Fred
16- Filature
Ce n’est pas la première fois que je le suis. S’il l’apprenait, il me prendrait pour un fou. Peut-être même qu’il ne voudrait plus avoir affaire avec moi. Il n’aurait pas tort. Je passe mon temps à le repousser, et là, je le prends en filature. Je suis cramé, complètement ravagé. Ça n’a aucun sens cette jalousie. Mais, c’est plus fort que moi. L’impact qui a eu sur mon corps la semaine dernière ne me quitte pas. J’ai encore envie qu’il me prenne… qu’il me touche, qu’il soit à moi et pour moi. C’est insensé ce qu’il se passe. J’ai toujours pensé que Ruby me poursuivrait quoi que je fasse. On dirait que j’avais tort. Il change. Je n’aime pas beaucoup ça et reste très conscients que c’est de ma faute. Je devrais être content qu’il s’éloigne de moi, seulement ça veut dire ne plus être avec lui.
Je gare la voiture sur le parking de la boîte de nuit. Ruby aime bien l’ambiance rétro. Il m’en a fait des louages pourtant il n’est jamais parvenu à m’y traîner. Chose fait. J’suis une saleté de psychopathe ! Sans déconner. Je claque la portière sans décrocher mes yeux de Ruby le bras enroulé aux épaules de ce mec. Franchement, ce n’est pas son style. Qu’est-ce qu’il fout avec lui. Je les suis. Qu’est-ce que j’connais de son style, en fait ? Si ça s’trouve, je n’ai jamais été son genre… Petit, costaud. Et s’il aimait les gars long et fin, au crâne rasé ?
Je marque une pause, m’apparaitre à faire demi-tour. Ils entrent.
Le prochain qui me drague je lui en fous une dans le beignet. On ne peut pas se concentrer avec tous ces mecs qui me proposent un verre. Est-ce que c’est marqué « je me sens seul » sur ma face « invités-moi ! » ?
Je prends ma consommation et pars m’assoir autour d’une table en retirant toutes les chaises pour bien faire comprendre que j’veux être seul. J’ai droit à des sourire, des tentatives d’approche. Je pense que mon humeur se lit sur ma gueule. Plus personne ne tente rien et je peux enfin me concentrer sur Ruby. Il se déhanche sur la piste. Je le savais bon danseur, mais là, au milieu de tous ces inconnus il est épatant. C’est peut-être la première fois que je le vois aussi détendu et libre. Il rit, lève les bras en l’air. Son tee-shirt remonte sur son ventre. J’admire son corps se mouvoir, sa taille onduler, son bassin prendre des courbes vertigineuses. Il est mille fois plus beau que n’importe quelle fille de ma connaissance. Je donnerai beaucoup pour être à la place du crâne rasé qui dandine son cul contre mon basiste. À les regarder, on dirait qu’ils sont seuls au monde. Et c’est peut-être le cas. J’ai perdu. Ça fait aucun doute. Je n’ai jamais vu Ruby aussi étincelant que ce soir. Il brille si fort qu’il pourrait me décoller la rétine. J’ai tout gâché pour des conneries.
Deux bières rejoignent ma table. J’arque un sourcil alors que mon cœur continue de s’ouvrir en deux.
— Excuse-moi ! J’ai pas pus résister à venir te voir. Tu semble au bord de ta vie et c’est dommage.
Je prends même pas la peine de me tourner. Les gars entreprenant sont pas mon genre.
— Ah, ouais ! Et pourquoi ? ça m’interesse.
— Parce que ça sent la peine de cœur à plein nez.
Je sens la chaleur de son épaule collée à la mienne. Je me décale.
— Pas intéressé, mon gars.
— Je comptais pas te sauter. Le mec de Amjad est chasse garder.
Je me raidie. Qu’est-ce qu’il vient de dire ? Comment il connait Ruby ? Et de qui il parle ?
— J’connais bien ce grand charmeur, il couche aussi bien qu’il parle. Je ne sais pas combien de fois il a dû me parler de toi. Fred, son pote qui ne l’aimera jamais et qui le brise à chaque passage dans son lit.
Il se penche sur moi, m’analyse.
— En tout cas, il a raison sur une chose, t’es beau gosse.
— Qu’est-ce que tu me veux ?
— Rien en particulier. Enfin… peut-être bien que si.Ici, Ruby est connu comme le collectionneur. Un mec, une nuit.
— Qu’est-ce tu veux que ça me foute ?
— Ça te fera prendre conscience que tu lui pourries la vie. Et à moi aussi. Ruby, c’est Le gars. Celui que beaucoup veulent à leur réveille et à leur couché. Mais il a un enfoiré dans le cœur. Vu la tronche que tu tire depuis que tu es arrivé et ton regard vissé sur eux, j’ai aucun mal à comprendre que son amour et réciproque. Alors pourquoi ?
— Occupe-toi de ton cul !
Je vide mon verre, m’apprête à partir quand je sens sa main m’attraper.
— Il ne mérite pas d’être traiter comme de la merde.
— Fiche-moi la paie, hurlé-je.
La sauce me monte au nez. Qu’est-ce qu’il veut ? Pourquoi il me gave ? Je ne lui ai rien demander. Qu’est-ce qu’il croit faire avec ses conseils ? Il s’est prit pour la marraine la bonne fée ?
Je retire sa main de mon bras, fais voler mon verre sans le vouloir. Il s’écrase à terre. Explose. Merde. Vachement discret. Heureusement que la musique recouvre notre… dispute ? Connerie ! C’est n’importe quoi.
— J’ai pas envie de te foutre la paie. J’ai envie de savoir ce qu’un con de ton genre trouve à redire à l’amour que Amjad te donne ? Tu le trouves pas assez bien ?
— J’ai aucun compte à te rendre. T’es qui ? Une autre groupie à sa solde. Il t’a baisé aussi et t’as pas aimé être rejeté ?
Son visage se déforme. Ça se sent qu’il veut me cogner, mais il le fera pas. Quelque chose le retient. Son regard part sur le côté pour revenir vers moi. Je le fais serrer. C’est net.
— Je n’ai malheureusement pas eu la chance d’être baisé. Amjad ne couche pas avec les amis.
J’éclate de rire.
— C’est lui qui t’a dit ça ? Il t’a mentir. Parce qu’il baise volontiers avec ses potes. Tu crois que je suis quoi ?
J’ai l’impression que notre échange commence à intéresser du monde. Je me sens épier.
— Pas un pote en tout cas. Pas depuis qu’il te fait l’amour !
— Mais c’est quoi ton problème ! D’où tu sors tout ça ?
Ça me gave qu’il en sache autant.
— D’un pauvre mec qui a misé sur le mauvais cheval. Parce que t’es clairement une chèvre galeuse.
— Ferme ta bouche.
— Tu penses être de taille pour ma casser la gueule ?
— De taille peut-être pas, mais suffisamment éméché pour me défouler et finir à l’hôpital.
Il ignore mon avertissement.
— Quand on prend la peine d’entrer dans un bar où « on ne veut pas foutre les pieds » pour espionner un « pote » c’est peut-être parce qu’il y a plus qu’un coup de branlette derrière, non ?
— T’sais rien du tout. Avec Ruby, c’est juste de la baise. Rien de plus.
— Ah ! Et du coup, t’es ici pour quoi ?
— Parce que je…
Merde ! J’avais oublié que j’avais aucune réparti.
— Parce que c’est un con quand il s’agit de moi.
La chaleur dont j’étais captif disparait, remplacé par le givre.
J’n’ose pas me tourner. Ça servirait à quoi ? J’sais très bien que c’est lui. J’connais trop bien sa voix pour me tromper. Je l’ai entendu jusqu’au fond de moi un nombre incalculable de fois.
— Je pensais t’aider en lui parlant, mais on dirait que t’as raison. Il comprend que dalle à ses sentiments. Amjad, fais-moi plaisir, zappe ce type. Il n’en vaut pas la peine. Même pas fichu de voir la vérité en face.
— Harry, c’est bon. Laisse-le. J’t’ai rien demandé.
— Je sais. Mais je voulais essayer.
Harry me dépasse et glisse à mon oreille :
— Barre-toi ! Ce soir, il baise son rasé.
— C’est ce qu’on verra, répliqué-je.
— C’est tout vu.
Il part en se marrant.
Connard !
Je me défige lentement et me tourne enfin vers Ruby. Je ne le pensais pas si proche de moi. Trois pas nous séparent. Trois vulgaire pas. J’ai aucun doute sur ce qu’il a entendu. Je me sens minable, mais ne me dérobe pas sous son regard mordoré.
Il est vide d’expression. Ça me blesse et ça m’effraye en même temps. J’ai encore merdé. Pour changer.
—Tu ferais mieux de rentrer. À l’entrée, il y a des accompagnateurs. Ils te ramèneront jusqu’à chez toi. Ne prends pas le volant alcoolisé. J’aime pas ça.
Il ne cherche pas le contact. Il retourne vers la piste et rejoint le gamin. Je me sens merdique. Complétement à chier.
— J’ai l’air de quoi, maintenant ? D’un pauvre type frustré… Qu’est-ce qu’il pense de moi ?
Honteux, je me barre. Je me suis assez ridiculisé comme ça. J’y réfléchirais à deux fois avant de faire ce genre de conneries. Idée de crotte.
Sur le parking, je gueule comme un con de quoi atténuer la douleur qui trucide mon cœur. Ça n’évacue pas la sensation piquante qui s’écoule dans ma poitrine.
P’tain, j’l’ai mérité celle-là !
Dans la bagnole, j’arrive pas à retenir mes larmes. Je chiale comme un gosse humilié devant une cours de récré par son crush. J’suis incapable de prendre le volant avec les mains tremblantes et la vision floue.
Je n’veux pas qu’un inconnu me ramène, alors j’appelle Côl.
Il décroche à la quatrième sonnerie.
— Qu’est-ce t’as foutu ?
C’est véridique. Il m’avait prévenu.
— De la merde. Viens me chercher, s’t’ plait. J’suis au bout.
— T’es où ?
Annotations
Versions