Où les témoins témoignent

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Nicole Baratin est une jeune femme charmante et discrète. Malgré ses trente ans, elle agit comme si elle en avait douze. Son appartement, anciennement partagé avec Evelyne Grudeau, était petit mais coquet, avec une fraîcheur enfantine indéniable. Surtout sur les murs où des dessins d'arc-en-ciel concurrencent ceux de poneys. Apparemment, la jeune femme n'avait pas réalisé la mort de son ancienne amie, car, quand je lui dis que j'étais venu lui parler d'Evelyne, elle me demanda :

« Pouvez-vous me dire quand elle va revenir car elle doit me dire quelque chose. »

A ce style de question, je préfère laisser les psys répondre. Je continue sans prêter garde à cette dernière phrase.

« Est-ce que vous connaissez votre voisin du dessus, un certain... »

Je consultais des notes sur mon calepin.

« ... Benoît Carmadan ?

- Oui, il est très gentil. Souvent, il nous laisse caresser son chien, Ange.

- Et cet « Ange », vous avait-il montré des signes d'agressivité auparavant ?, rebondis-je.

- Non. Il était gentil. Il aimait la chair salée cuite et nous léchait les doigts quand on lui en donnait. Ca faisait des chatouilles !... »

Elle fait une pause. Les yeux levés, elle repense probablement à ce léchage de mimine.

« Mais vous savez ?, reprend-elle, ses yeux pétillant d'espièglerie. Il faisait l'amour tout le temps.

- Benoît ?, me demandais-je à voix haute.

- Non, son chien. Il faisait l'amour à toutes les chiennes du quartier. On le voyait souvent avec Evelyne le soir à travers la fenêtre. »

Elle désigne la fenêtre en question. Un rapide coup d'œil me permet de voir qu'elle donne sur une sorte de terrain vague commun à tous les arrières des immeubles environnants.

« Maintenant, il faut que je regarde Margot à la télé ! », déclare-t-elle soudainement. Elle se retourne et va coller sa figure à deux centimètres de la télé. Sans prévenir. Malgré mon ignorance en handicap mental, je comprends bien que c'était la fin de notre entretien. Je sors.

Je descends à la cave. Tout le secteur avait été passé au peigne fin par la police scientifique. Chaque gravillon avait été numéroté, chaque entaille avait été codifiée, chaque élément avait été marqué. C'était assez difficile de rentrer dans la cave sans fouler du pied des preuves ou des marques. D’un rapide coup d’œil, je juge qu'il n'y a rien d'intéressant. Du coup, je rentre chez moi.

Alors que j'étais en chemin, je reçois un appel du légiste. Il me dit que a victime avait sur la nuque, les aisselles et le pubis des sécrétions canines.

« Vous pouvez me répéter ça ?, m'exclamais-je abasourdi.

- La victime avait sur elle des sécrétions canines dans ces trois endroits précis, répéte le légiste.

- Qu'est-ce vous entendez par « sécrétions canines » ?

- Des règles de chienne, répond-il abruptement. »

Ainsi, c'est pour cette raison que Roussi avait repéré le corps de loin. Car malgré sa paresse et son handicap d'odorat, il était bon cavaleur.

« Donc... Une chienne s'est... frottée sur la victime ?, demandais-je au médecin.

- Non, elles sont trop localisées. C'est comme si on lui avait appliqué un gel aux sécrétions canines, même si ça paraît absurde.

- Alors ce serait un meurtre et non un accident. Ces sécrétions ont attiré le pitbull qui a agressé sexuellement la fille.

- Drôle façon de tuer quelqu'un, pense à voix haute le médecin. »

Je raccroche le téléphone, perplexe. Comment peut-on badigeonner quelqu'un d'un gel à base de règles de chienne sans qu'il ne s'en rende compte ? Ou sinon, quelqu'un a profité de la « naïveté » - euphémisme pour son handicap - de la victime. Mais l'odeur devait être horrible. Et puis, où trouver des sécrétions canines en quantité suffisante ? Ce nouvel élément ravive mon intérêt et m’incite à surpasser ma fatigue. Je détourne ma voiture en direction du commissariat.

Le principal suspect, Benoît Carmadan, est un jeune homme tout ce qu'il y a de plus normal. Réveillé en pleine nuit, amené abruptement les menottes aux poignets au commissariat, je le trouve un peu désorienté en face de moi.

« Benoît, je veux être clair : je suis la seule personne qui peut t'innocenter. Si je n'ai pas de nouveaux éléments d’ici demain, tu seras condamné pour meurtre involontaire, ce qu'il te vaudra vingt ans de prison au moins. »

Il me regarde hébété, sans rien dire.

« Il faut que tu m'expliques ce qu'il s'est passé.

- J'ai déjà tout dit à vos collègues. Je ne sais pas quoi vous raconter d'autre.

- Ton chien était-il agressif ?

- Non, pas du tout !, s'exclame-t-il. J'ai pris une année complète de cours de dressage pour le contrôler. Il est très obéissant. On a même eu un diplôme ! »

Je le regarde. Benoît a apparemment des difficultés à bouger son bras droit.

« Montre-moi ton bras. Relève ta manche. »

Il paraît inquiet. Mais il s'exécute. Sa manche retroussée dévoile une énorme morsure relativement récente.

« Comment t'es-tu fait cette blessure ? Ton chien t'a mordu ?

- Non, ce n'est pas exactement ça. J'ai participé avec Ange à un cours d'attaque. J'avais mal mis ma combinaison de protection. Et, comme il a une mâchoire puissante, il a transpercé le rembourrage. »

Son discours paraît correct, mais quelque chose cloche dans son attitude.

« Tu sais Benoît, je n'y connais pas grand-chose en chien, et donc j'aurais tendance à te croire. Mais je suis assez doué pour détecter quand quelqu'un me ment. Et là, j'ai l'impression que c'est le cas. Alors si je ne me trompe pas, dis-moi la vérité. »

Il hésite. Son visage le trahit car il se mord la lèvre nerveusement.

« Tu sais, vingt ans c'est long », ajoutais-je.

Il garde le silence. Je peux voir les rouages tourner dans son crâne. Je garde le silence pour le laisser arriver à la seule conclusion viable.

« De toute façon, ça ne change pas grand-chose, se dit-il à voix haute. Je ne me suis pas fait cette blessure à un cours. Hier soir, alors que je sortais avec Ange, il m'a soudainement mordu violemment puis a filé dans l'escalier. J'ai essayé de le suivre, mais je l'ai perdu. Alors je suis allé dans la rue pour le chercher. Mais lorsque je suis revenu, la police était là et Ange était tranquillement rentré à la maison. Son tablier était tout ensanglanté. J'ai pris peur et je n'ai rien dit. De toute façon, maintenant je suis foutu. »

Cette révélation confirme mes doutes. Le chien a été pris de rage, au point de mordre son propriétaire.

Maintenant qu’il a avoué, Benoît me regarde, interrogateur.

« On m'a dit que si je racontais cette histoire, cela prouverait que Ange était agressif, et que mon cas s'aggraverait.

- Va te reposer, dis-je. En me la révélant, tu t'es peut-être sauvé la vie. »

Un policier le ramène en cellule.

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