Enola
On est sur la route. On approche de destination. Le sourire est figé sur la bouche de mes parents. Sur celui de ma sœur aussi. Le seul sourire manque est le mien. Il ne veut pas sortir. J’en ai marre de vivre, ça n’a plus aucun sens pour moi. Je ne me rappelle même plus de mon vrai rire. Il me manque peut être, qui sait ?
- Est-ce qu’on est bientôt arrivés ? demande ma sœur, Aurore
- Normalement, on n'est pas beaucoup plus près qu’il y a deux minutes, ma grande, répond gaiment ma mère.
Il y a à peu près une heure, mes parents ont signé le contrat de prêt pour notre nouvelle maison, dans un bled paumé, mais avec un notaire cool. Franchement, ça fait plus ou moins trois mois qu’on n’a pas de maison fixe. On squatte chez les amis. Un mois de plus ou de moins ne changerait pas grand-chose. Donc ça fait déjà trois qu’on est arrivés en France, ma famille et moi. J’étais contente de partir. Je pense même que j’idéalisais un peu trop la France. En vrai, c’est de la pure merde. Les gens sont le contraire de sociables et bienveillants. Je hais les gens. Je hais ce monde
- Terminus, tout le monde descend !
Elle est blanche, haute, pas très large et le jardin est complètement en pente. Elle est moche. C'est à peu près le seul mot pour la qualifier.
- Waw ! Elle est belle, s'exclame ma frangine
- Yes, carrément ! Alors, c'est qui le boss ? C'est qui, qui vous a trouvé une super maison en trois mois ? demande mon père ?
- PAPA ! hurle Aurore
Je me bouche les oreilles le plus possible pour éviter de perdre cent cinquante décibels en moins de deux secondes.
- Et toi, ma minouche, qu'est ce que tu en pense ? Me questionna ma mère
Je ne sais pas quoi dire pendant une courte seconde avant de me décider:
- Oui, oui, stylée… On peut rentrer ?
Mon papa, Diego, cherche les nouvelles clés dans sa poche de jean et, après les avoir trouvées, enfonce la bonne dans la serrure et ouvre la porte.
- Les demoiselles à l'honneur !
L'impression de rentrer dans la taverne d'Ali Baba me donne la de poule. Peut être que je vais, moi aussi, y trouver un trésor.
Les déménageurs viennent de passer et la maison est pleine de cartons jusqu'au plafond. J'adore ma chambre. C'est au moins ça de gagné. Hier, mes parents se sont occupés de la peindre en rouge. Je suis obligée de ne pas y aller, alors je n'y vais pas et je sors dehors à la recherche d'une église aux alentours. Ce n'est pas que je suis pressée, mais la musique me manque.
J'arrive devant une haute église, plutôt fine. J'entre… Putain, il est trop beau. Je crois que je viens de faire mon choix en moins de deux. Il y a personne. Je sais que je ne peux pas, mais j'en ai besoin. Je monte les escaliers en forme d'escargot et saute par dessus la petite barrière qui protège son l'entrée. Je m'assois et place mon pied droit sur la pédale de droite. Je caresse une touche et m'évade.
Une petite fille veut des chaussures rouges. Devant une vitrine, une paire de ses chaussures l'émerveille. La petite fille les demande à sa maman. Sa maman lui répond que non. La petite fille a des chaussures bleu et vertes et n'en a pas besoin d'une troisième paire. La petite fille pleure. Elle veut cette troisième paire. Elle pleure, elle pleure, et…
- Excusez-moi, mademoiselle. Que faites-vous ici ? C'est un accès interdit.
Devant moi, il y a un grand monsieur, moche, gros et chauve.
- Mademoiselle ? répéta-t-il
Je suis pétrifiée. J'arrive avec difficulté à bafouiller quelques mots insensées;
- Je…Oui, oui, excusez moi. Je pars tout de suite, je suis désolée.
Je prends mes jambes à mon cou et sprinte pendant cinquante mètres avant d'être interrompue ;
- attendez mademoiselle ! N'ayez pas peur, c'était magnifique.
- …Vraiment ?
- Vraiment, revenez quand vous voulez.
- M…merci beaucoup
Sur le chemin du retour, ces mots me turbinent dans la tête. Je traverse un grand parc plein de tulipes. Je commence bientôt l'école. Pas en Italie, mais ici. Je ne sais pas du tout qui je vais rencontrer. De toute façon, si j'étais bizarre et différente des autres a Venise, il n'y a pas de raisons que je ne le sois pas ici. Au contraire, vu la première impression que m'ont donné les gens qui vivent en France… je ne pas "les français" parce que je suis née en France et que je suis française. Quoique, j'ai peut être aussi les caractéristiques d'un français.
Les vibrations de mon téléphone me font sortir de ma bulle. Maman est affichée en grand sur mon écran.
- Enola, je vais faire une commande de fringues. J'ai trouvé sur La Redoute des chaussures rouges mignonnes comme tout ! Tu les veux ?
Des chaussures rouges ?
- Oui, pourquoi pas ? Les miennes sont toutes trouées.
- D'accord ma puce ! Ne reviens pas trop tard, d'accord ?
- Oui maman, bisous
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