Mattia se concentra sur ses mouvements et figea son corps dans la posture du Triangle, puis enchaîna sur celle de l’Arbre avant de finir par celle du Guerrier. Le yoga lui permettait de gainer ses muscles et de méditer chaque matin, avant de commencer sa journée. Le petit ruisseau glougloutait en contre bas et l’air sentait l’herbe fraîchement coupée. La toge ample et immaculée de Mattia devenait éblouissante sous la lumière du soleil. Ses pieds nus, bien ancrés sur le sol, disparaissait sous les touffes folles de graminées, tandis que la peau laiteuse de ses bras découverts profitait de la brise. Ses muscles se tendirent et adoptèrent la pose de l’Angle Puissant. Enfin, la séance se termina par la pose du Chien et celle de l’Enfant.

Mattia alla se rincer dans l’eau fraîche du court d’eau, son épiderme criblé par la chair de poule. S’allongeant sur l’herbe, encore humide par sa baignade, Mattia se laissa sécher tout en laissant vagabonder son esprit. Ses courtes mèches noires lui collaient au crâne et ses yeux vert d’eau étaient à demi fermés. Ses lèvres pulpeuses adoptèrent une moue agacée lorsque que des fourmis décidèrent de lui grimper dessus et de se perdre dans les sillons que formaient ses abdos parfaitement dessinés. Les insectes furent chassés d’un revers de main. Mattia resta ainsi près d’une heure avant de réenfiler ses vêtements sur ses épaules carrées. Du haut de son mètre cinquante, Mattia n’était que muscles et tendons. Malgré son visage fin et délicat, son corps était robuste, ses jambes athlétiques, et ses bras costauds. Toutefois, ce corps dégageait une impression de fragilité, peut-être due à l’innocence qui en habitait le visage. Au loin, une alouette chanta. Un grillon vint se joindre à elle, puis ce fut le tour d’une grenouille. Mattia inspira et laissa sa voix emplir l’air et compléter cette mélodie. Son timbre était doux et puissant. Un chevreuil arrêta de brouter pour lever les yeux afin de trouver l’origine de cette mélopée. Les animaux se figèrent, enveloppés par ce charme musical. Quand Mattia stoppa brutalement son chant, la nature reprit vie et le temps recommença à s’écouler normalement.

De retour en ville, Mattia longea l’Arno. Un vendeur à la sauvette l’interpella : « Ragazzino, vuoi qualcosa ? ». Comme il n’obtint aucune réponse, il abandonna et alla harceler une autre personne. La ville de Florence grouillait de touristes en cette période. Ils tenaient tous une glace à la main, essayant tant bien que mal de la manger avant que la chaleur ne la fasse totalement fondre, de la crème dégoulinant partout entre leurs doigts. Un groupe de japonais s’extasiait devant le Ponte Vecchio, se prenant en photo en s’exclamant « Suuugoi ! ». Mattia les dépassa sans leur adresser un regard et s’engouffra dans une des artères de la ville pour rejoindre la Piazza della Signoria puis la Piazza del Duomo. L’imposant édifice de marbre offrait aux visiteurs son architecture bicolore colossale mais Mattia continua son chemin et dépassa le campanile pour continuer plus au Nord. Une fois la cohue des touristes laissée dans le centre-ville, Mattia rejoignit ses appartements : un immeuble médiéval discret, typiquement florentin.

« Buongiorno, Signore Mattia ! Que piacere aver un sole cosi, vero ? » Le concierge eu pour seule réponse un hochement de tête de son locataire. Quel petit malpoli, celui-là, pensa-t-il. Il l’entendit grimper les marches rapidement, claquer la porte et pousser un cri de surprise. Il ne s’en soucia pas plus que ça, il avait d’autres chats à fouetter que de s’intéresser aux imprévus de la vie de ce minet androgyne. A l’étage, un filet de chaînettes d’argent armées de pics bloquait Mattia au sol, s’enfonçant dans sa peau au moindre mouvement. « Je te tiens petit, tu es à moi maintenant ! » déclara l’homme, avant de tirer avec son fusil tranquillisant.