Prologue

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Début juillet 1963, Simone et moi nous trouvions en Algérie pour nos carrières respectives. Bien que le hasard nous ait conduits à résider dans le même pays, nous demeurions à quelques centaines de kilomètres l’un de l’autre. Un soir, alors que nous étions plongés dans notre habituelle conversation téléphonique, celle-ci prit un tour pour le moins inattendu.

— Robert, tu sais ce que tu devrais faire ? me demanda-t-elle.

— Non ?

Je ne voyais absolument pas de quoi elle voulait parler…

— As-tu envisagé de raconter tout ça ?

— Tout ça, quoi ?

— Peut-être que tu devrais partager tout ce que tu me rapportes quand on est au téléphone au sujet de cette conquête spatiale ?

— Comment ça ?

— Eh bien, toutes les anecdotes que tu me retraces, les difficultés rencontrées, comment vous avez trouvé des solutions, le travail en équipe, les relations avec les ministres…

— Qui cela pourrait-il bien intéresser ?

C’était sans doute affreusement technique, rébarbatif.

— Tout le monde, Robert ! C’est l’histoire de l’aventure spatiale à laquelle tu participes ! Si personne ne l’écrit, qui s’en souviendra dans cinquante ans ?

— Vraiment, tu crois ?

— Oui, tu ne travailles pas que pour toi, tu œuvres pour un projet qui te dépasse.

Dit comme ça, le projet revêtait presque l’aspect d’une mission sacrée. Seulement, aussi tentant soit-il, comment m’assurer que je ne prenne pas la grosse tête en m’attaquant à une tâche si noble ?

— Je veillerai à ce que tu ne deviennes pas prétentieux, ne t’en fais pas !

Comme d’habitude, elle devait se cacher dans un recoin de ma tête pour deviner si bien mes pensées.

— Tu as peut-être raison, Simone…

— Évidemment, Robert, tu le sais bien, non ?

Oui, elle avait toujours raison, ma Simone, toujours… non, presque toujours.

— Bon, je vais y songer.

Après tout, qu’est-ce que je risquais ? De faillir en omettant des détails indispensables ? Au pire, si j’avais des trous de mémoire, je pourrais demander à mes collègues, voire à Jean-Paul qui nous avait quittés pour suivre sa propre voie. En recoupant toutes les informations, j’arriverais bien à combler les blancs.

— Puis, ne t’en fais pas, tu n’es pas historien et tu ne dois pas avoir pour objectif d’écrire quelque chose de parfaitement exact.

— Je ne vais pas travestir la réalité, quand même ?

— Est-ce que j’ai dit ça ?

Non, en effet.

— Oui, ce serait un genre de roman ?

— Voilà, pas une thèse.

J’avais un peu moins de pression, un tout petit peu moins.

— Il faudra bien que j'évoque l’évolution du monde autour de tout ça, avançais-je. Ces années ont été et sont toujours bien mouvementées.

— Je ne parle pas non plus d’un livre d’histoire, Robert ! Je sais que tu aimes bien faire des recherches et te documenter, mais essaye de ne pas tomber dans ce travers.

J’avais, et je crois bien que j’ai encore cette tendance, sans doute.

— Tu te souviens de nos débats enflammés concernant la décolonisation, la bombe atomique et tant d’autres sujets brûlants ? lui demandai-je.

— Oui, mais est-ce l’histoire que tu veux raconter ?

Sans doute pas. Cela n'aurait pas grand intérêt pour d'éventuels lecteurs.

— Je ne me vois toutefois pas faire l’impasse sur tous ces éléments, insistai-je.

— Tu n’y es pas obligé. Par contre, il va quand même falloir que tu t’interroges sur ce que tu désires réellement exposer. Pour ne pas partir dans tous les sens.

J’ai pris un temps de réflexion. Qu’est-ce que je voulais écrire ? Et, d’ailleurs, avais-je envie de raconter quoi que ce soit ? C’était son idée, au départ, pas la mienne ! Seulement, si je devais me montrer honnête, plus les secondes défilaient, plus cette idée me tentait.

— Je vais commencer par prendre des notes sur le début, déjà. Essayer de voir ce dont je me souviens.

— Et tu me les liras quand on se retrouvera au téléphone ?

— Bien sûr. Maintenant, je n’ai plus de questions à me poser sur l’occupation de mes soirées.

— C’est cadeau, Robert…

— Merci, Simone…

Le reste de notre conversation fut, vous vous en doutez, plus doux et plus tendre.

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