d’engrenages une baliste portative. Son arme était chargée d’un immense carreaux à la pointe luisante.
En prenant appui de tout son corps contre le sol, elle braqua le cœur de la bête et tira. Dans un sifflement assourdissant, le projectile alla s’enfoncer dans la chair de sa cible. Le griffon fini par dévier sa trajectoire et s’écroula contre une maison. Dans de large mouvement d’ailes, il s’envola et partit aussitôt vers l’horizon, laissant sur son passage quelques sillons de sang bleuté.
Aussitôt après le départ du monstre, quelques hommes en profitèrent pour se jeter sur les décombres, hurlant le nom des disparues. Des soldats semblaient arrivés des quatre coins de la ville, et aidaient avec confusion les blessés à être emmené en lieu sûr. Gabrielle, quant à elle, restait écroulée contre les débris. Une larme discrète coula sur ses paupières tandis qu’elle perdit connaissance.
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