Lorsque je terminai de remonter le mécanisme, je consultai l’heure sur mon téléphone portable. Il me restait plus de vingt minutes avant de lancer la mélodie des ondes qui, durant plusieurs heures, allait se répandre dans le monde. En attendant, je vérifiai la tension des câbles du sonateur. Le plus long mesurait près d’un mètre cinquante. C’est lui qui délivrait l’onde la plus grave. Je frappais à l’aide d’un petit maillet, et vérifiai l’exactitude de sa tonalité à l’aide d’un programme sur mon téléphone portable. Les anciens le faisaient à l’oreille, les progrès de l’électronique permettaient une plus grande précision tout en étant plus rapide. Il y avait quatorze câbles à contrôler, mais la plupart étaient déjà parfaitement accordés. À l’heure précise qui convenait, je mis en marche le mécanisme. Les petits marteaux se mirent alors à frapper les filins métalliques dans l’ordre et le rythme immuable défini des siècles auparavant. Chaque vibration produite se transmettrait alors à la roche de l’instrument, elle-même connectée par sa racine enterrée au mégalithe géant que formait la flèche de la basilique Saint Michel. Et ainsi les ondes protectrices se répandraient dans l’espace, entre l’air et le sol, entre l’atmosphère et la lithosphère, jusqu’aux confins l’univers terrestre, et peut-être même au-delà. C’est ainsi que, depuis la nuit des temps, les hommes communiquaient avec les dieux, et c’est ainsi que, depuis la nuit des temps, les hommes entraient en harmonie avec les éléments du cosmos. Des mégalithes les plus primitifs, simples pierres levées à la pointe encore arrondie, jusqu’aux plus grands bâtiments qui pointaient vers le ciel comme les pyramides, en passant par les obélisques majestueux, l’homme a toujours cherché à communiquer à l’aide de ses sortes d’antennes lithiques qui avaient le pouvoir de transmettre les vibrations de très basses fréquences. Le pouvoir de l’énergie cosmo-tellurique que ces ondes transportent leur permit, dès qu’ils le maitrisèrent, d’infléchir « les choses dans le temps ». Car toute chose, matérielle ou immatérielle, existe en partie ou en totalité par son contenu énergétique. La vibration de « l’énergie composante » change et donne la forme de l’objet : ce fut longtemps la seule découverte qui aille au-delà de toutes les autres. Jusqu’à ce qu’on trouve le secret cherché durant des siècles par les alchimistes, le secret de la transmutation de la matière qu’on utilise maintenant dans les centrales et les bombes nucléaires. Mais cela est une autre histoire qui concerne une autre dimension. Moi, j’étais de ceux qui encore manipulaient l’ancien secret et, chaque fois qu’on me l’ordonnait, je libérai la grave et sombre mélodie protectrice à travers la flèche qui servait de mégalithe, dans la nuit froide jusqu’au petit matin. Je faisais confiance au mécanisme mis en marche : le ressort épuisé dans quelques heures l’arrêterait de lui-même. J’observais cependant les premières mesures pour me rassurer de son bon fonctionnement, puis je quittai les lieux par le chemin inverse d’où j’étais arrivé.