CHAPITRE 6
CHAPITRE 6
Il passa presque deux semaines dans sa petite chambre blanche à broyer du noir et demander des nouvelles de Mara. Comme bien trop souvent, les paladins de Balgröm, l'élite de la garde, avaient décidé d'arrêter la poursuite. Ils considéraient que passé les terres humaines, les prisonniers n'avaient plus aucune chance de rentrer en vie. La nouvelle déplut fortement à Molkov qui prit à partie plusieurs infirmiers pour faire venir leur chef à l'hôpital. Sans succès. La société, son psochologua, tout le monde voulait qu'il lâche l'affaire et reprenne le travail. Mais Molkov ne comptait pas perdre la seule et unique famille qu'il lui restait.
Une fois libéré de sa convalescence, il prit sans tarder la route du quartier militaire, situé un étage plus haut. Même si les nains étaient pacifistes, leur équipement était l'un des plus dangereux de Tyrnformen. Cela faisait bien longtemps que les guerriers à pied avaient été améliorés ou remplacés par des machines de plus en plus puissantes et de plus en plus meurtrières. Cependant, la plupart d'entre elles prenaient la poussière. Si tous ces prodiges technologiques servaient à l'extérieur, dans la montagne aux parois fragiles, elles étaient strictement interdites pour éviter tout éboulement aux conséquences catastrophiques. Puisque les nains ne sortaient plus que rarement, tout cet armada technologique ne leur servait à rien.
Partout où Molkov posait son regard, des gardes jouaient aux cartes ou patrouillaient en discutant, insouciants. Ils n'avaient presque jamais de travail, et leurs interventions en ville se limitaient à la gestion des bagarres de bars et du tapage nocturne. Cela expliquait leur lenteur et impuissance lors d'attaques extérieures : la plupart s'engageaient pour avoir un salaire stable et des journées courtes, aucun d'entre eux n'avait reçu de vraie formation pour utiliser ne serait-ce qu'une arme. Et cela rendait fou le vieux nain. S'ils avaient été plus compétents, Mara serait toujours en sécurité.
Les traces du passage des orques étaient toujours visibles. Outre les bâtiments abîmés, plusieurs douilles de balles et des traces de sang séchées recouvraient encore le sol par endroit. La bataille avait été rapide mais violente, beaucoup de soldats et de civils étaient tombés sous les épées ennemies. Des brancards militaires traînaient encore ici et là, abandonnés.
Les civils qui se promenaient au niveau deux étaient rares et son âge ne tarda pas à attirer l'attention des officiers aux alentours. On lui adressa d'abord des regards curieux, puis méfiants, avant qu'un sergent, reconnaissable aux deux tresses fines sur le côté droit de sa barbe, ne l'intercepte au détour d'une rue. Plutôt jeune, il avait l'air fatigué et mal à l'aise. Molkov en déduit qu'il ne faisait pas partie de l'armée depuis très longtemps. Après chaque attaque, des gamins montaient en grade aléatoirement sans rien connaître au métier.
— Je peux vous aider, monsieur ?
— Je veux parler au général des armées, répondit Molkov.
Le visage du gamin passa de l'inquiétude à la surprise. Personne ne demandait jamais à voir le général des armées, à moins d'être une personnalité politique ambitieuse et avec beaucoup d'argent. Cette demande inhabituelle rendit anxieux le petit sergent qui se mit à sauter d'un pied sur l'autre avec hésitation : de toute évidence, il ne connaissait pas la marche à suivre.
— C'est que... Enfin... Ce n'est pas possible, monsieur. Le général est un homme très occupé et il ne reçoit pas les civils comme ça, sans prévenir. Je... Pourquoi vous voulez le voir ?
— Ma petite-fille a été enlevée par les orques. Et je ne compte pas rester ici sans rien faire contrairement à vos paladins. Si vous ne m'aidez pas, j'irais tout seul.
Il tourna les talons et reprit la direction du Haut-Commandement, un bâtiment trop luxueux pour avoir été construit honnêtement et qui brillait comme un phare dans la nuit au-dessus des habitations mal organisées des soldats. Le sergent le rattrapa en petite foulée.
— Je vous accompagne. Je... Je ne veux pas vous attirer de problèmes.
— Merci. C'est quoi votre nom ?
— Sergent Dagorn Vigum, monsieur, troisième régiment de défense des portes.
— Molkov, se présenta le vieil homme. Manaor.
Les deux hommes grimpèrent les marches qui menaient aux hauts quartiers de l'étage en silence. Plusieurs paladins de Balgröm leur adressèrent des regards méprisants pour leur indiquer qu'ils n'avaient rien à faire là. L'intégralité des hauts-quartiers étaient réservés à l'élite de la montagne : des gosses enlevés jeune à leurs parents au nom de la foi de Balgröm et dressés à tuer jusqu'à leur mort. Une voisine avait perdu son fils comme ça. En quelques mois, le garçon souriant s'était métamorphosé en âme vide, obnubilé par le sang et la guerre. Même si personne n'osait contester cette tradition par peur des représailles, peu de personnes étaient favorables à ce traitement, peu importe l'argent qu'il rapportait à la famille du paladin. Pour beaucoup de nains, donner son fils à Balgröm était vécu comme un deuil. De toute façon, les gamins ne vivaient jamais bien vieux. Quand ils ne mouraient pas accidentellement en entraînement sous les coups d'un de leurs compagnons, ils mouraient face au premier orque qu'ils rencontraient. Ceux qui atteignaient les trente cycles par miracle rentraient dans le Haut-Commandement et n'en sortaient généralement plus jamais.
— Pourquoi t'es-tu engagé ? demanda Molkov à son compagnon de route. Tu es encore jeune, tu aurais pu avoir une meilleure vie.
— Mon frère est paladin, expliqua t-il. Je n'ai pas eu le choix. Mon père m'a envoyé m'engager à seize cycles pour apporter autant de fierté que mon aîné sur notre famille. Ce n'est... Ce n'est pas si mal ici. On fait beaucoup de paperasse et de descente en ville, mais ça n'est jamais très grave. Enfin, jusqu'à ce qui est arrivé il y a deux semaines. Mon sergent est mort au combat et j'ai dû le remplacer. Je n'ai pas eu mon mot à dire. C'est un honneur, mais c'est beaucoup de responsabilité. Je dirige six hommes, et je n'ai pas l'autorité qu'avait le précédent chef. C'est compliqué. Je dois vous embêter avec mes histoires. Et vous ? Vous êtes dans la mana depuis longtemps ?
— Oh, je crois bien que t'étais même pas encore né la première fois que j'ai mis un pied là dedans. Je suis en repos forcé depuis ce qui s'est passé dans la zone stérile. J'y étais.
Le regard du jeune nain s'illumina.
— C'est vous qui avez tenu barrage en bas ?
— Le barrage a vite cédé, mais oui. Ils m'ont bousillé le torse et le ventre à coup d'épées et ils sont partis avec ma petite-fille.
— Je suis désolé pour votre perte. J'espère que vous la retrouverez.
Sa sincérité toucha le vieux nain. Ils accédèrent enfin au bâtiment aux façades dorées éclatantes. L'entrée, gardée par des paladins, donnait l'impression d'entrer dans une autre dimension tant les portes de bois étaient grandes. Nerveux, le sergent se mit au garde-à-vous lorsque les gardes l'interceptèrent.
— Ce quartier est réservé aux officiers de grade six, veuillez quitter les lieux, sergent.
— J'escorte un civil qui a besoin d'accéder aux quartiers du Général Barg.
— Pour quelle raison ? demanda le paladin d'une voix neutre à Molkov. Vous ne pouvez pas entrer sans autorisation.
— Ma petite-fille a été enlevée par les orques sous mon nez, et je voudrais en parler avec le général. Je suis l'homme qui était dans la zone stérile pendant l'attaque.
Le paladin hésita un moment, le détailla de haut en bas.
— Je vais avertir le général de votre présence. Il décidera.
Il s'inclina et rentra dans la forteresse. A côté de lui, le sergent poussa un soupir de soulagement.
— Je ne sais pas ce que vous espérez, lui dit Dagorn. Le général ne va pas déplacer des hommes pour votre petite-fille. Les ressources sont limitées dans la montagne.
— Je sais. Mais s'il refuse de me donner ce que je veux, alors je m'engage dans l'armée et j'irais la chercher moi-même.
— Pardon ? Molkov, enfin, ce n'est pas raisonnable. Vous êtes un vanarable, pas un soldat. Dehors, c'est dangereux.
— Ce n'était pas une question, sergent. J'ai perdu ma femme et ma fille, elle est tout ce qui me reste.
— Mais en vous engageant, vous ne pourrez plus retourner à la mana.
— Je suis trop vieux pour ça de toute façon.
L'obstination du vieillard inquiéta le jeune sergent. Ils se turent tous deux à l'arrivée du paladin.
— Le général va vous recevoir. Sergent, escortez-le jusqu'au Haut-Commandement.
Dagorn poussa un soupir et lui ouvrit la voie sans grand entrain.
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