SCENE QUATRE
Changement de décor. Une ancienne taverne en pierres grises qui a été réaménagée en un repaire de bandits. Une table longue d'une dizaine de mètre est située au centre de la pièce, des tables similaires ont été retournées et plaquées contre les murs. Au plafond, un vieux lustre et dans le fond, un comptoir sur lequel est entassé des barils et des coffres. Un homme, assis tout au bout de la table dans un épais fauteuil, déjeune.
Soudain, Nez de Requin entre dans la pièce par l'unique porte située à droite, en haut d'escaliers en pierre.
NEZ DE REQUIN
Monsieur ?
Nez de Requin descend les marches et s'approche avec hésitation de son chef occupé à savourer une soupe aux poix.
NEZ DE REQUIN
Encore un, monsieur.
Scar s'immobilise, cuillère au-dessus du bol.
SCAR
Qui ?
NEZ DE REQUIN
Odin.
D'un air furieux, Scar tape du poing sur la table avec sa main libre. Après quelques secondes, il se calme.
SCAR
Il ne le méritait pas… Cela se répand comme des gnomes dans un jardin. Il va falloir trouver une manière d'y mettre un terme et vite !
NEZ DE REQUIN
Oui, monsieur.
SCAR
Qu'ont-ils fait du corps ?
NEZ DE REQUIN
Du corps ?
SCAR
De ce qu'il reste de lui, je veux dire.
NEZ DE REQUIN
Oh, ils attendent vos instructions. Mais, Willy suggère qu'on l'offre au vent durant une cérémonie honorifique.
SCAR
Un hommage, oui… ça sera très bien.
Satisfait, Scar lâche sa cuillère de soupe et s'attaque à un épais morceau de pain. Nez de Requin reste là à l'observer, indécis.
SCAR
Autre chose ?
NEZ DE REQUIN
Eh bien, oui. Votre cousin demande à vous voir.
SCAR
Qu'il entre. Mais dis-lui bien que je n'ai pas de quoi le nourrir à ma table. S'il vient pour se goinfrer, c'est inutile.
NEZ DE REQUIN
Je lui dirai, monsieur.
Nez de Requin repart par où il est venu.
SCENE CINQ
A la suite du serviteur entre Filon, un homme aux cheveux gras portant des habits de bonne famille mais pleins de terre et des bijoux n'ayant rien en commun les uns des autres. Il s'arrête en haut des marches et écarte les mains d'un air accueillant.
FILON
Très cher cousin ! Comment vas-tu depuis la dernière fois ?
Il descend les escaliers et rejoint son hôte.
SCAR
Maussade. Je viens de perdre un homme. Encore un.
FILON
Oh, tu m'en vois désolé… (Un regard vers la table) Nez de Requin m'a dit que tu n'avais plus rien à déguster ?
SCAR
En effet.
FILON
Quel dommage… Quand un homme en est réduit à refuser le souper à l'un de ses invités, c'est que le monde ne tourne vraiment plus rond, n'est-ce pas ?
SCAR
Je ne t'ai pas invité.
FILON
Eh bien tu aurais dû, car j'ai une solution à ton problème. Puis-je au moins avoir un morceau de pain ?
Scar, agacé, balance l'intégralité de son pain en direction de son cousin qui s'assoit à sa droite. Filon commence immédiatement à le déguster tandis que Scar retourne à sa soupe.
FILON
Qui est mort ?
SCAR
Odin.
FILON
Aïe, le pauvre vieux. Il était redoutable dans son genre.
SCAR
L'un des meilleurs. Tu as dit avoir une solution à mon problème ?
FILON
Moui… Cette épidémie est terrible, vraiment terrible… La Cité Sans Nom perd des dizaines d'hommes chaque jour. Non pas que cela m'attriste, pour la plupart ils l'ont bien mérité en ce qui me concerne, mais lorsque cela commence à toucher nos propres rangs… là, c'est une autre histoire !
SCAR
Je ne laisserai pas la maladie du sable décimer la totalité de mes hommes !
FILON
Oh, mais j'en suis persuadé. C'est d'ailleurs pour cela que je suis ici.
SCAR
Eh bien ? Parle ! Je t'ai donné mon pain, non ?
FILON
As-tu déjà eu affaire au croque-mort ?
SCAR
Le croque-mort ? Nous enterrons nous-même nos corps, tu le sais.
FILON
Oui, mais il est médecin également.
SCAR
Ah… un petit nabot ?
FILON
Celui-là même.
SCAR
Il a soigné certains de mes hommes, paraît-il. Je ne l'ai pas rencontré personnellement. Es-tu venu pour cela ? Me conseiller d'aller voir un médecin ? Il ne fallait pas te donner de la peine pour si peu.
FILON
Non, tu n'y es pas du tout ! Je doute que cet homme soit capable d'endiguer aussi aisément un virus transformant les hommes en êtres de sable. Cependant, vois-tu, il possède une créature des plus étonnantes qui, elle, le pourrait peut-être.
SCAR
Et quelle est-elle, cette créature ?
FILON
Un oiseau. Mi-aigle, mi-serpent. Qui, dit-on, est capable de soigner tous les maux de la terre d'un simple regard.
SCAR
Tous les maux ? Tu penses donc qu'il est en mesure de sauver mes hommes ?
FILON
Ecoute : l'oiseau regarde d'abord le malade, puis il prend tous les maux de celui-ci avec lui et s'envole. Lorsqu'il revient, les maux ont disparu et le malade est guéri.
SCAR
Toujours ?
FILON
Autant que le souhaite son maître, je peux te l'assurer.
SCAR
Je vois. Il faudrait que le croque-mort nous vienne en aide et utilise cet oiseau.
FILON
Hum, ce n'est pas exactement à cela que je pensais.
SCAR
Ah non ?
FILON
Imagine ce que tu pourrais faire si, au lieu de demander de l'aide à ce nain, tu devenais toi-même le maître de l'oiseau ?
SCAR
Alors il soignerait tous mes hommes, mais plus encore, toutes les personnes que j'aurais la bonté d'aider…
FILON
Et alors tout le monde voudra travailler pour toi ! Imagine un instant, la cité prise par cette épidémie et seuls les tiens capables d'y résister… tu deviendras l'homme le plus influent. Tu ferais ce que tu voudras.
SCAR
Ingénieux ! Il faudra alors dérober cet oiseau. J'imagine que tu as déjà tout prévu ?
FILON
Naturellement.
SCAR
Quel est ton plan ? L'attaquer lorsqu'il rentre de son travail ?
FILON
Non, non, non. J'ai bien mieux que ça. Le croque-mort garde l'oiseau comme ce qu'il a de plus précieux au monde. Si tu le lui vole, alors il viendra le chercher et l'animal ne voudra pas t'obéir, car il ne te reconnaitra pas comme son maître.
SCAR
Je vois… il faudrait que le croque-mort me concède lui-même l'oiseau, qu'il accepte de son plein gré de me le remettre, ainsi l'animal n'aura autre choix que de m'obéir. Mais comment ?
FILON
En s'attaquant à l'unique chose qui est à ses yeux plus précieux encore que son oiseau.
SCAR
Quoi ?
FILON
Plutôt qui. Sa servante. Une dénommée Blanche.
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