Le livre

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- "Il faut que je le fasse !" Dit Cassandre à voix haute.
Elle était seule dans sa cellule et faisait les cent pas. Après l'incident avec sœur Catherine, le reste de la soirée s'était déroulée normalement, à ceci près que Cassandre n'avait pas revu sœur Gabrielle. Pendant toute la soirée elle s'était attendue à recevoir un châtiment, et le fait de ne pas le recevoir tout de suite ne faisait que l'inquiéter d'autant plus. Le soir même, elle tournait en rond dans sa cellule, ne pouvant se résoudre à attendre, mais n'osant pas essayer de s'échapper du couvent.
"Qu'arrivera-t il à mon père si je m'enfuis." Songea-t-elle. "Après tout, je suis là pour son repentir."
Mais elle chassa cette idée. Personne n'en avait plus rien à faire, et son père moins que quiconque. Ce qui la retenait étaient des raisons physiques. Pour s'échapper il fallait escalader un mur de six mètres de haut, redescendre de l'autre côté, et s'éloigner suffisamment pour être hors de portée des recherches et ne pas pouvoir être ramenée au couvent, ce qui était presque impossible en soit car, avec ses habits de sœur elle serait très vite repérée, et elle n'en avait pas d'autres. Et ça c'était si encore elle parvenait à quitter sa cellule pendant la nuit malgré les patrouilles dans les couloirs, à sortir du couvent, traverser la forêt dans le noir et atteindre le mur sans être vue par personne.
Elle tremblait à l'idée de sortir. Mais elle tremblait à l'idée de rester. Alors finalement, elle ouvrit lentement la porte en priant pour qu'elle ne grince pas. Le couloir semblait vide.
Elle se glissa doucement dans l'entrebâillement de la porte, et avança dans les couloirs à pas de loup, voûtée dans l'espoir d'être moins visible. Elle se mît en quête d'une issue, mais dut vite s'arrêter quand elle passa devant la porte de l'intendance qui était gardée par une sœur supérieure. Cassandre s'immobilisa hors de son champs de vision, et attendit en réfléchissant.
- "Que fais tu debout à cette heure?" Fit la surveillante.
Cassandre se figea. Elle crut qu'on l'avait vue, mais en lançant un regard vers la sœur, elle vit que c'était une autre jeune sœur qui venait d'arriver. Celle ci vint vers la surveillante et lui dit :
- "Ma sœur. Je cherchais désespérément quelqu'un car mon esprit est tourmenté par un problème dont je ne trouve pas la réponse et qui m'ôte le sommeil.
- De quoi s'agit il mon enfant ?
- Je ne saisis pas… pourquoi alors que les saints martyrs ont subi les tourments du fouet nous utilisons nous même le fouet sur nos condisciples. La flagellation n'était elle pas l'apanage des romains païens ?
- Mais, jeune sœur, tu ne saisis pas ? Saint Adolphus, mais aussi le christ lui même ont subi la flagellation. En étant flagellés nous même nous nous mettons à leur place.
- Mais si le flagellé se met à la place du saint, le flagellateur ne se met il pas à la place du barbare païens oppresseur ? Car après tout, c'est agir comme les romains qui étaient des païens et qui sont responsable d'avoir tué le Christ.
- Mais non. Et puis, le Christ a été tué par les juifs, pas les romains.
- Mais… mais c'est les romains qui…
- Les romains se sont ensuite convertis, et Dieu pardonne qui est repentant. Mais les juifs ne se sont pas repentis.
- Mais pourtant, est ce qu'une part non négligeable des juifs ne suivait pas le Christ à l'époque ? Et puis…
- C'est assez ! Retournes te coucher ! Et saches que des hommes bien plus qualifiés que toi se sont déjà posés les mêmes questions et y ont répondu depuis longtemps. Cesses donc de te tourmenter avec ces pensées et contentes toi d'assimiler ce qu'on t'apprends.
- Ou… oui ma sœur."
Et la jeune fille s'en repartit, mais Cassandre avait déjà profité de la diversion pour passer.
Quand Cassandre arriva dehors elle se retrouva dans le noir total. Elle parvint à grand peine à se repérer et courut aussi vite qu'elle pouvait en direction du mur.
Elle traversa les champs, traversa la forêt et buta sur les racines et les champignons, et finalement, en suivant la rivière, elle arriva au pied du mur qui se dressait, blanc comme la lune sur le ciel nocturne à l'orée de la forêt..
Cassandre respira enfin. Elle s'approcha du mur avec prudence. Elle ne voyait pas le sol sur lequel elle marchait.
Elle tâta le mur de sa main, et fut soulagée de découvrir une surface rugueuse semée d'aspérités. Elle n'avait jamais escaladé un mur, mais elle comptait bien essayer. C'est alors qu'elle marcha sur quelque chose de bizarre. C'était mou et glissant, et ça bougeait sous son poids, si bien qu'elle glissa et tomba dessus. Elle poussa un juron, et se releva pour tâter avec ses mains et voir ce que c'était. Sa main se referma sur quelque chose de lisse et soyeux; des cheveux. Glacée d'horreur, elle tâta plus bas, et reconnut quelque chose de froid, mais de mou et organique. Elle se retint de crier en reculant et en regardant plus attentivement la chose; son regard s'habitua à l'obscurité et elle vit que c'était le cadavre d'une sœur du couvent qui reposait, brisé, au pied du mur. Elle reprit lentement sa respiration. Elle était sûre d'avoir déjà vu pire. Elle avait assisté à l'exécution de criminels coupés en morceaux à coup de hache, ou à des combats de joute résultant en des os brisés, des membres tordus et des crânes fracassés. Seulement, le cadavre qu'elle avait devant les yeux lui donnait une impression différente. Déjà parce qu'elle l'avait touché; ensuite parce que ce n'était pas celui d'un homme, mais d'une fillette comme elle, en habits de religieuse comme elle, et l'aspect du corps ne laissait aucun doute sur le fait que non seulement elle était morte en tombant du haut du mur, mais en plus le corps était assez frais, elle était morte récemment, peut être même cette nuit, après avoir tenté d'escalader le mur exactement comme Cassandre comptait le faire.
La jeune fille faillit vomir, mais son côté pragmatique l'emporta. Il ne fallait pas tâcher ses vêtement sans quoi elle serait repérée.
Avec dégoût, elle retourna le cadavre pour l'ausculter. Inexplicablement elle ressentait une furieuse envie de l'étudier. Le visage lui disait quelque chose, elle l'avait sans doute vue sans la connaître. Cassandre nota toutefois que le cadavre avait une sacoche, ce qui était assez surprenant mais lui fit aussi remarquer qu'elle n'avait elle même pas pensé à prendre des vivres. Elle ouvrit la sacoche et y trouva du pain, une outre de vin, des bijoux qu'elle décida de ne pas toucher, et surtout un gros livre. À la forme et à la couverture décorée, elle devina bien vite que ce n'était pas une bible. Il faisait trop noir pour voir le titre alors elle le prit avec elle et décida de tout laisser derrière elle, de rentrer, et d'oublier tout ça.
Le retour se fit nettement plus facilement, et quand elle passa dans les couloirs, la surveillante s'était endormie sur une chaise.
Cassandre s'enferma dans sa cellule et alluma en vitesse une bougie pour regarder la couverture du livre.
Avec déception elle constata que ce n'était pas un roman d'aventure mais plutôt un livre scientifique, ce qui aviva tout de même son intérêt.
"Science alchimique avérée, volume douzième: Poisons et venins d'Europe et d'ailleurs. Récolte, fabrication, usage, histoire, et immunisation. Un ouvrage du docteur Faust."
Cassandre se sentit une montée d'adrénaline à la seule lecture de ce titre. L'excitation lui chatouillait la moelle épinière, mais elle se força à ne pas aller plus loin. Elle souffla sa bougie, dissimula le livre dans ses draps, et se coucha. Décidant d'attendre le lendemain en dépit de sa punition qui semblait imminente.

Le lendemain, Cassandre reçut dans sa cellule la visite de plusieurs sœurs supérieures parmi lesquelles sœur Gabrielle qui lui expliqua:
- "J'ai dû en parler à l'abbesse elle même avant de parvenir à trouver ce qu'il fallait faire pour régler ton problème. Notre matriarche dans sa grande sagesse m'a indiqué le traitement adéquat. Cassandra, tu devras par toi même méditer sur tes actions. Nous allons t'enfermer dans ta cellule, tu ne verras personne, nous te glisserons par les barreaux de ta porte uniquement du pain et des cierges. Tu ne sortiras pas d'ici tant que tu n'auras pas complètement saisi la gravité de tes actions. Tu devras méditer ici, brûler des cierges et prier aussi longtemps qu'il le faudra. Un jour, une semaine, un mois, une année, peu importe. Quand tu seras prête à te confesser et à accepter le repentir, tu nous appelleras et nous jugerons de ta sincérité avant de te laisser sortir. As tu bien compris?
- Oui ma sœur…" fit Cassandre d'une voix faible.
Avec un certain entrain qu'elle dissimulait mal, sœur Gabrielle déclara:
- "Puisse notre seigneur t'éclairer. Ta période de méditation intensive commence dès maintenant. Je te conseille de commencer par relire la bible dans son intégralité plusieurs fois."
Cassandre ne dit pas un mot. Elle resta immobile et muette, attendant que les sœurs sortent, qu'elles verrouillent la porte derrière elle, et s'éloignent dans le couloir. Puis Cassandre sauta de joie. On la laisserai seule et personne n'avait songé à fouiller sa chambre tant il était invraisemblable que quelqu'un ait apporté quelque chose d'imprévu ici. Elle aurait donc tout son temps pour lire son livre.
Mais surtout, vivre en ascète, manger peu, et être isolée; étrangement cela lui faisait un bien fou. Elle se demanda alors si les "parfaits" ressentaient la même sorte d'exaltation. Elle eut plus que jamais l'impression qu'elle serait proche de Dieu.
Mais malgré cette soudaine épectase religieuse, elle eut un sourire sardonique en songeant à l'ironie de la situation, car elle allait pouvoir étudier son livre aussi longtemps qu'elle le voudrait, grâce à la décision de l'abbesse.
Ainsi elle se lança dès lors dans la lecture de son livre, ne s'arrêtant que quelques instants pour faire semblant de prier au cas où, ou dormir. La nuit elle s'éclairait avec les cierge, et ainsi en fut il pendant des semaine. Sitôt qu'elle entendait des pas derrière la porte elle camouflait son ouvrage et s'agenouillait pour cacher ses véritables activités tandis que quelqu'un dont elle ne pouvait voir le visage lui envoyait du pain et des cierges. Puis sitôt la personne repartie, elle se plongeait dans le livre du docteur Faust.
Celui ci était colossal, mais très intéressant. Il expliquait des méthodes d'alchimie extrêmement poussées, mais surtout, chaque réaction ou presque avait une explication. L'auteur semblait posséder la science infuse, car aucun détail n'était laissé au hasard, et le docteur Faust avait vulgarisé des notions extrêmement complexes dont Cassandre, qui se croyait cultivée, n'avait jamais entendu parler. Il parlait de centaines de poisons pouvant être fabriqués plus ou moins facilement par des procédés complexes. Il décrivait la verrerie, les outils et les substances à utiliser ainsi que les doses et les effets précis de chaque poison selon la dose. Mais aussi une histoire du poison, ses utilisation, et plus important: comment y devenir résistant.
Faust parlait beaucoup de la mithridatisation. Selon les poisons, il fallait soit consommer de petites doses du poison soit d'autres poisons aux propriétés semblables mais moins virulents, soit le poison et l'antidote.
Cassandre dévorait ce livre avec avidité, et progressivement, une idée se fit jour dans sa tête.

Un jour, quelqu'un frappa à sa porte. Comme à son habitude, Cassandre cacha le livre sous son lit, se jeta à genoux, et dit d'une voix chevrotante:
- "Je ne me sens pas prête ma sœur. Je sens encore mon âme tressaillir, et j'ai besoin de paix pour trouver celle du Christ."
Mais cette fois, la porte s'ouvrit brusquement, et sœur Gabrielle entra sans ménagement.
- "Cassandra. L'heure est suffisamment grave pour troubler un temps ta méditation. Une de nos sœurs disparue depuis un moment déjà a été retrouvée morte à l'orée de la forêt.
- Mais c'est horrible!" Fit Cassandre.
- Nous avons déjà fouillé toute les autres cellules. Il ne peut être qu'ici!
- Que… quoi donc?"
Sœur Gabrielle plissa les yeux. Elle se dirigea droit vers le lit, le fouilla en vitesse, et en sortit le livre du docteur Faust.
- "Le voilà! Sous le lit. C'est toujours sous le lit que les novices cachent leurs secrets. Tu pensais pouvoir nous duper, mais nous connaissions l'existence de ce livre. Dis moi, comment est il entré en ta possession? Et quel usage en as tu fait pendant ta longue méditation?"
Cela faisait plusieurs mois que Cassandre n'avait pas vu un visage humain. Elle s'était pensée tout à fait invulnérable, mais elle n'avait pas pensé que ce livre était forcément passé entre les mains des sœurs du couvent à un moment ou à un autre, et qu'elles avaient remarqué sa disparition. Après tout, les sœurs confisquaient tous les biens des nouvelles arrivantes. La fillette reniflait et se retint difficilement de pleurer. Sœur Gabrielle n'attendit pas de réponse et elle sortit en vitesse.
- "J'en parlerai ce soir à l'abbesse." Dit elle avant de claquer la porte derrière elle. Mais elle ne la verrouilla pas.
Cassandre contempla la porte. Elle essuya ses larmes de dépit, et contempla la porte avec un désir brûlant de vengeance.
- "Cette vieille bique va me le payer!"

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