Chapitre 5 - Charmante Viktorya
La pleine lune éclairait le parc du manoir. Dans la cour se dressait une fontaine en marbre monstrueuse. Les dieux de pierre s’affrontaient dans un éternel combat, faisant jaillir de leur colère une gerbe d’eau assourdissante. Cette fontaine écrasait le visiteur dès son arrivée, lui rappelant son infériorité. Intimidé, ce même visiteur devait frapper aux deux massives portes d’entrée. Il attendait qu’on vienne lui ouvrir sous l’œil moqueur des sculptures de bois. Une fois à l’intérieur, la décoration baroque surchargée soulignait la personnalité « nouveau riche » du propriétaire. Le hall du manoir, à la hauteur de plafond démesurée, s’ouvrait sur un escalier de marbre colossal. Celui-ci était recouvert d’un tapis de velours pourpre épais et duveteux. Les rampes se terminaient par deux lions immobilisés en plein saut. Toujours cet accueil écrasant.
- Madame n’est pas encore visible, monsieur Darlan. Elle vous prie de bien vouloir patienter dans le petit salon, dit le majordome en s’inclinant. Désirez-vous une collation pour patienter ?
Pierre Darlan hocha vaguement la tête, considérant à peine son interlocuteur.
À l’étage, dans ses appartements privés, Viktorya Sainclaire se prélassait dans un bain de lait d’ânesse et d’amande douce. Les vapeurs s’échappant de la baignoire centrale, répandant sa douce odeur d’amande. La tête rejetée en arrière, elle écoutait la voix suave de Rag’n’Bone Man. Elle chanta le refrain en même temps que lui et s’amusa de l’ironie des paroles dans sa bouche : « I’m only human after all, don’t put the blame on me. »
Une main hésitante frappa à la porte de la salle de bain.
- Entrez, Monsieur Berkins, ne soyez pas timide.
L’homme resta sur le seuil, mal à l’aise de se trouver dans la salle de bain de la maitresse de maison. La gouvernante était indisposée ce soir-là, il devait la remplacer.
- Qu’y a-t-il, Monsieur Berkins ? Je vous écoute.
- Monsieur Darlan souhaiterait vous parler. Je l’ai fait attendre dans le petit salon.
- Pierre ! Quelle bonne surprise ! Je sors de suite. Voulez-vous bien m’apporter mon peignoir sur la chaise, je vous prie ?
Le majordome se raidit. Il tourna vivement la tête lorsque Viktorya se dressa nue devant lui. Les gouttes de lait roulaient sur sa peau sans défauts. L’homme lui tendit de quoi se sécher, le regard obstinément cloué au sol. Elle ne semblait pas se préoccuper de ses états d’âme et continua la conversation.
- A-t-il laissé entendre pour quelles raisons cette visite impromptue ?
- Non, madame. Il m’a simplement dit que c’était urgent et il m’a pressé de venir vous chercher.
- Ah ! je reconnais bien là Pierre. Toujours trop prudent. Après tout, comme on le dit souvent, c’est « toujours le majordome ».
- Je ne comprends pas madame.
- Peu importe, allez lui dire que j’arrive.
L’homme ne se fit pas prier et s’empressa de sortir. Viktorya finit de se sécher et passa dans sa chambre. Les reflets de la lune caressaient le marbre recouvert ici encore d’épais tapis. Elle se planta devant son armoire sans fin, enfouissant ses orteils dans les poils bleu canard du tapis. Elle avait à la fois trop de choix et pas assez. Tout était toujours pareil… Aucun de ses hauts, pourtant neufs la plupart, ne l’excitaient assez. Quel ennui… Après mille ans d’existence, on se rendait vite compte que la mode était circulaire et manquait cruellement d’inventivité. Enfin, il y avait quand même des décennies pires que d’autres ! Elle retourna s’affaler sur son lit couleur moutarde, lui aussi à la mode actuelle, et se roula dans la couette. Quel ennui décidément ! L’éternité n’avait rien d’un cadeau… Il n’y avait plus rien pour attiser sa curiosité, émoustiller son intérêt, la faire vibrer… Si, le progrès peut-être ? Oui, elle aimait le progrès. Voir le monde changer, évoluer. Le regarder se poser des questions, retourner en arrière, faire un bond en avant ! Cette course du savoir la tenait en haleine. Seule véritable chose qui l’empêchait de mettre fin à ses vieux, vieux, jours. Le prix était terriblement cher à payer, mais elle s’émerveillait d’avoir vu l’homme grandir. Et bien sûr, elle aimait y participer ! Elle n’était pas simplement une observatrice fantôme, mais un rouage de cette mécanique bien huilée. Elle sentait l’homme dans la fleur de l’âge, à l’apogée de son imagination. Les avancées se faisaient plus grandes chaque fois !
Ces pensées la remirent d’aplomb et elle eut le courage de se relever. Elle se glissa dans une robe trois trous au tissu extravagant et enfila une paire d’escarpins. Pour quelles raisons Pierre Darlan était-il venu au manoir ? Pourquoi ne pas téléphoner ? Elle brossa sa tignasse bouclée coupée court. Elle se méfiait de lui. Il parlait comme le serpent et était fiable comme un bateau en papier. Tant qu’il ne se mouillait pas, il semblait solide. Elle le sentait comme le genre de personne à fuir au premier danger. Il fallait qu’elle trouve un moyen de le sortir de l’équation.
- M. Darlan, je ne vous ai pas trop fait attendre j’espère, le salua-t-elle joyeusement.
- À vrai dire, je…
- Bien, très bien, continua-t-elle avec un large sourire. Suivez-moi, nous serons mieux dans mon bureau pour parler affaires.
Malgré le marbre omniprésent, la petite pièce restait sobre comparée aux autres salles du manoir. Le sol était recouvert d’un tapis chocolat et des tentures beiges et orangées accrochées aux murs rendaient cette petite pièce chaleureuse et agréable.
- Je vous en prie M. Darlan, mettez-vous à l’aise.
L’homme choisit un large fauteuil couvert de coussins. Il posa ses deux bras sur les accoudoirs, adoptant une position décontractée. La confrérie redoutait la terrible Viktorya Sainclaire. Pour lui, ce n’était qu’une gamine de 17 ans capricieuse. Toutefois, elle le payait grassement. Cela compensait amplement ses demandes extravagantes.
- J’ai pour toi quelque chose qui va t’intéresser, lâcha-t-il.
- Je ne pensais pas que nous en étions déjà là dans notre relation.
Elle releva l’absence de politesse avec un sourire pincé. Elle ne tolèrerait pas qu’il la tutoie. Il grimaça, agacé.
- Je vous écoute, reprit-elle.
- Votre idée pour recruter de nouveaux Anhumains dans votre programme de recherche a porté ses fruits. J’ai reçu un appel tout à l’heure au sujet de l’article 5 du CODEN.
- Dites-m’en plus, vous m’intéressez effectivement. Qui a appelé ?
Viktorya, assise en face de son interlocuteur, se redressa. La scientifique qu’elle était ne pouvait perdre une miette de ce qui allait être dit. Un nouvel Anhumain disait-il ? Il n’y avait pas eu de nouvelles découvertes depuis les Hommes-loups il y a trois siècles. À cette époque, les capacités de recherches de l’homme étaient bien inférieures et Viktorya n’avait pu qu’aller les observer sur leur ile. Ils l’avaient vite chassée et elle avait juste eu le temps de comprendre qu’ils n’avaient rien à voir avec les lycanthropes ! Cette fois-ci, elle ne raterait pas sa chance ! Cette espèce était peut-être la clé qui permettrait de sortir ses recherches du point mort !
- Rose Baudelaire. Voici sa fiche.
Pierre Darlan laissa tomber une fine enveloppe sur la table basse. À ce nom, Viktorya tressaillit. Souvenir fugace et ardent à l’autre bout du monde. Dans une autre vie, une autre époque. Elle ne toucha pas à l’enveloppe. Elle redoutait de revoir ce visage.
- Oh, pas la peine, nous nous connaissons… Venez-en au fait.
- Elle appelait au sujet d’un des corps qui étaient revenus à la vie, sans être pour autant un banal vampire.
Viktorya fronça les sourcils. Mouvement imperceptible. Un humain immortel ? Ils relevaient de la légende. Personne n’en avait jamais vraiment vu. Ils faisaient l’objet de vieilles fables datant de plusieurs millénaires. Des hallucinations de vampires frappadingues. Elle était tombée sur un de ces écrits il y a plusieurs siècles. Il dépeignait une créature mi-homme, mi-vampire qui ne pouvait être tuée. Ce qu’elle avait trouvé idiot, puisqu’elle aurait dû être encore en vie si elle était immortelle ! Chose encore plus stupide, son sang aurait eu le pouvoir de faire marcher un vampire au soleil. Mais si tout était vrai, qu’elle mettait la main sur cet être mythique… Elle révolutionnerait la science !
- Balivernes.
- C’est ce à quoi j’ai pensé, mais cette vampire est médecin légiste. La mort est son domaine après tout.
Viktorya restait interdite. Elle savait bien que Rose était médecin légiste. Elle savait tout de cette femme. C’était justement ce qui la poussait à la croire. Et sachant qu’elle fuyait ses semblables comme la peste, elle n’aurait pas contacté la confrérie sans y avoir été poussée par de solides arguments.
- Comment s’appelle l’Anhumain ?
- Hannah Kavanagh
- Amenez-la-moi. Je me fiche de savoir comment. Je la veux.
Malgré la dureté de son ordre, sa voix restait douce et paisible. Presque chaleureuse. Il n’y avait plus que l’intérêt du scientifique.
Viktorya mit fin à l’entrevue. Pierre Darlan ne lui apprendrait rien de plus et elle avait soif ! Elle n’avait rien bu de la nuit et cette visite impromptue lui avait fait rater son heure de repas.
Elle retourna à ses appartements, demandant à son majordome de faire monter Eugénie à sa chambre. La jeune fille était sa préférée. Son sang était délectable. Elle y percevait une pointe de cannelle et une touche de fleur d’oranger très agréable.
Eugénie était statisticienne. Elle analysait les données des recherches du labo. Viktorya savait pertinemment qu’elle crevait d’envie de devenir une vampire, mais c’était hors de question. Elle s’était juré, il y a de cela plusieurs siècles, de ne plus jamais infliger à qui que soit cette sentence de demi-vie éternelle. Quand bien même ce serait une requête murement réfléchie.
- Vous m’avez appelé mademoiselle Sainclaire ?
- Combien de fois t’ai-je demandé de m’appeler Viktorya et de me tutoyer ?
- Désolée, c’est plus fort que moi, tu m’intimides.
- C’est ce que j’aime chez toi Eugénie… ta franchise… Tu me rappelles un peu elle… souffla Viktorya.
Elle se tenait debout devant sa fenêtre, le visage dans l’ombre de la lune, pensive. Rose Baudelaire… Un nom différent à cette époque, mais le même regard inaccessible. Un horizon que l’on cherchait à atteindre désespérément, tirant le bras le plus possible pour ne faire que l’effleurer. Lorsqu’elle avait cru s’en approcher, la tenir, elle avait disparu sous ses doigts. Viktorya serra le poing. Elle ne s’avouait pas vaincue ! Rose avait failli se laisser prendre, elle le savait. Cette perspective la réjouit. Elle venait de se trouver un nouveau but dans sa vie morne et ennuyeuse.
- À qui est-ce que je te fais penser ? Si je peux me permettre… demanda Eugénie, l’arrachant à ses pensées.
- La plus belle et la plus dangereuse de toutes les fleurs… Mais à bien y réfléchir, si elle est une rose, tu es un coquelicot. Moins travaillée, plus facile d’accès. Pourtant rouge et délicate…
Eugénie ne releva pas. Elle ne savait pas bien si Viktorya l’insultait ou la complimentait.
- Peu importe ! Oublie-moi ça ! Mon Dieu que je suis sinistre ce soir ! reprit-elle, une gaité forcée dans la voix.
Viktorya s’approcha. Elle lui attrapa le menton et lui posa un baiser sur le front. Puis sur la joue, dans le cou. Eugénie restait les bras ballants, les yeux mi-clos. Malgré le froid mordant de la pièce, les esprits s’échauffaient. Viktorya devenait de plus en plus entreprenante. Elle la souleva comme elle porterait une enfant et la posa avec légèreté sur le lit circulaire. Elle lui ôta ses lunettes, lui retira sa chemise trop grande et s’arrêta. Elle contempla ce corps chaud, transpirant sous ses mains glaciales. La peau qui frissonnait sous la caresse. Viktorya faisait croitre son désir. Elle posa ses lèvres entre ses seins doux et rebondis. Continua sa route vers le nombril, ses mains habiles déboutonnant le pantalon. Eugénie s’arcbouta, étouffant un gémissement de plaisir. Sa respiration devenait rapide et saccadée. Son cœur battait à tout rompre. Son sang s’accélérait. Viktorya provoquait en elle une myriade d’émotions qui se succédaient les unes aux autres. Elle n’y tint plus, d’un seul coup, son corps fut secoué de spasmes rapides. Il finit par se relâcher, vidé de toute énergie. Eugénie affichait un sourire heureux.
- Viktorya, ta bouche me fait perdre la tête… murmura-t-elle, encore essoufflée. Dis-moi que je suis ton garde-manger préféré !
Elle sourit malicieusement. Eugénie n’était pas idiote. Elle savait très bien qu’elle n’était qu’un sac de sang, mais la partie de jambes en l’air en échange valait le déplacement ! Viktorya lui posa un index sur la bouche et s’approcha de son cou. Une panthère à l’affut, lente et silencieuse. D’un coup sec, elle sortit les crocs et les planta dans sa gorge. Quel plaisir ! Une douce chaleur montait en elle au fur et à mesure qu’elle aspirait le liquide. Ce gout si unique lui faisait vite oublier la nourriture humaine, si colorée et artistique, qu’elle enviait parfois. Eugénie finit par la pincer. C’était le signal lorsqu’elle se sentait tomber dans les vapes.
- Tu as fait ça proprement aujourd’hui !
- Ça m’arrive, dit-elle sur un ton moqueur en essuyant les dernières traces de sang sur sa lèvre. Merci Eugénie.
Pour Viktorya, la clé d’une nourriture saine et régulière était la bonne entente avec l’humain. Elle traitait toujours ses repas avec le plus grand des égards.
Un courant d’air balaya le couloir de l’immeuble d’Hannah. Oleg apparut aux côtés de Rose.
- Ta ponctualité m’étonnera toujours !
- Les détails, ma chère sœur. Ce sont les détails qui font de moi un bon détective privé et un excellent cuisinier ! Bon, redis-moi ce qui s’est passé.
Rose n’avait pas la tête à relever sa modestie.
- J’étais au téléphone avec elle. Elle a raccroché parce qu’on sonnait à son interphone. Je suis partie travailler. Je n’étais pas tranquille à cause de l’échange avec le directeur du recensement, je suis donc sortie plus tôt et voilà.
Elle fit un geste vague désignant l’appartement vide.
- Tu n’as aucune autre information ?
- J’ai pisté leur odeur sur quelques kilomètres le temps que tu arrives. Ils sont partis vers le nord-est.
- D’accord. On peut exclure de nos zones de recherche toute la région des Landes, de la côte atlantique et des Pyrénées.
- Oui, c’est ce que je me suis dit, mais je doute qu’ils s’embêtent à semer un éventuel poursuivant en faisant des détours inutiles. À mon avis nous n’aurons qu’à suivre cette direction.
- Je pense aussi. Ce n’est pas retrouver sa trace qui va être compliqué, c’est la sortir de là. Qu’est-ce que tu sens d’autre ?
Rose inspira lentement et profondément. Elle analysa chaque centimètre cube d’air qui traversait son nez. Deux vampires, c’était certain. L’odeur d’Hannah était masquée par quelque chose de plus fort, comme de la corde. De la toile de jute ! Elle perçut en fin d’inspiration une pointe plus douçâtre très caractéristique, du chloroforme…
- Ils sont deux. Elle a été droguée et enfermée dans un sac en toile.
- Très bien ! Nous avons affaire à des imbéciles qui utilisent des matériaux avec une odeur forte, traçable même si tu avais un rhume !
La tentative d’humour ne fit pas sourire Rose. C’est à ce moment qu’Oleg se rendit compte de la gravité de la situation. En 90 ans, il l’avait rarement vue aussi tendue. Il ne savait pas qui était cette Hannah, mais sa sœur semblait la considérer autrement que… la considérait tout court en fait !
Il huma à son tour l’air du couloir. Il ne sentait pas la présence des vampires à l’intérieur de l’appartement. Incapables de rentrer sans une invitation, ils avaient dû trouver un moyen de la faire sortir. Il n’y avait aucune trace de lutte, ils avaient joué finement.
- Est-ce que tu sais si elle peut être hypnotisée ?
- J’imagine que oui, elle reste humaine après tout. Mais leur contrôle ne doit pas être très efficace. Comme il n’est pas possible d’hypnotiser un vampire, elle n’est peut-être qu’à « moitié » hypnotisée.
- Et bien si on la sort de là…
- Quand on l’aura sortie de là !
- C’est vrai ! Donc, quand on l’aura sortie de là, il faudra lui apprendre à y résister.
- Non, on s’enfuira ! Comme nous avons fui la confrérie russe tous les deux…
- Souviens-toi que ça n’a pas été si simple…
- Je sais Oleg…
Oleg ne savait pas quoi faire. La voir s’affoler l’inquiétait. Ce n’était pas ce à quoi elle l’avait habitué.
- Écoute, à part te dire qu’ils sont assez malins pour ne pas avoir eu à rentrer, je ne te suis pas d’une grande aide ici. C’est toi la reine de la chasse. Moi je suis meilleur avec mes yeux. Il n’y a pas de signes de lutte, pas de traces, rien à se mettre sous la dent ! Donc je propose qu’on y aille ! Il faut les pourchasser tant que l’odeur ne s’est pas encore trop dissipée. Avale ça avant de partir, ajouta-t-il. Te connaissant tu en as besoin.
Il tenait dans la main deux fioles de sang. Celle qu’il lui tendait avait un petit R sur le bouchon.
- La tienne est du sangthétique.
Rose sourit faiblement. Cette marque d’attention était la bienvenue. Elle l’attrapa et engloutit la fiole d’un coup sec. Un frisson la parcourut. Elle était prête. Oleg fit de même et s’élança derrière sa sœur.
Rose courait presque les yeux fermés. Elle ne se concentrait sur rien d’autre que sur l’odeur du sac en toile de jute. Pour son nez hors du commun, la piste était aisée à suivre. Les deux hommes de main ne s’étaient pas compliqué la vie et avaient couru droit devant eux, suivant les routes dégagées des nationales. Près de Vernon, alors qu’ils s’apprêtaient à traverser la Seine, Oleg l’arrêta.
- Hep ! Regarde, des traces de pas.
- On sait déjà qu’ils sont deux Oleg !
Rose s’impatientait. Elle voulait reprendre la traque. Des années qu’elle n’avait pas fait ça. Elle n’en avait rien perdu. La même adrénaline montait en elle, l’euphorie de poursuivre sa proie. Tout était comme avant, elle se sentait fluide, puissante. Cette rencontre avec Hannah la faisait peu à peu revenir à la vie ! Finie l’observation passive. Elle était prête à en découdre. Elle s’était encroutée dans une vie fade et monotone. Il était temps d’en sortir. Il fallait qu’elle sauve Hannah ! Lui dire à quel point elle lui était reconnaissante de l’avoir réveillée. Et aussi, peut-être, parce qu’elle voulait revoir ce sourire plein de vie…
Elle trépignait, le regardant observer les traces de plus près. Toucher le sol, gouter la terre. Pendant ce temps, elle voyait déjà Hannah découpée sur une paillasse de labo, disséquée en fines tranches sous un microscope !
- Le premier a de grosses chaussures de chantier. Il est grand et lourd. L’empreinte taille 47 est profonde. Je ne pense pas que le seul poids d’Hannah l’enfonce à ce point dans la vase. Le second est beaucoup plus léger. La trace de ses tennis est à peine visible.
- Au risque de me répéter, à quoi est-ce que ça va bien pouvoir nous servir ?
- Utilise ton imagination. Tu m’as bien dit que c’est Pierre Darlan lui-même que tu as eu au téléphone ?
- Exact.
- Donc c’est lui qui a donné les ordres. Il n’a pas dû choisir ces deux-là par hasard. Il leur fait confiance.
- Où veux-tu en venir ?
- Avec cette description, quelqu’un qui connait un peu la milice du CODEN pourra nous indiquer qui ils sont.
- Tu es bon Oleg !
- Ça fait surtout une éternité que je fais ça !
- Mais où veux-tu trouver un membre de la milice du CODEN ?
- Quand on est détective privé, il faut savoir assurer ses arrières… Tout ce que je fais n’est pas forcément très légal…
Rose lui fit une mine réprobatrice à laquelle il répondit par une horrible grimace.
Ils repartirent de plus belle. Ils poursuivaient toujours le sac dont l’odeur se faisait plus entêtante à mesure qu’ils s’approchaient de leur objectif. Ils avalèrent les derniers kilomètres en accélérant l’allure.
Le frère et la sœur arrêtèrent leur course effrénée non loin de l’hôpital de Cambrai. Ils voulaient à tout prix éviter de se faire repérer et leur vue extrêmement performante leur permettait de rester à bonne distance.
- Avec le vent dans ce sens-là, on ne risque rien, affirma Rose.
- Tu es sure qu’elle se trouve ici ?
- Certaine !
- J’imagine qu’elle est enfermée dans les sous-sols, parce qu’à première vue c’est un hôpital tout ce qu’il y a de plus banal.
- Mes craintes se confirment. Pourquoi se trouverait-elle dans un hôpital si ce n’est pour finir en chaire à pâté pour la science…
- Tu n’en sais rien.
- Tu te voiles la face !
- J’essaie de rester optimiste… Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ?
- Toi tu t’occupes de savoir ce qui se passe derrière ces murs, moi je m’arrange pour récupérer les plans du bâtiment.
- Ça me va !
Il s’apprêtait à partir, mais Rose le retint.
- Attends ! On devrait rester observer les va-et-vient. Il y a peut-être un système de relève de la garde.
- Yes ! Tu as raison.
Ils s’installèrent le plus confortablement possible contre des troncs d’arbres et attendirent. Tard dans la nuit, ils virent une silhouette sortir de l’enceinte.
- Qu’est-ce que cette vipère de Viktorya Sainclaire fout là… murmura Oleg
Rose se redressa d’un bond ! Les choses se compliquaient. Hannah courait un plus grand danger qu’elle ne l’avait imaginé. La soif de savoir intarissable jumelée à son ennui maladif la rendait imprévisible et dangereuse ! Tout était excessif chez elle, autant sa gentillesse que sa cruauté et comme n’importe quel ado elle était capricieuse. Si Hannah faisait quelque chose qui lui déplaisait… Elle n’osa pas y penser.
- Oleg, on rentre ! Viktorya change la donne. Il n’y a plus de temps à perdre !
Les rues de Nice s’étaient vidées. La vile accueillait ce soir-là un congrès très réputé de biomédecine où tous les plus grands médecins chercheurs, laboratoires et autres scientifiques venaient présenter leur travail.
- Veuillez accueillir chaleureusement mademoiselle Viktorya Sainclaire, directrice en R&D des laboratoires Hémotech !
Lorsque Viktorya monta sur l’estrade, son ouïe fine n’eut aucun mal à entendre les murmures d’étonnement liés à son « jeune » âge. Elle ne se formalisait plus des moqueries misogynes de l’assemblée essentiellement masculine. Elle jubilait en voyant leur tête se décomposer lorsqu’elle commençait à parler. Elle afficha son plus beau sourire et commença d’une voix forte et assurée. Son charisme imposa le silence, elle avait capté l’attention.
- Bonsoir chères consœurs, chers confrères, pharmaceutiques, docteurs ou simples curieux. Comme vous l’a dit monsieur Trouillon, je suis la directrice de la branche biotechnologie des laboratoires Hémotech que vous connaissez bien. Tous parmi vous ont eu vent de nos recherches qui ont permis de grandes avancées médicales, notamment en hématologie, concernant les anémies chroniques chez les patients soumis à des radiothérapies intensives.
« Aujourd’hui, je me tiens devant vous, pour vous parler encore une fois de globules rouges. Je suis ici ce soir pour vous présenter un produit qui a pour objectif de révolutionner votre prise en charge à vous, urgentistes et chirurgiens, cancérologues, hématologues et autres spécialistes.
« Rappelons qu’aujourd’hui en France, plus d’un million de patients sont sauvés chaque année grâce aux transfusions sanguines, suite aux dix-mille dons quotidiens de nos précieux volontaires. Seulement, les chiffres ne soulignent pas sur combien de patients se répercutent les conséquences de la pénurie grandissante. N’oublions pas que ces dix-mille dons ne correspondent qu’à seulement à 4 % de la population ! Mais rassurez-vous, je ne suis pas là pour vous rabâcher ce que vous savez déjà et subissez, impuissant. Je suis venue aujourd’hui vous annoncer une bonne nouvelle. »
Viktorya fit une pause, laissant planer le suspense sur l’audience pendue à ses lèvres. Elle fit courir son regard de braise sur l’assemblée, un sourire étirant ses traits malicieux. Elle changea sa diapo et en grand, gras et rouge sur fond blanc s’afficha un unique mot : « SANGTHÉTIQUE ».
- Les laboratoires Hémotech sont fiers de vous présenter le travail de toute une décennie : le Sangthétique ! Adieu le don de sang, adieu la pénurie !
L’annonce laissa les médecins sous le choc. La gamine de 17 ans leur présentait quelque chose dont ils rêvaient depuis si longtemps. Jamais ils ne l’auraient cru possible. Certains pensaient même à un canular. Ils écoutaient, abasourdis, la jeune fille leur présenter le produit que le laboratoire avait enfin réussi à mettre au point. Parfaitement tolérable pour un organisme, aucun phénomène de rejet comme lors d’une greffe, disponible dans les quatre groupes A-AB-B-O.
S’enchaina à cette incroyable annonce, une longue suite de questions. Les scientifiques attendaient des chiffres, les médecins cherchaient des effets indésirables et les commerciaux voulaient un prix. Viktorya répondit patiemment, donnant la parole à tour de rôle. Ils étaient totalement subjugués, ils buvaient ses paroles comme pour étancher une soif insoutenable. Malheureusement, elle dû couper court à toutes leurs interrogations suite à un coup de fil important. Avec un large sourire, elle leur demanda de l’excuser et fila.
Une fois hors de l’enceinte, elle regarda sa montre. 21 h 22. De Nice, il lui fallait un peu plus d’une heure et demie pour retourner à l’hôpital de Cambrai. Elle remonta son col de trench, ajusta bien son sac à dos et s’élança. Elle n’avait pas eu le temps de voir Eugénie avant de partir à la conférence et elle se sentit faiblir aux alentours de Paris. Ses jambes n’obéissaient plus et elle dut ralentir sa course. Avec l’âge, la quantité de sang pour effectuer les mêmes prouesses qu’à la naissance devenait plus importante et les prises plus rapprochées…
Elle traversa les sous-sols de l’hôpital et arriva à son bureau, vide d’énergie et essoufflée. Avant même de poser ses affaires, elle appuya sur le bouton d’un hautparleur posé sur son bureau et ordonna avec impatience qu’on lui amène Julia. La jeune fille n’était pas aussi délectable que la statisticienne, mais elle l’appréciait quand même. Julia avait besoin d’argent pour son frère alors elle lui donnait le nécessaire sans compter en contrepartie de son don de sang. Elle était gênée de l’utiliser pour de l’argent, elle trouvait cela nettement moins acceptable que ce qu’elle faisait avec Eugénie… mais la jeune fille ne voulait rien d’autre ! Résultat, elle n’appelait Julia qu’en dernier recours.
À l’autre bout du hautparleur, une oreille invisible entendit sa demande et se précipita pour aller chercher ladite Julia. Elle devait faire le ménage quelque part dans le bâtiment.
- Toi là-bas, suis-moi ! Mlle Sainclaire a besoin de toi !
- J’arrive… dit la jeune fille en baissant la tête, docile. Ce vampire-là la terrifiait.
Il lui fit presser le pas et l’abandonna devant la porte du bureau de Viktorya. Elle frappa timidement et entendit la voix chaleureuse de la jeune femme l’inviter à entrer.
- Bonsoir, Julia, entre, je t’en prie. Comment vas-tu ?
- Euh… bien et vous ?
Viktorya inclina la tête, faussement contrariée.
- Pardon ! Tu ! se corrigea Julia.
- Ce n’est rien, ne t’en fais pas. Et puisque tu le demandes, je suis vidée ! J’ai couru l’aller-retour Cambrai-Nice et j’aurais besoin de ton aide pour recharger mes batteries, si tu me le permets, cela va de soi.
Julia haïssait Viktorya. Sous ses faux airs doux et chaleureux, elle sentait le serpent assoiffé de pouvoir et de sang qui dormait au fond de ses yeux dorés. Mais elle avait besoin de son argent. Pour son frère. Parce que son petit frère se droguait et que s’il en était là c’était en partie de sa faute… Il avait connu les mauvaises personnes à cause d’elle. Son petit frère qu’elle aimait tant, qui prenait sa défense et se dressait vaillamment devant leur père alcoolique. Combien de coups avait-il pris à sa place ? Ce coup-là, il fallait qu’elle le prenne pour lui. Parce que ce n’était pas avec le maigre salaire de sa mère, bu en grande partie par le père, qu’il se sortirait de là.
Alors l’argent, elle l’avait cherché elle-même. Elle avait arrêté ses études et prit plusieurs petits boulots. Tout ce qu’elle gagnait elle le mettait de côté pour la prochaine cure de désintox de son frère… Elle s’était résignée aux aller-retour dans ce genre de centres. Au moins, il était à l’abri quelques semaines. Un , il y arriverait à rester clean, pour sûr !
C’était Viktorya qui l’avait trouvée, rôdant près des poubelles de l’hôpital à la recherche de restes à se mettre sous la dent. Elle venait de dépanner son frère avec ses derniers billets. Elle préférait ça plutôt qu’il ne tapine… Julia ne s’était pas méfiée de cette ado souriante et bien sapée qui l’avait invitée à manger. Elle n’avait pas non plus questionné l’état de son portefeuille en voyant le plat arriver. Elle avait trop faim. Elle ne savait pas comment sa langue s’était déliée si rapidement, comment elle en était venue à raconter son histoire ? Tout avait été très vite ensuite. En un claquement de doigts, elle s’était retrouvée à signer un contrat de travail au salaire disproportionné, enrôlée dans un monde dont elle ignorait tout quelques heures auparavant.
Nourrir un vampire pour de l’argent. C’était elle qui avait l’impression de se prostituer finalement. Valait mieux elle que lui. Elle devait le protéger, il n’avait que 15 ans… Au moins, elle connaissait Viktorya. Même si elle la détestait, elle savait qu’elle ne risquait rien. Ça ne prenait que quelques secondes et Viktorya avait une manière très particulière de faire passer ça pour une broutille. Comme une aveugle qui demanderait à ce qu’on l’aide à traverser la rue.
Cette femme état aux antipodes de l’idée qu’elle s’était faite du vampire, une créature sombre, torturée et sanguinaire. Viktorya rayonnait, affichant toujours un sourire éclatant, les yeux brillants de malice et d’amusement. Qui se douterait qu’elle était à la tête de l’obscure boucherie qui se déroulait derrière les dizaines de portes fermées du sous-sol. Et elle participait à tout ça en la gardant « en vie »… Alors pour sa conscience, elle suppliait son frère de faire des efforts. Pour que cet argent ne soit pas gagné et vain.
- Fais-le. Demandé comme ça, je peux difficilement te le refuser, dit la jeune fille, feignant la légèreté.
Viktorya sourit, elle caressa sa joue du bout des doigts et approcha la bouche de son cou. Le petit claquement sec des crocs qui sortent faisait toujours sursauter Julia. La morsure elle, contre toute attente, était indolore. Agréable même. Une curieuse chaleur partait de son cou et se diffusait sur son visage, puis sa tête, la faisant sourire bêtement. De la même façon que ceux de certains serpents, les crocs des vampires possédaient un petit canal par lequel était sécrété un puissant anesthésiant au moment de la morsure.
Repue, Viktorya se détacha de la jeune fille et essuya discrètement le coin de ses lèvres.
- Merci infiniment, Julia, tu me sauves la vie.
Quelle ironie ! Julia avait envie de lui cracher au visage ! Sa manière d’en faire des caisses était horripilante ! Elle se contenta de sourire et sortit de la pièce.
Une fois seule, Viktorya s’assit à son grand bureau de verre bien ordonné et lança une playlist sur son lecteur de musique. Des violons énergiques et survoltés s’élevèrent des enceintes, emplissant la pièce d’une atmosphère chaude et sensuelle. Depuis qu’elle avait vécu en Argentine, Viktorya était devenue une véritable amatrice de tango argentin, autant pour sa musique que pour sa danse. Elle se laissa porter par les airs voluptueux, rêvant d’une danseuse qui la ferait virevolter sur les coups bruts d’une guitare sèche. Elle restait là, derrière son bureau, les mains jointes par le bout des doigts et écoutait. Immobile. Une statue de cire.
Son téléphone sonna. Elle grimaça. Son moment de paix était terminé. Elle décrocha le combiné, agacée :
- Qu’y a-t-il, José ?... Comment ça Pierre Darlan est avec elle ! Je vais le… ne touchez plus à rien, j’arrive !
Elle raccrocha violemment, excédée. Elle avait en tête un plan bien rodé. Cet abruti lui avait tout foutu en l’air ! Elle se laissa retomber dans son fauteuil et tourna plusieurs fois sur elle-même en réfléchissant. Justifier le kidnapping de l’Anhumaine n’était déjà pas simple. Il avait fallu qu’il vienne y mettre son grain de sel ! Ce que Viktorya avait prévu de faire subir à l’Anhumaine — pour le bien commun — était éthiquement bancal, elle en avait parfaitement conscience. Elle aurait déjà eu du mal à lui faire avaler la pilule sans l’intervention de ce gêneur. Viktorya allait devoir jouer finement pour lui expliquer les tenants et aboutissants de ce qu’elle cherchait à faire. Si elle parvenait à gagner la confiance d’Hannah et lui faire comprendre qu’elle était la clé du boum médical qui se préparait, elle avait tout gagné ! Et quand bien même Hannah serait contre, le progrès était une locomotive dépourvue de freins, on ne l’arrêtait pas ! La fin justifie les moyens. Sacrifier une vie — une vie immortelle — pour en sauver des milliers.
Viktorya hocha la tête pour elle-même. Elle était satisfaite de la marche à suivre. Elle se leva et se rendit à la chambre où était retenue son invitée très spéciale.
- Bonsoir Hannah.
Viktorya salua la jeune fille d’une voix douce avec un large sourire. Se retournant vers Pierre Darlan, elle perdit immédiatement son air bienveillant et lui cracha :
- Ne vous avisez plus de remettre les pieds ici sans ma permission ! Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? Déguerpissez ! et que je ne vois plus vos crocs de serpent trainer dans mes sous-sols !
La vague de froid et de haine qu’elle dégagea fit blêmir l’homme déjà pâle. Il ficha le camp sans se faire prier. Viktorya se pinça le nez et secoua la tête pour bien montrer qu’elle n’était en aucun cas d’accord avec ce type.
- Je suis désolée que ton premier contact avec l’équipe de recherche ait été avec lui.
- Je me fous de savoir que vous soyez désolée ! Laissez-moi rentrer chez moi !
Hannah était attachée par des liens serrés à un lit d’hôpital, en position demi-assise. Elle se débattait comme un diable, folle de rage. La peur l’avait d’abord paralysée en découvrant le visage de ses trois ravisseurs, puis la colère l’avait peu à peu submergée.
- J’entends bien Hannah, mais je ne peux pas. Tu es bien trop importante pour moi. Pour la médecine.
- Je vous interdis de m’appeler par mon prénom ! Je vous interdis de me parler ! Relâchez-moi immédiatement !
Viktorya secoua la tête et soupira. Elle savait que ça n’allait pas être facile. Il était évident qu’Hannah n’allait pas coopérer.
- Je comprends très bien ta colère…
Hannah allait répliquer, mais Viktorya plongea ses yeux d’ambre dans les siens. Elle se sentit bizarre et eut tout juste le temps de comprendre que Viktorya était en train de l’hypnotiser. Sa dernière pensée cohérente fut que Rose n’avait jamais usé de cette méthode sur elle… Avant de commencer à parler, Viktorya s’étonna de la difficulté qu’elle avait à garder un lien stable. Il était très superficiel et Hannah gardait un contrôle d’elle-même encore important.
- Écoute-moi Hannah. Je t’hypnotise pour que tu gardes ton calme et uniquement pour cette raison. J’ai besoin que tu entendes ce que j’ai à te dire, jusqu’au bout. Peut-être que je réussirais à te convaincre. Je m’appelle Viktorya. Je dirige les recherches en biotechnologie destinées aux hommes et aux vampires. Notre objectif est de proposer à tous un monde meilleur. Pour te donner un exemple, notre dernier projet achevé est du sang synthétique utilisable pour les transfusions.
« Tu es une Anhumaine unique au monde. Personne d’autre que toi ne possède un tel pouvoir de régénération. Pas même les lycanthropes. Le progrès a besoin de toi. J’ai besoin de toi. Tu m’es précieuse. Tes capacités de régénération pourraient être à l’origine d’un pas de géant dans la médecine des hommes, et pour se faire, je dois t’étudier, comprendre comment tu fonctionnes. Je le ferai avec ou sans ton consentement. Je ne peux pas me permettre d’essuyer un refus. Ce sera très certainement douloureux, je ne te le cache pas, mais c’est pour la bonne cause.
« Je tiens à te rappeler que je ne te veux aucun mal en soi. Je ne veux pas que tu me voies comme une menace ou une ennemie… »
Viktorya avait parlé d’une voix lente et monotone. Une fois revenue à elle, Hannah répondit froidement :
- Et bien, ce sera sans mon consentement.
- Soit. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça. Tu pourras toujours changer d’avis plus tard.
- Je n’ai pas l’intention de rester !
- Et comment comptes-tu t’en aller, harnachée à ton lit ? railla Viktorya, masquant mal son agacement.
Les mots d’Andromorphe revinrent à Hannah. Ils prenaient tout leur sens ! « Ne lâche rien, ils viendront », avait-il dit. Elle ne savait pas qui était le « ils », mais Rose en faisait partie, c’était sûr ! Elle viendrait la sortir de là ! Cette gamine ne faisait pas le poids fasse à Rose, elle en était certaine. Andromorphe lui avait dit ça pour ne pas qu’elle perde espoir, qu’elle ne baisse pas les bras ! Elle bénissait ce Sans-visage que le destin avait placé sur son chemin…
- Je trouverai ! Vous ne me garderez pas ici longtemps.
- Non bien sûr ! Une fois que je saurais tout de toi, tu seras libre comme l’air ! lui assura Viktorya. Je n’avais pas l’intention de te garder éternellement enfermée. Sur ce, je vais te laisser. Je pense que nous avons fait le tour de la question malheureusement. Veux-tu que je te fasse apporter quelque chose en particulier ? À boire ? À manger ?
- Je ne veux rien qui vienne de vous !
- Très bien… soupira Viktorya un peu déçue.
Elle sortit de la chambre et regarda son smartphone. 3 h 20. Elle allait passer voir rapidement son ingénieur-biologiste avant de rentrer au manoir.
Viktorya se rendit au bout de l’un des couloirs. Ils rejoignaient tous une seule et même salle. De ce cœur battant était orchestré toute la vie de l’étage.
- Arnaud ! Dites-moi tout ! lança-t-elle en entrant.
Le vampire, concentré sur son écran, sursauta. Il rangea prestement son téléphone et se retourna vers sa patronne.
- Jusqu’ici, aucun des 10 sujets n’a rejeté le dernier Sangthétique mis au point.
- Combien de temps ?
- Les transfusions ont été faites il y a un peu plus de 27 h maintenant.
- Bien. Des signes d’intolérance ?
- Un seul patient. Détresse respiratoire. Le Sangthétique ne semble pas bien faire circuler l’oxygène.
- Dialysez-le, changez entièrement son sang. Il a peut-être reçu un lot défectueux. Je viens de présenter le produit au congrès. Ce sangthétique doit être irréprochable, j’ai déjà des acheteurs. Je le veux sur le marché dans un mois !
- Bien madame.
- Autre chose ?
- Les recherches concernant les cellules souches des lycans sont au point mort. Impossible de transmettre à un humain leurs capacités de régénération sans en faire des loups-garous.
Viktorya posa la main sur l’épaule du chercheur.
- Je vous ai amené un cadeau qui règlera tous vos problèmes Arnaud. Attention elle est précieuse. Prenez-en soin.
Il la regarda sans comprendre. Elle lui expliqua le caractère potentiellement unique d’Hannah. Au fur et à mesure qu’elle parlait, elle vit ses yeux briller d’intérêt. Il était comme un enfant à qui l’on disait que le Père-Noël existait.
- Arnaud, rédigez-moi un protocole de recherche pour demain soir ! Je veux tout savoir de cette fille, comment son corps fonctionne. Nous aviserons en fonction de vos résultats.
Avant de sortir, Viktorya ajouta :
- Et voyez si vous n’avez pas un vampire en conditionnelle qui accepterait de boire son sang. Il parait qu’il permet de marcher au soleil.
Arnaud n’eut pas le temps de relever, Viktorya était déjà loin. Il avait peur d’avoir mal entendu… Marcher au soleil ? Elle se moquait de lui. Forcément ! Il retourna à ses écrans et réfléchit à son protocole.
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