Violetta.
24 mai 1886.
Je me suis souvenue que Monsieur Jean avait attiré mon attention sur la présence de ce temple protestant dont on ne trouvait plus trace, mais il n'avait pas évoqué la crypte. A la bibliothèque, ni manuel, ni plan n'en faisait mention.
Or, je sais qu'il y a un caveau car l'ermite me l'a dit et qu'une porte située dans le temple donne accès à celle ci. Comment expliquer cela autrement ?
Ou ferais-je partie de ces êtres capables de double-vue ? Le temps linéaire n'existerait-il pas pour moi ? Le passé et le présent seraient-ils confondus en une même et unique notion ? L'espace et le temps seraient-ils mêlés dans mon esprit libéré de toute entrave liée à mes sens ? A moins que ce ne soit une déduction logique que ma conscience m'a fait prendre pour quelque chose de tangible, de réel. Après tout, trouver un site funéraire à proximité d'un lieu de culte est plausible...
La porte qui s'est entre-bailléee sur le monde des morts était bien réelle. Au-dessus de celle-ci, une arcade sur laquelle était inscrit, en français, un verset biblique : "Ils ne sont pas perdus mais ils nous ont devancés, ainsi ne crains pas. Crois seulement".
Sur les murs gris étaient peints des Tables de lois. Au sol, de simples dalles, laissaient entrevoir quelques épitaphes : "Le soir venu, Jésus dit : "Passons sur l’autre rive". Ou encore : "Que ta volonté soit faite". Puis venaient des noms à peine lisibles dans la semi- obscurité du caveau. A droite, une stèle : Ci-git - Gilles de Mancy - 1540-1578, puis une autre : Amaury de Mancy : 1546 -1572.
Au milieu de la salle funéraire, à la faveur de ma lampe, j'ai aperçu une sorte de petit cercueil posé sur un piédestal en granit. Il semblait être fait d'une autre matière que le bois ou la pierre. D'un geste de la main, j'ai chassé la poussière sur ce qui me semblait être un couvercle. Ce que j'ai découvert, alors, m'a tétanisée. A l'intérieur d'une tombe en verre, comme une poupée en porcelaine dans sa boîte, était allongée une petite fille. Ses yeux bleu-marine étaient grand ouverts. Son regard semblait songeur comme si elle s'accordait un moment pour rêver. Son petit nez retroussé et ses lèvres à peine boudeuses accentuaient le côté poupin du visage. Une empreinte rose rafraîchissait ses joues. Quelques boucles brunes adhèraient à son front embué d'une légère transpiration. Elle se reposait certainement après avoir couru au grand air, dans les champs. C'est du moins ce que j'imaginais car la momie avait l'apparence de la vie. Sa tête était couronnée d'un diadème serti de fines pierres mauves. Sa robe de dentelle blanche était serrée à la taille par une ceinture de couleur violette nouée à l'aide d'une broche en or. Ses petits bras étaient repliés en croix sur son sein. Seule, cette position évoquait la mort. Le nom de l'enfant était gravé dans le verre en lettres d'argent. Violetta de Mancy - 1564 -1574. L'embaumeur, comme un magicien, avait su préserver sa beauté, peut-être pour l'éternité. Mon coeur battait très fort et je ne pouvais détacher mon regard de cette vision qui tenait du songe et du néant.
J'ai refermé la porte à regret. C'est alors qu'en me retournant, j'ai aperçu à quelques mètres, la fillette. Son regard rieur m'invitait à la suivre. Elle portait la même robe en dentelle blanche et tenait dans l'une de ses mains, une poupée de chiffon. Tout comme l'ermite, elle communiquait avec moi par la pensée.
- Suivez-moi, me dit-elle, je vais vous montrer là où j'habite.
Que pouvais-je redouter d'elle? Je la suivais sans me poser de questions. Nous avons contourné le temple et longé un tunnel. Puis nous sommes parvenues à une haute porte en fer, ouverte sur la cour intérieure de la forteresse. Celle-ci me semblait à la fois familière et étrangère. Je ne saurais expliquer pourquoi. Tout à coup, j'ai aperçu deux donjons reliés par une coursive, qui se découpeaint sur le bleu du ciel. Où étais-je ? Maintenant ou jadis, ici ou ailleurs ? La fillette, par ses cris joyeux, m'a sortie de ma torpeur.
- Maman ! Viens voir ! J'ai une nouvelle amie, elle s'appelle Emma, dit la petite fille, en entrant dans une antichambre. La hotte de l'imposante cheminée en pierres était décorée par les armoiries léonines de la famille de Mancy. De riches tapisseries aux arabesques blanches et ocres couvraient les murs.
Sa mère, qui était assise dans un fauteuil en velours rouge, travaillait à son ouvrage de broderie. Elle n'a pas lèvé les yeux vers sa fille car elle devait prendre garde de ne pas se piquer avec l'aiguille.
- Emma ? C'est un joli prénom ! Elle a ton âge ?
- Non, c'est déjà une demoiselle. Elle a 26 ans. Et ses yeux sont verts comme ceux de Mitsy.
- Où est-elle ? a demandé la jeune femme, en se redressant.
- Elle est avec moi. Là, tout près !
- Mais... Je ne la vois pas.
- Si maman. Elle te sourit et elle est très jolie.
Marie était un peu inquiète, tout à coup.
- Non, je t'assure, je ne la vois pas ! Tu as beaucoup d'imagination, Violetta ! Alors, tu t'inventes des amies, maintenant ? Supposons qu'elle existe ! Tu ne pourras pas jouer avec elle, elle est trop âgée pour toi !
- Non maman. Je n'invente rien. Emma est bien réelle. Elle m'a dit qu'elle me raconterait des histoires, celles du temps futur, quand la lumière de la foudre serait emprisonnée dans des petites boules en verre pour éclairer la nuit...
J'ai promis à Violetta de revenir le lendemain. J'ai repris le même chemin qu'à l'aller sans oublier ma lampe, laissée à l'entrée du souterrain. J'ai trébuché sur une pierre et me suis évanouie. Quand je me suis réveillée, la clarté de la lune versait des lueurs pâles sur la muraille.
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