The Butterfly's Death
sept ans plus tard
J'aimais profiter des plaisirs simples de la vie.
Chanter faux sur du Taylor Swift.
Lire et relire mes éternels bouquins.
Pleurer devant un vieux film romantique.
Poser la tête contre la fenêtre quand il pleuvait et me croire dans un clip.
Ma mère disait qu'il ne fallait pas se contenter de la simplicité quand on pouvait avoir mieux. Moi, je pensais que c'étaient ces petites choses de rien du tout qui rendaient la vie merveilleuse.
Je crois surtout qu'elle disait ça pour que je travaille. Comme un âne à qui on agite une carotte sous le nez pour le faire avancer, Maman m'appâtait avec son illusion du parfait avenir. Je ne pouvais pas lui en vouloir d'espérer le mieux pour moi, mais je ne voulais pas de son rêve.
Je laçai en vitesse mes Converses noires, fourrai mes livres dans mon tote-bag et descendis les escaliers quatre à quatre.
— Où vas-tu comme ça ? me demanda ma mère.
— Chez une amie ! criai-je en dévalant les marches.
— Comment ça, Lise ? rétorqua-t-elle avec une pointe d'ironie. T'es-tu enfin décidée à sortir un peu ?
Elle avait raison. Cela faisait longtemps que je n'avais pas organisé une sortie avec des potes ou une soirée entre filles. Deux ans jour pour jour dans trois semaines que j'avais coupé les ponts. Je n'ai jamais aimé en parler, surtout avec ma mère. Dès que je sentais le sujet revenir, je fuyais.
— Un point pour toi, lui concedais-je. Non, je vais à la bibliothèque.
— Mais c'est la deuxième fois cette semaine ! s'exclama Maman.
Ma mère était désespérée par le nombre de bouquins que j'engloutissais. Elle disait que ça me renfermait sur moi-même. Même si ma passion dévorante pour tout ce qui touche aux mots s'était développée ces trois dernières années, j'avais toujours aimé me plonger dans un de mes bouquins. Je repoussai mon vieux chat Achille, qui tenait apparemment vraiment à venir lire avec moi.
— Bisou, m'écriais-je à l'intention de ma mère en claquant la porte.
J'attendais le bus à l'arrêt en face de chez moi. Je fermai mon gros sweat noir, il commençait à faire froid par ce mois de novembre. Une fois dans le bus, je me coupai comme à mon habitude du monde extérieur grâce à mes écouteurs. Rien de tel qu'un peu de musique pour romantiser n'importe quel trajet.
Une fois arrivée à la bibliothèque de la Chimère, en plein centre, je pris mes habitudes. En deux ans, j'avais parcouru toutes les bibliothèques de la ville, mais celle-ci était ma préférée. Contrairement aux autres avec leurs bâtiments carrés et modernes, la bibliothèque de la Chimère me faisait toujours penser à un vieux manoir coloré. L'ambiance y était calme, mais chaleureuse ; le coin idéal pour travailler, lire ou se reposer. La Chimère était mon oasis.
— Bonjour Lise ! s'exclama la bibliothécaire avec un grand sourire.
— Bonjour Madame Callidus !
J'aimais bien cette jeune femme, avec son haut chignon décoiffé et ses petites robes à ruban un peu démodés. Elle travaillait ici depuis longtemps et, même si elle ne connaissait pas mes problèmes, elle m'avait beaucoup aidé à un moment où j'en avais vraiment besoin. Depuis le jour où je m'étais réfugiée ici, les morceaux de ma vie avaient doucement commencé à se recoller. Même si je m'étais consolidée, je n'avais toujours pas achevé de me reconstruire. Ces choses-là prennent du temps, avait dit ma psychologue. Madame Callidus m'avait montrée ses livres préférés, que je m'étais empressée de lire. J'étais restée des heures à dévorer romance, fantasy et science-fiction. Madame Callidus m'avait ouvert la porte de son univers, et je ne l'ai jamais plus quitté.
— Qu'est-ce que tu nous rapportes ? demanda malicieusement la bibliothécaire.
— Les livres que j'ai empruntés lundi. La new romance que vous m'avez conseillée est formidable.
— Tu les as déjà tous finis ? Tu lis à une vitesse !
Je ne savais pas si je lisais particulièrement vite, c'est surtout que j'avais le temps pour ça. Enfin, je prenais le temps. Quand je n'écoutais pas de la musique, ne peignais pas un énième portrait d'Achille ou ne me créais pas un nouveau moodboard sur Pinterest, je lisais. Selon moi, la vie était trop courte pour travailler. Je me contentais de faire ce qui me plaisait, sans me soucier du lendemain. Pour l'instant, je faisais en sorte d'aimer ma vie. Contre toute attente, elle m'était plus précieuse que tout.
Madame Callidus me déchargea de tous mes livres et les déposa dans un chariot.
— Si ça peut t'intéresser, on a eu un nouvel arrivage, me dit-elle en rangeant les livres. The Butterfly's Death. Je suis sûre que ça te plairait !
La mort du papillon ? Quel drôle de nom...
La bibliothécaire fouilla dans les étagères et me tendit un épais livre. Je l'attrapai et observai la couverture usée. Dans une ambiance très sombre, on pouvait y voir un majestueux papillon déployer ses ailes trouées au-dessus d'une scène de carnage où des crânes constellaient le sol. Très glauque... Cependant, les recommandations de Madame Callidus ne m'avaient jamais déçue.
— Je le prends !
— Super, je te laisse chercher d'autres lectures ! fit la jeune femme en retournant à son poste.
Ce livre m'intriguait, j'avais donc décidée de m'installer sur un pouf pour commencer ma lecture. Le style poétique de l'auteur me plut tout de suite. C'était ce genre de livres qui vous faisaient oublier que vous les lisiez, qui vous emportaient sans même vous prévenir dans leur univer. L'histoire suivait un jeune garçon, Luke, très mature et pourtant si innocent pour son âge. Je ne comprenais pas encore le rapport avec le titre, mais en même temps, je n'en étais qu'au troisième chapitre. Des voix un peu plus hautes que d'habitude me ramenèrent à la réalité. Je relevai la tête.
— Chuuuut, s'exclama Madame Callidus, furibonde. Nous sommes dans une bibliothèque, ayez un peu de respect pour les autres !
La bibliothécaire semblait parler à un jeune homme d'environ seize ans je pense, comme moi.
— Désolé, se reprit le garçon. Mais comprenez, j'ai vraiment besoin de ce livre !
Il paraissait réellement bouleversé, ses yeux bruns imploraient la femme.
— Une jeune fille est déjà sur le point de l'emprunter. Nous n'en avons qu'un exemplaire... Elle lit assez vite, vous n'aurez qu'à revenir la semaine prochaine.
— J'ai besoin de ce livre maintenant. Je vous en supplie...
— Alors, achetez-le en librairie.
Le jeune homme baissa les yeux, déçu.
— Vous ne comprenez pas, souffla-t-il. Cette fille, elle ne l'a pas encore emprunter ?
— Non, elle est en train de le lire, là-bas.
Madame Callidus me pointa du doigt, et je me rendis compte qu'ils parlaient de moi au même moment où, eux, découvraient que je les observais. Gênée, je me levai à leur rencontre.
— Madame Callidus, je demandai, quel est le problème ?
— Eh bien, je laisse ce garçon te l'expliquer, répliqua-t-elle, les lèvres pincées.
Je me tournai vers l'inconnu. Il était assez grand, et portait un sweat gris et un jeans. Il avait les cheveux blond foncé, bouclés. Il me regarda d'un air désolé.
— Tu es bien en train de lire The Butterfly's Death ? J'ai vraiment besoin de ce livre. Si ça ne te dérange pas...
— Bien sûr, le coupai-je.
Qu'est-ce qui me prenait ? Je ne savais même pas qui était cet inconnu, et pourquoi il voulait tant ce livre. N'empêche que je lui tendis naturellement The Butterfly's Death. Il me regarda d'un air interloqué.
— Merci, balbutia-t-il. Vraiment, merci !
L'inconnu s'empressa de l'emprunter et se dirigea vers la sortie. Arrivé à la porte, il se retourna un instant. Nos regards se croisèrent et il m'adressa un sourire charmeur. Puis il disparut.
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