Chapitre 7 - A moitié loup

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- Tu es sure que tu ne veux pas que j’entre avec toi ?

- Certaine. Tu dois rester en arrière et préparer notre retraite. Tu as bien mémorisé ce qu’il fallait faire ?

- Mais oui ! Je reste là avec le mannequin, si tu es poursuivie tu le récupères et tu pars dans une direction, pendant que moi je recouvre Hannah de ce truc qui pue afin de brouiller la piste et je pars dans une autre direction.

- Et pas vers Rennes !

- Non, pas avant de l’avoir rincée de ce truc qui pue. Vas-y ! Tu peux avoir l’esprit tranquille ! Tu perds du temps.

« Ce truc qui pue » était un flacon d’huile de gaulthérie, une huile essentielle qui sentait particulièrement fort. Les vampires courraient rarement vers les odeurs marquées et désagréables.

Rose pressa l’épaule de son frère et le laissa derrière elle, courant droit vers l’hôpital. La nuit commençait à peine à tomber. Entre chien et loup. Les gardes vampires sortaient tout juste de leur léthargie et somnolaient encore pendant leur ronde autour de l’hôpital. Rose s’arrêta non loin de l’entrée, faisant bien attention à ce que le vent ne leur amène pas son odeur.

Ils marchaient à une distance régulière les uns des autres, laissant un espace de plusieurs mètres entre eux.

17 h 47. Le moment était venu. Le garde avait tourné à l’angle du bâtiment. Fenêtre de quelques secondes. Rose s’élança. Un battement de cil. Le digicode. Les touches les plus usées. Déclic métallique. Rose s’engouffra. Simple courant d’air.

Se concentrer. Se remémorer l’architecture. À droite ! Rapide coup d’œil. Un garde. Rose tira une baguette de bois. Quelques pas furtifs. Muscles bandés. Rose frappa. Bruit sourd. Le garde tomba, baguette perçant l’oreille.

Rose s’éloigna. Continuer sans réfléchir. Couloir suivant. Garde suivant. Bruit sourd. Couloir suivant. Garde suivant. Bruit sourd. Elle était rapide. Méthodique. Fantôme de l’ombre. Tourner à gauche. Tout droit. Encore à gauche. Concentrée sur une seule chose. Hannah. Son odeur.

Des hautparleurs grésillèrent : « le prisonnier chambre 6B1 est attendu en salle 3A ».

- Merde !

Un transfert de prisonnier. Rose se figea. Réfléchir. Comment l’éviter ? Où allait-il ? La tension montait. Un néon bourdonnait. Elle serra les dents. Souffler, rester calme, rester concentrée. Elle ferma les yeux, respira profondément. Deux odeurs. Le lycan à gauche, Hannah à droite. Rose repartit. Félin dansant.

Les portes se succédaient. Jamais la bonne. Elle perdait du temps. Chaque seconde était plus dangereuse. Les gardes, le transfert. La salle centrale, toujours plus proche. Et toujours pas de Hannah. Seulement des portes closes.

Énième couloir. Énième garde. Énième porte. Rose stoppa net. Le nez aux aguets, les ailes battantes. Nouvelle odeur. Elle huma lentement. Image fugace de tango argentin… Viktorya ! Le parfum était fade, Viktorya était déjà partie. Rose huma encore. Elle sourit. Hannah, enfin. 17 h 52.

Quatre verrous. Quatre secondes. Quatre longues secondes à découvert… Rose attrapa un crochet. Vite. Cliquetis, et d’un. Vite ! Claquement, et de deux ! Vite… Tintement, et de trois… Le dernier était grippé. Craquement, elle jura, attrapa un autre crochet. Rester calme, doigts souples. Bruissement, coup d’œil par-dessus l’épaule, rien. Grincement. Soupir, et de quatre.

Rose poussa le battant. La chambre était plongée dans le noir. Sur le lit, la silhouette recroquevillée d’Hannah. Rose eut envie de courir vers elle, la réveiller, la serrer dans ses bras, lui dire que tout irait mieux. Elle resta immobile. Elle sentait le canon froid d’une arme contre son crâne.

- Tu bouges, je t’éclate la cervelle.

Rose, pour la première fois de son existence, mit sa vie et son plan entre les mains du hasard.

- Hannah.

Ce simple mot se fraya un chemin à travers les rêves comme une balle. Hannah se réveilla en sursaut, pressa l’interrupteur et l’ampoule nue éclaira brutalement la pièce. Rose avait espéré cette réaction, et ferma les yeux. Elle se retourna, arracha l’arme des mains de son adversaire et tira. Détonation fracassante. L’effet de surprise était terminé.

- Rose ! Tu…

- Plus tard, il faut fuir ! Grimpe sur mon dos.

Hannah s’exécuta promptement, comme si elle avait révisé. Rose enjamba la tête explosée et retourna dans le couloir.

- Tiens-toi fermement, je vais avoir besoin de mes bras.

Hannah resserra sa prise immédiatement. Rose analysa la situation. À gauche la salle centrale. Grouillante de gardes. À droite des ordres beuglés. Le prisonnier s’était échappé.

Rose s’élança. Il fallait qu’elle file, avant que le lycan ne lui coupe la route. Trop tard. Le loup d’un mètre cinquante se dressait devant elle. Énorme, gueule écumante. La moindre griffure et elle ne ressortait pas vivante.

Elle était prise au piège. Un vampire était déjà sur elle. Elle se baissa, faucha ses jambes, planta une baguette dans son crâne. Plus qu’une. Elle avait quelques millièmes de seconde pour réfléchir.

Elle fonça. Droit sur le lycan. Il ne s’y attendait pas. Elle le percuta de plein fouet, sentit ses os craquer, évita une patte balancée au hasard et continua sa course. Vampires sur les talons.

Couloir, intersection, couloir. Droite, gauche, gauche encore. Les bruits de courses se rapprochaient. Derrière. Devant aussi. Ils cherchaient à lui barrer la route. Elle redoubla son allure. Hannah ne pesait rien sur ses épaules. Hannah ! Elle lâchait prise ! Rose s’arrêta quelques centièmes de secondes. Trois profondes griffures barraient son dos. Rose avait évité le lycan. Rose seulement.

Bouffée d’angoisse. Les poumons qui s’écrasent. Non. Elle n’avait pas le temps de s’émouvoir. Il fallait continuer. Elle la bascula sur son ventre, la serra contre elle et repartit.

Le dernier couloir. Un vampire agrippa ses cheveux. Elle dégagea un bras, planta une baguette dans sa gorge, continua sa course. Stock épuisé.

Elle voyait la porte. Elle accéléra encore, grimpa les marches, accéléra encore, serra les dents, raidit son corps, serra Hannah, se retourna au dernier moment. La porte se déchira comme du papier. L’air libre. Enfin.

Ne pas se relâcher. Rien était joué. Elle fonça en direction d’Oleg. Sans dire un mot, elle lui donna Hannah, attrapa la copie de cire et partit dans la direction opposée. Oleg s’empressa de verser l’huile sur la véritable Hannah et s’enfuit de son côté. Il courut en zigzag diffusant au maximum l’odeur, masquant sa trajectoire.

Le stratagème fonctionna à merveille. Les gardes se lancèrent bille en tête à la poursuite de Rose. J’espère qu’il te reste des aiguilles, frangine… pensa Oleg.

Il slaloma à travers toute la ville jusqu’au canal de l’Escaut. Il arrêta sa course au bord de la rive. Il fallait qu’il lave Hannah. Cependant, lorsque Rose avait imaginé le plan, elle n’avait pas prévu qu’Hannah soit comateuse. Non, morte.

Il se mordit la lèvre. Il avait bien un cadavre entre les mains. Pas de pouls, pas de respiration.

Il l’examina. Son dos était déchiré par une griffure. Une mousse verte s’en écoulait, nauséabonde. Oleg comprit tout de suite qu’il s’agissait d’une griffure de lycan. Le poison faisait déjà effet. Poison mortel pour un vampire. Mais Hannah n’était pas tout à fait une vampire non ? La balafre ne cicatrisait pas… Mais Hannah cicatrisait de n’importe quoi normalement, non… ?

Oleg sautillait sur place ne sachant que faire. Il avait peur que cette fois-ci la jeune fille soit morte. Vraiment morte…

Il s’activa. Peu importe ! Il fallait la ramener sur Rennes comme il était prévu ! Rose et lui y réfléchiraient tous les deux une fois l’esprit plus clair.

Il déshabilla Hannah, rentra dans l’eau avec elle et la savonna du mieux qu’il put. Une fois sèche, il la rhabilla avec des vêtements propres et inodores, la cala tant bien que mal sur son dos et rentra.

Il fit un long détour par le centre de la France, remontant le long de la côte Atlantique.

Après avoir écharpé Hannah, Viktorya retourna dans la salle principale. Elle était livide, le regard fuyant. Elle ne se sentait pas bien. Son corps tremblait. Elle était faible, ses jambes la portaient difficilement. Elle voulut s’appuyer contre un bureau, mais sa main se posa dans le vide et elle se retrouva au sol. Sa vue était trouble, ses oreilles sifflaient. Viktorya ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Cela avait forcément à voir avec ce qu’elle venait de faire subir à Hannah, mais quoi ?

- Madame ? Que vous arrive-t-il ? demanda Arnaud très étonné.

Viktorya ne répondit pas. Elle était à bout de souffle, sa poitrine la brulait atrocement. Un feu la consumait de l’intérieur, s’engouffrant dans chacune de ses artères, de ses veines. Elle aurait hurlé de douleur, mais elle ne pouvait plus bouger. Ses muscles tétanisés se raidissaient. Si elle n’avait pas été immortelle, elle aurait pensé qu’elle mourrait.

- Vous avez mordu un lycan ? Vous avez du sang plein la bouche ! s’affola Arnaud.

Du sang ! C’était le sang d’Hannah qui lui faisait ça. Elle en avait avalé quelques gouttes en attrapant sa chair…

Peu à peu, les brulures s’estompèrent, ses muscles se détendirent. Elle put à nouveau respirer et bouger. Elle se releva et s’appuya contre une table. Elle se sentait étrange, quelque chose avait changé en elle. Quoi ? Elle ne saurait le dire.

Sans rien dire à Arnaud, elle prit congé et rentra chez elle, hagarde. Une bonne journée de léthargie lui ferait du bien.

Viktorya se réveilla difficilement. Empêtrée dans ses draps, elle se sentait encore groggy. Elle chercha son téléphone à tâtons et regarda l’heure. 20 h 4. Elle allait se laisser retomber sur son oreiller, repenser à ce qu’elle avait fait la nuit précédente, mais les premiers mots qui s’affichaient sur l’écran de son smartphone la firent bondir.

Brèche de sécurité. Prisonnière 3D1 évadée.

Hannah ! Comment cela avait-il pu se produire ? Comment aurait-elle pu trouver le moyen de se débarrasser de toutes la V-garde ? Quelqu’un l’avait forcément aidée à s’échapper.

Viktorya enfila un sweat, un jogging et se rua à l’Hôpital.

Elle fut sidérée de voir la moitié des gardes encore comateux et l’autre moitié guère plus éveillée. Elle attrapa une baguette en bois qui trainait encore par terre, pleine de sang. Il était certain que l’agresseur connaissait les vampires. Ces baguettes étaient spécifiquement conçues pour les neutraliser sans pour autant les tuer. Enfoncées d’un coup sec à travers l’oreille, elles trouaient le tronc cérébral, centre de gestion du coma. Le bois quant à lui empêchait toute cicatrisation. Une fois retirées, en l’absence d’échardes, le cerveau cicatrisait sans séquelles.

- Que s’est-il passé ? demanda Viktorya agacée de leur incompétence.

Le garde qui avait participé à la course poursuite le plus longtemps lui raconta les évènements.

- Elle se battait comme le diable, elle était surentrainée, nous n’avons rien pu faire, madame…

- Bande d’incapables !

Viktorya était hors d’elle. Perdre Hannah à un moment aussi crucial !

- À quoi ressemblait votre agresseur ?

- Très grande, pas loin d’un mètre quatre-vingt, des cheveux longs et noirs, des yeux bleus aussi froids que la mort

Il n’y avait qu’à Rose qu’appartenait ces yeux-là. Et puis il n’était pas difficile de faire le rapprochement entre cette description et le signalement qu’elle avait fait au CODEN.

Ainsi donc, Hannah était son territoire ? Le rouge lui monta aux joues. Jusqu’à présent, Viktorya appréciait Hannah, mais si la jeune fille empiétait sur ses plates bandes et lui barrait la route vers Rose… Elle se montrerait nettement moins sympathique envers la néo-Anhumaine !

L’atmosphère était en suspens, Rose et Oleg retenaient leur souffle, leurs yeux inquiets rivés sur le corps d’Hannah. Ils la fixaient intensément sans ciller une seconde. Ils cherchaient un mouvement, un frémissement, quelque chose, même infime. Rien. Son corps restait obstinément immobile, étendu sur la table d’acier. Froid, blanc, rigide.

Rose raide, la colonne dure comme une barre de fer, la nuque douloureuse. Elle désespérait d’entendre Hannah s’écrier « JE SUIS EN VIE » comme lors de leur rencontre. Son esprit était comme un disque rayé, se répétant que rien de tout ça n’était vrai, que ce n’était qu’un horrible cauchemar dont elle allait se réveiller. Mais les vampires ne rêvaient pas, et ce qu’elle regardait était bel et bien une cruelle réalité.

- C’est le portrait craché d’Elisabeth, souffla Oleg tristement, bousculant le silence.

-…

- Je comprends mieux pourquoi elle t’a autant bouleversée…

Une larme rouge se décrocha de l’œil clos de Rose. Oleg avait raison. Sans qu’elle en ait vraiment conscience, la jeune fille lui avait rappelé sa bienaimée. Mais Oleg n’avait pas encore vu son expression. Son regard verdoyant qui ne demandait qu’à dévorer la vie. Un regard qui donnait l’illusion de vagabonder dans une prairie ensoleillée. Le même que celui d’Elisabeth. Et le même sourire franc qui retroussait le nez en une moue espiègle.

Elle regarda le visage d’Hannah plus intensément, tatouant ses traits au fond de son cœur. Cette fois-ci, elle le savait, il y avait peu d’espoir que la jeune fille se réveille. Même s’il n’y avait qu’une partie d’elle à être vampire, il était impossible qu’elle survive à du venin de lycan. Elle ne pouvait pas « mourir qu’à moitié ».

Rose caressa du bout du doigt la ligne anguleuse de sa mâchoire.

- Elle semble dormir paisiblement… Finalement, c’est moi qui l’ai tuée.

- Comment ça ? Mais non ! C’est le lycan !

- C’est moi qu’il visait…

- Rose… tu te fais du mal…

Rose serra les dents. Une bouffée de tristesse l’étouffait. Elle avait envie de fuir encore une fois. S’enfermer et ne jamais revoir le monde. Elle voulait que son cœur durcisse jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une trace d’amour en lui. Sa peine se faisait plus lourde à chaque seconde, écrasée par une chape de plomb.

Oleg s’assit, le dos posé contre les tiroirs d’aciers. Vestiaires de la mort.

- Que fais-tu ?

- Attendons. Pour être surs. Je pense que si dans cinq jours il ne s’est rien passé, nous pourrons dire qu’elle est bel et bien morte.

Rose se laissa tomber à côté de lui. Elle ne voulait pas écouter la voix de l’espoir qui murmurait en elle. Bien sûr qu’elle aurait pu attendre mille ans son réveil, mais elle ne ferait pas la même erreur. Il lui fallait accepter. Faire son deuil tout de suite.

La nuit s’écoula lentement. Le jour s’étira sans fin. Les deux vampires attendaient. Deux porcelaines chinoises à l’abri des rayons qui grignotaient l’ombre. Une nouvelle nuit commença. Puis une autre, et encore une autre. Rose s’enfonçait un peu plus dans le mutisme à chaque apparition de lune.

À la 4e nuit, Oleg s’éclipsa quelques minutes pour répondre à Imhad qui avait un souci au restaurant. Pendant son absence, un craquement fit sursauter Rose qui somnolait, le corps en veille. Elle chercha d’un œil absent sa provenance, mais la salle était vide. Un deuxième craquement. Désagréable. Comme celui d’un os qui casse. Elle se releva vivement, sur ses gardes.

- Qui y a-t-il ? demanda Oleg en revenant.

- J’ai cru entendre quelque chose…

D’autres craquements lui coupèrent la parole. Les bruits se faisaient plus rapprochés. Plus forts.

- Oleg, je crois que ça vient d’Hannah.

- Mais non…

Un gémissement guttural provenant du corps encore inerte lui répondit. En s’approchant, ils constatèrent avec stupeur que la morphologie d’Hannah changeait étrangement.

- Elle n’est pas en train de… commença Oleg.

- Je crois bien que si…

Les gémissements se firent plus bruyants. La souffrance des déchirures et des fractures était palpable. Hannah se mit à bouger, basculant brusquement sur le côté. Elle se recroquevilla sur elle-même, puis détendit violemment les jambes. Elle était à peine consciente. Elle essaya de poser un pied difforme au sol et s’effondra sur le carrelage. Rose voulut se précipiter vers elle, mais Oleg la reteint.

- Attends, c’est dangereux. Si elle est aussi lycane qu’elle est vampire, elle te tuerait d’une simple griffure.

- Elle ne ferait pas ça.

- Elle ne sait pas ce qu’elle fait !

Hannah était à genoux, le dos rond, poussant des bruits rauques à mi-chemin entre le gémissement et le grognement animal. Elle était terrifiée, complètement tétanisée par la douleur. Son dos s’allongeait dans des craquements écœurants, ses côtes étiraient atrocement sa peau. Sa face se déformait par à-coups, sa bouche pleine de dents devenant une gueule pleine de crocs. Ses vêtements épousaient son corps déformé jusqu’à ce que les coutures cèdent. Elle grandissait à vu d’œil.

Un duvet se mit à pousser sur son corps. Les fins poils incolores s’épaississaient rapidement en une fourrure rousse soyeuse et touffue. Son pelage irisé était un camaïeu d’orange et de jaune, comme un millier de flammes dansantes. Rose et Oleg regardaient l’énorme loup haut de près d’un mètre trente face à eux avec un mélange de crainte et de fascination.

Hannah était au bord de la panique. Les informations que ses sens percevaient étaient un fouillis d’odeurs et de bruits assourdissants. Elle avait l’impression de se retrouver dans l’appartement du type en médecine. Sa vision était parfaitement floue au-delà d’une quarantaine de centimètres et elle voyait le monde à travers un filtre bleu.

Elle ne savait pas où elle était, elle ne reconnaissait ni la chambre de l’hôpital ni son appartement. La peur croissait au creux de ses tripes. La dernière chose dont elle se souvenait était la chaleur du sang coulant le long de sa gorge. Elle n’avait pas vu Viktorya venir. Elle n’avait rien senti. La mort l’avait cueilli aussi soudainement que le vent éparpille un pissenlit.

Du coin de l’œil, et sa vue était étonnamment large, elle vit quelque chose bouger. Une forme sombre, enrobée d’une odeur de mort. Elle crut que Viktorya l’attaquait et voulut crier, mais un profond grognement sortit à la place. Sa mâchoire pleine d’écume claqua dans le vide.

- Recule ! ordonna Oleg à Rose, l’attrapant par l’épaule.

Il la poussa derrière la table d’autopsie, de l’autre côté d’Hannah.

- Lâche-moi ! Il faut lui parler ! Il faut la rassurer. Tu ne vois pas qu’elle est simplement effrayée ?

À la voix de Rose, Hannah se retourna brusquement. Si Rose était là, c’est qu’elle n’était plus en danger. Elle voulut lui parler, lui raconter tout ce qui s’était passé, au lieu de ça, encore ce grondement sourd.

Rose ressentit une violente douleur au crâne, la faisant poser un genou à terre. Une succession rapide d’images s’enchaina dans son esprit. Hannah attachée sur un lit, Viktorya dans une sale, une autre vampire qu’elle ne connaissait pas…

Hannah voulut s’avancer vers Rose, lui tendre la main, se redresser sur ses pieds, mais son corps lourd et pataud ne répondait pas comme elle le voulait.

Oleg, voyant que le loup se redressait, grognait de plus belle et s’approchait de sa sœur vulnérable, attrapa la première chose qui lui passa sous la main et l’assomma d’un coup sec. Le flot d’images qui assaillait Rose s’arrêta instantanément.

- Je… Je suis désolé, je ne savais pas quoi faire d’autre, j’avais peur qu’elle t’attaque, bredouilla Oleg.

Rose se moquait bien de ce qu’il disait, elle était heureuse. Hannah était vivante. Sa tristesse s’était envolée comme un merle effrayé et son cœur bondissait joyeusement dans sa poitrine.

- Ramenons -là à mon appartement ! s’exclama-t-elle avec un large sourire.

Oleg en resta coi. Il n’avait pas vu un tel bonheur sur le visage de Rose depuis leur vie en Angleterre il y a quasiment un siècle.

- Non de dieux ! Comment veux-tu transporter un loup à travers Rennes toi ?

- Regarde, elle se retransforme. Un lycan inconscient ne reste pas longtemps sous sa forme animale.

Elle s’approcha d’Hannah et se pencha vers elle. La jeune fille ronflait. Rien d’étonnant. Que d’aventures pour un si petit bout ! Elle la prit dans ses bras, la serra contre elle et en une milliseconde, elle s’était volatilisée. Oleg fit de même, ravi par la légèreté de sa sœur.

Rose grimpa les 26 étages de son immeuble quatre à quatre et entra en trombe dans son appartement. Un sourire indélébile étirait ses lèvres. À cet instant précis, elle se fichait de tout, Hannah était en vie.

Elle la déposa dans son lit, tira une chaise et s’installa à son chevet. Rose laissa retomber ses épaules d’un seul coup. Toute la tension accumulée ces derniers jours se volatilisa. Hannah était en vie. Elle inspira et ferma les yeux, l’esprit léger et serein. Hannah était en vie. Elle se le répétait comme si elle avait du mal à croire.

Elle rouvrit les yeux et laissa galoper ses pensées en la regardant ronfler paisiblement.

Rose le vit à nouveau. Le loup de feu. Ses yeux immenses qu’il avait enfoncés dans les siens jusqu’à ce qu’elle perde pied. Verts. Verts comme la terreur qui avait broyé son esprit. Rose l’avait senti elle, Hannah. Ce n’était pas de l’hypnose, elle en était sure, c’était bien plus… immersif.

Rose avait toujours appris que l’homme transformé en loup n’était plus lui même, qu’il n’était plus qu’un animal sauvage sans retenue ni réflexion. Mais était-ce vraiment le cas ? La confrérie ne les avaient-ils pas conditionnés dans la haine du lycan sans véritable raison ?

Hannah était un loup-garou. Quelle idée étrange. Un loup-garou. L’unique prédateur du vampire. Face à un lycan, il n’y avait que deux options, tuer ou être tué.

Une question la taraudait. Hannah deviendrait-elle un danger comme la confrérie le prétendait ? Un danger pour elle ? Pour les hommes ? Cette fameuse bête sauvage qui ne répondait plus de rien ?

Rose écarquilla des yeux horrifiés, une autre idée lui venait. Les lycans étaient soumis à un article du CODEN les empêchant de tuer impunément la race humaine… Et si jamais elle commettait un crime et finissait jugée par le tribunal de la confrérie ? Et si jamais le tribunal demandait sa mort, ou pire son emprisonnement ? Viktorya aurait légalement le droit de l’inclure dans ses recherches… ! Rose secoua la tête agacée. Avec des « si », on mettrait un vampire au soleil ! Elle croisa les jambes et glissa un peu plus au fond de la chaise. Elle ne voulait pas croire qu’Hannah pouvait devenir dangereuse. Elle avait senti sa peur, mais aussi sa fougue, sa joie, sa détermination et une myriade d’autres sentiments qui avaient soufflé en elle comme un ouragan.

Oleg passa la tête dans la chambre. Rose lui fit signe de ne pas faire de bruits et se leva pour le rejoindre dans le salon.

- Comment va-t-elle ? demanda-t-il

- Elle dort encore. Ses constantes vitales sont stables.

- Je pense qu’elle en a encore pour un moment, son pauvre corps a été mis à rude épreuve.

- Oui, elle a beau être immortelle, il doit y avoir un contrecoup important.

- J’imagine. Que comptes-tu faire maintenant ?

- Il faut fuir. Nous ne sommes pas en sécurité ici, Viktorya va vite faire le lien entre elle et moi.

- Mais le problème reste toujours le même, comment veux-tu fuir des vampires ? Sachant que son odeur est particulièrement délicieuse et reconnaissable.

Rose fit quelques pas silencieux dans l’appartement. Elle cherchait des solutions dans la contemplation de la ville.

- D’une part, à moins que Viktorya fasse appelle à une équipe spéciale, elle ne possède pas des vampires surentrainés à la chasse comme ceux qui nous ont poursuivi jusqu’au japon. D’autre part, je compte partir loin, faire beaucoup de détours pour brouiller la piste. En traversant l’eau, l’odeur de sel et d’iode masquera la nôtre.

- Et après ? Tu ne vas pas la garder enfermée sur une ile ad vitam aeternam. Elle a une vie, des amis, des études… Il faut trouver une solution pérenne. On est tous immortels dans l’histoire…

- Je l’entrainerai.

- Tu l’entraineras… ? répéta-t-il sans comprendre.

- Oui, comme si elle était ma nouvelle-née. Pour qu’elle puisse se défendre seule et surtout, qu’elle ait le temps d’apprendre à être elle-même. Elle est quand même devenue en à peine un mois, une Anhumaine, une vampire et une lycanthrope !

- C’est pas rien en effet !

Rose rit avec son frère. Ça y est, c’était dit tout haut. Tout ça paraissait tellement incongru. Hannah renfermait en elle les trois espèces. Cela n’était encore jamais arrivé.

- Tu feras quoi après l’avoir entrainé ? Elle n’aura plus besoin de toi, de ta protection je veux dire.

- Je ne sais pas… Quoi qu’elle décide, je la suivrai. Viktorya doit être stoppée.

- Tu sautes à pieds joints dans un sacré pétrin… Bon, où comptes-tu aller, tu as déjà une idée ?

- Oui, l’ile qui nous a servi de pied-à-terre pendant notre tour du monde.

- Quoi ? Ce bout de caillou inhospitalier ? La pauvre…

- Nous serons tranquilles, la plage devant la cabane est longue, ce sera parfait.

Oleg hocha la tête, peu satisfait, il détestait cette ile. Il avait toujours trouvé qu’elle dégageait quelque chose de terrifiant. Comme s’ils étaient surveillés. Cela dit, Il était d’accord avec le fait qu’il fallait qu’elles disparaissent un moment.

Il ne s’était pas séparé de Rose depuis quasiment un siècle, cela allait lui faire bizarre, mais il ne pouvait pas les suivre. Il avait promis au vieux Elias qu’il l’aiderait dans son histoire de voleur. Et puis Rose n’avait plus besoin de lui maintenant, il pouvait retourner à son restaurant jusqu’à la prochaine aventure.

- Tu veux bien rester ici encore un instant ? Je vais chercher quelques affaires chez elle et son téléphone. Je pense qu’elle aura quelques coups de fil à passer.

- Va ! Je veille. Et Rose… ?

Elle se retourna sur le pas de la porte.

- Tu as l’air heureuse.

Elle inclina la tête, un sourire à timide au coin des lèvres.

- Je suis heureuse.

La lumière tamisée de la petite lampe de chevet éclairait une main élégante qui tournait les pages d’un livre. Un halo de chaleur dans la pénombre de la chambre. Le bruissement régulier du papier tira progressivement Hannah du sommeil. Elle chercha ce métronome des yeux et trouva Rose absorbée par sa lecture. Ses yeux couraient d’une ligne à l’autre dévorant avidement les mots. Le clair-obscur de la scène lui donnait des airs d’anges.

- Tu es venue…

Rose releva ses yeux clairs vers elle. Hannah les trouva changés. Plus… doux. Elle se sentait caressée par une écharpe de soie.

- Sans l’ombre d’une hésitation.

Rose sourit. De ce sourire léger qui plisse les yeux. Hannah crut fondre de l’intérieur, ce sourire enflamma son cœur. Elle avait tellement désiré le revoir.

- Comment te sens-tu ?

- Étrange, mon corps est bizarre. Combien de temps ai-je dormi ?

- 8 jours et 7 nuits. Il fallait au moins ça pour laisser le temps à ton corps de récupérer.

- Récupérer…

Les souvenirs de l’hôpital remontèrent bruyamment à la surface. Hannah se mit à trembler. Viktorya. La douleur. La course. Fisher. Le sang. Encore le sang. Elle porta les mains à sa gorge qu’elle sentait encore se déchirer sous les crocs de la vampire. Elle voyait les yeux de la vampire révulsés par la peur et la rage. Elle… Elle sentit les bras de Rose l’envelopper. La fraicheur sereine de son corps contre le sien. Hannah se laissa aller à cette étreinte inattendue et posa la tête contre sa poitrine.

- Tu es en sécurité maintenant.

Cette dernière phrase fit sauter le bouchon de pression et toute la peur d’Hannah, toute la tension accumulée se mit à couler à travers ses larmes. Rose plongea les doigts dans ses cheveux roux et massa doucement son crâne.

Elle attendit un long moment qu’Hannah se calme avant de parler.

- Il y a quelqu’un qui veut te voir. Je l’entends trépigner derrière la porte.

Hannah se redressa, les yeux encore rouges, mais pétillants de joie.

- Tu peux venir, lança Rose au vas-et-viens inquiet dans le salon.

La porte s’ouvrit brusquement et Basile entra en trombe dans la chambre. Il s’arrêta quelques secondes tenant encore la poignée dans la main, étonné de voir Hannah dans les bras de Rose. Ses traits étaient tirés par la fatigue, mais il affichait un large sourire. Il se jeta sur Hannah que Rose avait libérée et la serra fort contre lui à son tour, la noyant dans ses bras immenses.

- Tu m’étouffes… couina Hannah heureuse de le retrouver.

- C’est pas grave tu es immortelle il parait ! Laisse-moi te retrouver, être sûr que tu sois bien là. J’étais mort d’inquiétude ! J’ai dû t’appeler dix-mille fois.

- Peut-être plus, railla Rose amusée. Je vous laisse…

- Non ! cria Hannah sans réfléchir en se dégageant de Basile. T’en vas pas !

Rose fit demi-tour et glissa quelques doigts sur la joue d’Hannah.

- Je suis dans le salon.

Elle posa un baiser sur le haut de son crâne et s’en alla. Basile avait regardé la scène d’un œil narquois.

- Il se passe quelque chose entre vous ou je rêve ? demanda-t-il lorsque Rose ferma la porte.

Hannah frappa son épaule.

- Tu rêves !

- Mouais… Mais peu importe, on verra ça plus tard ! Comment te sens-tu ? Que s’est-il passé ?

Hannah lui raconta toute l’histoire. Viktorya, la torture, sa gentillesse, sa folie, les tests sur les lycans, puis sa mort et enfin son réveil dans la chambre. Elle n’omit aucun détail.

- Basile ?

Basile tremblait de toute sa hauteur. Il était hors de lui. Vampire ou pas, s’il avait cette Viktorya devant lui, il lui aurait dévissé le coup.

- Je vais lui faire bouffer ses crocs, elle regrettera d’être née !

- Non surtout pas ! Reste en dehors de ça s’il te plait… Je sais que tu veux me protéger, mais là tu ne peux rien y faire. Un humain ne peut rien y faire…

La remarque fut rude pour Basile. Il se sentit comme l’acolyte inutile, celui qui reste en arrière et auquel on doit toujours faire attention. Le maillon faible du héros. Il baissa le nez pour ne pas montrer sa déception. Il savait qu’Hannah n’avait pas voulu le blesser.

Il avait la sensation de la perdre, que si elle continuait sur cette voie sans lui, il ne pourrait jamais la rattraper. Il releva sa tête blonde hirsute et la fixa de ses yeux gris résolus.

- Alors, transforme-moi.

- Pardons… ?

- Depuis qu’on se connait, on a toujours tout fait ensemble. Je veux faire partie de cette histoire moi aussi. Je ne veux pas te laisser seule dans ce pétrin, il a beau y avoir Rose, elle ne tenonnait pas comme je te connais. Transforme-moi et on règlera son compte à cette folle ! Ensemble !

Hannah trouva attendrissant son air d’enfant bougon, les sourcils exagérément froncés et la bouche tordue dans une moue obstinée. Bien sûr qu’elle le voulait avec lui dans cette histoire. Mais…

- Et te transformer en quoi ? En quart de vampire ?

Elle attrapa son nez, le tira jusqu’à ce que leurs fronts se touchent et plongea sous la pluie de ses yeux orageux.

- Basile… Je ne sais pas moi-même ce que je suis. Je veux simplement ne jamais revoir cette femme et reprendre le cours de ma vie. Et dans tous les futurs que j’imagine, tu seras toujours avec moi quoiqu’il arrive.

Basile eut envie d’embrasser Hannah. Ou du moins, il voulait lui montrer toute la tendresse qu’il éprouvait à son égard et c’était la seule marque d’affection assez forte qu’il connaisse. Il aimait Hannah. Pas comme un copain, jamais de la vie il aurait voulu aller plus loin ! Il ne savait pas l’expliquer. Un jumeau ? Il n’imaginait tout bonnement pas la vie sans sa présence. D’ailleurs, il ne le lui avait jamais dit, mais elle avait été la source de quelques ruptures et crises de jalousie…

Quoi qu’il en soit, il se retint. Au lieu de ça, il déplia son corps cassé en trois, chatouilla le plafond de ses mèches en batailles et décréta :

- De toute façon, je n’avais pas l’intention de te lâcher. Et puis… tu n’es pas la seule vampire que je connaisse et à qui je puisse demander…

Il plissa les yeux et pinça la bouche, satisfait. Et toc ! Hannah roula des yeux, faussement agacée et sortit du lit pour le suivre au salon.

- Tiens c’est ton pyjama ça ! remarqua-t-il avant d’ouvrir la porte.

Hannah s’arrêta net et loucha sur les chouettes de son pantalon « Happy owlidays »… Rose avait dû récupérer quelques affaires chez elle. Elle rougit d’un coup à l’idée que la jeune femme l’ait vue nue.

- Pourquoi tu rougis ?

- T’occupes !

- Oh toi… toi ! Tu me caches quelque chose…

Il agita son doigt sous le nez d’Hannah qui fit mine de le mordre.

- Je crois que je le cache à moi aussi.

- Et beh, on est pas sorti le cul des ronces…

Basile ébouriffa les cheveux d’Hannah et sortit de la chambre. Elle lui dira un jour, il le savait.

Hannah resta quelques minutes encore, seule avec elle-même. Rose était venue. Qu’est-ce que cela signifiait ? L’avait-elle veillée durant les sept nuits ? Attendait-elle quelque chose en retour ? Non. Hannah n’y croyait pas. Et ce câlin, et cette caresse, que signifiaient-ils eux aussi ? Hannah s’enflamma au souvenir des doigts sur sa joue. Elle aurait voulu les sentir à nouveau…

- Hannah ! Tu viens ?

- J’arrive ! On ne peut plus penser tranquille ici…

Elle sortit de la chambre à son tour. Rose vivait dans un studio à peine plus grand que le sien. À sa droite, un bar ouvrait sur une petite cuisine dans laquelle un jeune garçon valsait avec des casseroles et à sa gauche une grande baie vitrée trouait le mur, donnant une vue imprenable sur la ville.

Basile, accoudé au bar, regardait la chorégraphie du cuisinier avec admiration, lui demandant la recette détaillée. Rose, quant à elle, lisait recroquevillée dans un fauteuil. La conversation bruyante des garçons ne la gênait pas le moins du monde. Ce tableau convivial mit à Hannah du baume au cœur après ces jours d’enfer à l’hôpital.

- Hannah, je te présente Oleg ! s’exclama Basile très enjoué. C’est le « Frère-de-croc » de Rose. Il est détective privé et chef cuisinier.

- Mademoiselle. Je suis ravi de faire enfin ta connaissance, toi qui as chamboulé ma petite sœur.

Oleg s’inclina exagérément bas tout en secouant vivement des cubes dorés dans une poêle.

- Euh… enchantée…

- Oleg s’il te plait, arrête tes singeries… soupira Rose amusée. Je suis désolée Hannah, ce garçon est un charmeur né. Il ne peut pas s’empêcher d’agir comme un imbécile face à une femme.

- Tiens, j’en connais un autre, railla Hannah en pinçant Basile.

- Moi ? Jamais de la vie !

- À table tout le monde ! les coupa Oleg.

D’une main habile qu’Hannah fut incapable de suivre, Oleg dressa quatre assiettes et les posa sur la table. Il y avait deux soupes rouge orangé décorées de feuilles de coriandre et d’une cuillère de crème, et deux assiettes savamment agencées où elle ne reconnaissait que le riz.

- Basile nous a transmis que tu étais végétarienne, alors voici du tofu caramélisé au miel accompagné de sa terrine de brocolis sur lit de riz.

- Ça donne l’eau à la bouche, j’ai hâte de gouter ! Merci beaucoup de tout le mal que tu t’es donné pour moi, dit Hannah touchée par l’attention.

- Avec plaisir !

- Et les soupes ? demanda Basile.

- Ah ! Tu fais bien de demander ! C’est ma dernière recette ! Je veux l’ajouter à la carte du restaurant. Je te passe les détails, mais c’est une « spéciale vampire » : Soupe d’automne aux deux plasmas.

Basile pâlit. Il avait oublié cet aspect là du vampire… Il faut dire que ces deux-là étaient à mille lieues de ce qu’il aurait pu s’imaginer !

- C’est… du sang humain… ?

- Non ! Grand Dieu non ! Rose me déchiquèterait vif si je lui servais du sang humain. On peut dire que ma petite sœur est sa propre définition du végétarien. Elle ne boit que du sang synthétique.

Basile reprit son souffle. L’idée de finir dans la prochaine soupe l’avait effrayé. Après tout, il était le seul humain ici. Pendant quelques secondes il ne s’était pas senti à sa place…

Rose posa son livre et vint s’installer en face d’Hannah qui dévorait déjà son assiette. La faim avait bondi sur elle comme un tigre enragé.

- Ch’est exchéllant Oleg ! dit Hannah la bouche plaine.

- Merci. Tu peux y aller, il en reste plein, je me doutais que tu serais affamée.

- Dis-moi Oleg, continua Basile sur sa lancée. Si Rose ne boit pas de sang humain, toi tu bois quoi ? Comment font les vampires pour se nourrir ?

Rose se crispa. Elle semblait gênée par cette question habituellement évitée. Oleg, lui, ne se formalisa pas le moins du monde.

- Du sang humain. C’est un peu comme une partie de jambe en l’air vois-tu ? Tant que tu as le consentement de ta partenaire, c’est ok !

- Je vois… répondit Basile, feignant le même naturel. Mais tu es obligé de révéler ton existence à chaque fois pour avoir ce consentement, comment personne n’est encore au courant ?

- La nature est bien faite, un petit coup d’hypnose et c’est réglé !

Basile manqua de s’étouffer avec son brocoli.

- Tu n’as pas besoin de consentement alors, si elle oublie tout…

- Tu es bizarre toi, et ta conscience alors ? Ceci dit, je n’efface pas tout, c’est interdit par le Code De la Nuit. Je modifie un peu ses souvenirs de la soirée.

- Oh, vous avez un code vampirique ? s’étonna Hannah qui revenait de la cuisine pour la 2e fois.

- Oui… répondit Rose dans un murmure. C’est à cause de lui que tu t’es retrouvée dans cette situation…

Rose venait de jeter un froid sur la tablée. Basile laissa retomber sa fourchette, Hannah la garda suspendue devant sa bouche grande ouverte.

- Comment ça… ? demanda-t-elle, inquiète par l’air sombre de Rose

Rose serra le poing sur sa cuillère. Elle tarda à répondre, cherchant les bons mots.

- Le CODEN fait état de lois dans tous les pays qui abritent une confrérie et des vampires. Les articles qu’il contient diffèrent d’une confrérie à l’autre. En France il est composé de six articles. Cinq régissant la vie des vampires, et un sixième destiné aux lycans. Ces articles imposent essentiellement des règles de vie et de bonne entente entre les espaces, notamment des règles protégeant les humains des vampires. Toute dérogation à ces règles est souvent punie par une mise à mort.

- Dur… murmura Basile.

- Oui, et c’est ce qui m’a poussé à agir comme je l’ai fait… Je veux que tu comprennes, Hannah que j’y aie longuement réfléchi. Je suis effondrée par les conséquences de mes actes. Je regrette amèrement mon choix. Au moment où j’ai pris ma décision, celle-ci me semblait être la meilleure parmi les pires options.

- Qu’as-tu fait ? demanda Hannah un peu agacée par toutes ces précautions.

Rose prit une grande inspiration et regarda tristement Hannah.

- L’article cinq du CODEN stipule un recensement de toute nouvelle espèce d’Anhumain sous peine d’un arrachement des crocs et d’une famine forcée de 3 ans. Peu de vampires survivent à une abstinence aussi longue.

Un long silence accueille sa déclaration. Hannah était bouche bée. Elle ne trouva qu’une seule chose à répondre :

- Tu m’as vendu ?

- Oui et non. Je n’ai fait qu’appeler le département du recensement…

Hannah ne savait pas exactement ce qu’elle éprouvait, mais ces mots lui trouèrent le ventre. Elle lui avait aveuglément fait confiance et elle… elle l’avait dénoncée. Son estomac frissonna, il brulait d’une colère naissante.

- Comment as-tu pu… ?

- Je ne savais rien des manigances de Viktorya… Je suis infiniment désolée. Rien de tout ça n’était censé arriver…

Hannah n’écoutait plus ses jérémiades, quelque chose n’allait pas. Sa colère se muait en rage incontrôlée. Elle tremblait de tout son corps, ses os la faisaient souffrir. Une trainée de feu s’embrasa dans son dos. Hannah se leva brusquement, renversant la chaise. Elle ne se sentait pas bien du tout, comme si tous ses muscles étaient sur le point de se déchirer. Et les odeurs… Elle sentait le sang, partout autour d’elle. Elle voulait tuer, déchiqueter. Ses propres pensées l’effrayèrent. Que lui arrivait-il ?

- Hannah ? hasarda Basile.

Tout se passa très vite. Basile avait à peine posé la main sur le bras d’Hannah qu’elle se jeta sur lui. Heureusement, Rose avait anticipé et avait bondi vers le garçon, le tirant violemment en arrière.

- Ne bouge pas et fais-toi tout petit ! Tu es en danger ! lui ordonna-t-elle durement.

Dans un même mouvement, elle attrapa un épais plaid et enferma Hannah dedans avant qu’elle ne commence sa transformation. Elle la plaqua au sol et serra le tissu le plus fort possible. Rose résista à la douleur des premières pensées d’Hannah qui envahissait son esprit.

- Hannah… murmura-t-elle de la voix la plus douce possible malgré l’effort. Hannah, calme-toi, s’il te plait. Je sais que je t’ai blessé, je le sens. Tu ne me crois plus. Tu ne me fais plus confiance. Oh, Hannah, comme je suis désolée. Regarde en moi, sent à quel point je regrette cet appel… À quel point je m’en veux. À la seconde où j’ai compris que la confrérie t’avait enlevée, je me suis précipité sur tes traces.

Hannah gigotait furieusement, mais pendant une brève seconde, Rose sentit un inversement du « flux ». Elle n’était plus Hannah. Hannah était elle. Puis son agressivité revint à la charge, plus douloureuse encore pour Rose.

- Hannah, maitrise ta colère, s’il te plait. Tu as toutes les raisons de la diriger contre moi, mais ne le fais pas payer à Basile. Tu n’es plus toi même, tu as failli le tuer.

À ces mots, Hannah arrêta de se débattre. Sa transformation à peine entamée se stoppa. Rose sentit son hésitation, elle sentit l’emprise de la colère moins lourde sur son esprit. Elle avait réussi à la calmer et pouvait la relâcher. Elle desserra l’étau de ses bras tout en restant vigilante et continua à lui parler calmement.

- Reviens Hannah, ne te laisse pas aller à la sauvagerie. Redeviens toi-même joyeuse et insouciante.

La mâchoire d’Hannah reprit sa taille normale, ses oreilles retrouvèrent leur place habituelle. Elle s’assit et passa la main sur son visage hébété.

- Je ne comprends pas ce qui s’est passé… souffla-t-elle. Je suis désolée.

Basile, une fois sa frayeur passée, s’approcha d’Hannah à quatre pâtés et se planta devant elle, un sourire lui barrant le visage d’une oreille à l’autre.

- Je crois que t’es aussi un loup-garou p’tite tête !

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