Perroquet esseulé cherche pirate à vendre
Allons bon, mon pirate vient de se faire brancher. Pas au courant électrique, nous ne sommes pas assez civilisés ni assez riches pour exécuter un nuisible avec des flots d’électrons vagabonds. Juste une corde de chanvre huilé nouée à point autour du cou et resserrée par le poids du coupable. De sa faute en fait, malgré la jambe manquante, il était encore trop lourd.
Bref, me voilà sans le pirate qui partageait ma vie depuis près de dix ans. Ce ne fut pas une vie commune simple. Il avait ses humeurs, moi les miennes, et nous nous en accommodions au gré et au malgré des pillages, rapines, abordages et beuveries. Dans l’ensemble, ce fut une belle aventure, gâchée par des obtus en uniforme au nom de la loi. Au jeu de la loi, nous sommes tombés sur la case « pendu » avant d’arriver à celle du trésor.
Je ne vais pas me laisser abattre, je suis un perroquet plein d’énergie, dans la force de l’âge et j’ai mis de côté une partie du magot mal acquis. Je vais voir si je peux me payer un nouveau pirate. Il existe des magasins spécialisés. Un ami, chien d’un député à géométrie variable, m’a refilé l’adresse et le numéro de téléphone de l’un deux. En plein Paris, dans une rue à trois pas de l’Assemblée nationale. Le palais Bourbon qu’ils disent. M’étonnerait pas qu’ils soient tous bourrés là-dedans.
— Rottenshop, à qui ai-je l’honneur ?
— Bonjour, vous êtes bien le magasin qui vend des gens malhonnêtes ?
— Oui, nous sommes, en effet, spécialisés dans tout ce que la société produit comme pourritures, enfoirés et saloperies. Nous disposons de la crème de la crème. Que cherchez-vous en particulier ?
— Je m’appelle Coco, je suis un perroquet et je viens de perdre mon pirate, rattrapé, pour mon malheur, par la justice. Donc, ben voilà, je cherche un pirate ou quelqu‘un d’approchant.
— Vous trouverez votre bonheur chez nous, Monsieur Coco, pouvez-vous passer au magasin d’ici, disons deux heures, le temps de préparer l’assortiment ?
— Deux heures, parfait, je serai là. À tout à l’heure.
— Ah, Monsieur Coco, soyez le bienvenu. Veuillez me suivre, nous vous avons préparé une belle brochette de pirates, je suis certain que votre perle rare se trouve dans ce ramassis. Je vous ai même préparé un perchoir, avec de quoi vous rassasier et vous désaltérer.
— Parfait.
— Le client est roi, chez nous.
— Alors, qu’avez-vous à me proposer ?
— Voici Marielle. Un, ou plutôt une vraie pirate.
— Un ou plutôt une ? Je ne comprends pas…
— Marielle s’appelle, ou s’appelait, John Longsilver, et était un vrai pirate, comme dans les films. Plutôt que d’être pendu, il a accepté de suivre un programme de rééducation. Il a d’abord fait un stage de déconstruction d’un an chez une députée EELV, qui l’a tellement déconstruit qu’à la sortie, il a souhaité suivre un traitement hormonal, s’est fait castrer et se dénomme maintenant Marielle… Oh, même avec votre bec, je devine votre grimace.
— Que voulez-vous que je fasse de ça ? Qu’est-il ou elle est encore capable de faire ?
— Le tour des plateaux télé pour se plaindre et pleurer sur son sort, à cause de tous les méchants méchants qui ne le ou la respectent pas comme il ou elle estime devoir l’être.
— Non, ça va pas le faire…
— Attention à ce que vous dites, si vous émettez la moindre critique, vous devenez automatiquement un réactionnaire d’extrême-droite. Allez demander à la maman d’Harry Potter.
— En fait, j’aimerais avoir le droit d’être trans-j-en-ai-rien-à-battre.
— Impossible, plus dans notre société. L’époque où nous pouvions nous en battre les coucougnettes est terminée. Nous sommes à l’époque des non-binaires, mais les opinions autorisées n’ont jamais été autant binaires. Et encore, le plus souvent, vous n’avez qu’une option possible.
— Vous êtes philosophe ?
— Non, juste désespéré, mais on s’habitue. Je suis toulousain d’origine, nos ancêtres ont survécu aux croisades et à l’inquisition, nous leur devons de survivre à cette nouvelle vague.
— Puis-je voir les autres modèles ?
— Alors le suivant n’est pas un pirate stricto sensu, mais par la mentalité, c’est ce que j’ai en stock de plus approchant. Voici Simon, il est avocat et lobbyiste européen pour une grande entreprise chimique spécialisée dans les polluants éternels. Il est extrêmement efficace, une absence totale de scrupule, de moralité et d’honneur. Dans le style pourriture, difficile de faire mieux. Et en plus, rapport à votre pirate précédent, il ne risque rien, mais rien de la justice, même s’il est complice d’un génocide en gestation.
— J’hésite…
— Sinon, en plus soft, mais moins propre, nous avons le député socialiste. Avant chaque élection, il rentre dans le bureau de Mélanchon à reculons, pantalons et slip sur les genoux, pour se la faire mettre bien profond et conserver son siège de député.
— Puis-je lui poser une question directement ?
— Faites, faites…
— Question un peu indiscrète, mais... c’est douloureux ?
— C’est supportable, les gens de LFI ont surtout des grandes gueules. Un peu vexant, quand même, d’habitude, c’est nous, les députés socialistes qui avons l’habitude d’enculer nos électeurs. Je ne vais pas me plaindre, vu le salaire et les avantages d’être député, se faire péter la rondelle tous les deux ans est supportable.
— En fait, vous êtes une pute de luxe ?
— Je préférerais Call Deputy…
— Non, je suis désolé, celui-ci non plus, je ne le sens pas.
— Sinon, je peux vous proposer un nouvel article à la mode, qui se vend très bien, l’influenceur ou l’influenceuse. J’en ai une, toute fraîche débarquée de Dubai…
— Pourquoi a-t-elle ces deux énormes limaces sur la bouche ? C’est écoeurant.
— Ce sont ses lèvres…
— Non ?
— Si…
— Désolé, je ne pourrais pas, j’en ferais des cauchemars.
— Pourtant, pour faire du beurre avec de la merde, c’est une championne.
— Mais des vrais pirates, vous n’en avez pas ? Du brutal, du sanguinaire ?
— Vrai vrai pirate, vous voulez dire ? Laissez-moi réfléchir… ah si… J’ai le Somalien là-bas, le dernier. Lui, il a vraiment attaqué des bateaux.
— Trop cool. Et son histoire ?
— Pfff, des trucs à la con. Si vous les écoutez… Il était pêcheur, avec un petit navire de pêche à la voile, comme dans les contes de fées, mais comme les navires-usines chinois ont tout ratissé, il ne pouvait plus nourrir sa famille, alors il est devenu pirate. Il a attaqué des navires appartenant à des multinationales, et même un yacht à trois-cents millions de dollars. Je connais bien l’histoire, la princesse espagnole, propriétaire du yacht, a acheté son mari chez nous. Elle a eu peur, mais elle a eu peur, la pauvre. À cause de lui, là, qui va essayer de vous apitoyer. Ces gens-là ne respectent rien. Sanguinaire, pas vraiment, il n’a jamais tué personne. Peut-on le croire ? Un petit joueur. Après, il a traversé le Sahara à pied et la Méditerranée sur une coquille de noix, a failli mourir dix fois, mais a quand même survécu, la mauvaise herbe ne crève jamais, et maintenant, il est là, à encombrer mon magasin. Un bon à rien, pour résumer.
— Je le prends.
— Vrai ? Alors là, je vous fais un prix de solde. C’est comme pour les clébards, vous en trouvez un tout miteux dans la rue, vous avez pitié, et après, impossible de le revendre. Il fait tache dans mon magasin, à côté du député ou de l’avocat ou de Marielle, même à côté de la pouf de Dubai. Tenez, je suis dans un grand jour de bonté, je vous le donne. Si, si, parce qu’en fait, je ne peux pas vous faire de facture, il n’a pas de papier. Jusqu’au bout, il m’aura emmerdé...
Table des matières
Commentaires & Discussions
Tout se vend, tout s'achète... | Chapitre | 1 message | 2 semaines |
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion