Chapitre 17
Timmy ne bougea pas, les yeux figés sur la silhouette décharnée de l’Épouvantail derrière la vitre. Il sentait l’air devenir plus lourd autour de lui, chargé d’un froid surnaturel qui lui glaçait la peau. Il n’osait plus respirer.
Puis, la voix résonna.
Un murmure d’outre-tombe.
« Un crime a été commis. La vérité doit être écrite… ou le sang doit couler. »
Timmy sentit sa gorge se serrer.
« Que… que veux-tu dire ? » balbutia-t-il, incapable de détourner le regard.
L’Épouvantail ne répondit pas tout de suite. Il leva lentement une main tordue, ses doigts semblant faits de bois sec et de paille desséchée, et pointa du doigt Timmy.
« Tu es le dernier à connaître mon histoire. Tu dois la dire. Tu dois la hurler au monde, que tous sachent ce qui a été volé. »
Timmy déglutit difficilement.
« Et si je refuse ? »
Le silence s’épaissit autour de lui, comme si la pièce elle-même retenait son souffle.
Puis la réponse tomba, implacable.
« Alors tu mourras avec les menteurs. »
Un frisson le parcourut. Il n’avait jamais été aussi proche de l’horreur pure.
Il devait choisir.
Timmy ne dormit pas de la nuit. Il resta figé sur son lit, le regard perdu dans l’obscurité, repassant en boucle les mots de l’Épouvantail.
Révéler la vérité ? Exposer son propre village, sa propre famille ?
Ou garder le silence… et condamner quelqu’un d’autre ?
Quand l’aube finit par percer l’horizon, il prit une décision. Il n’allait rien dire.
Peut-être que tout cela finirait par s’arrêter. Peut-être que si il ne parlait pas, il pourrait vivre normalement.
Il voulait y croire.
Mais la réalité le rattrapa trop vite.
Clement le secoua violemment, le réveillant d’un sommeil trouble.
« Timmy, réveille-toi. Il s’est passé un truc horrible. »
Timmy ouvrit les yeux, son estomac se nouant immédiatement. L’expression de Clement était livide, son teint blafard sous la lumière froide du matin.
« Quoi ? » murmura Timmy, redoutant la réponse.
Clement avala difficilement sa salive.
« Viens voir. »
Timmy se leva avec précaution, la peur rampant déjà dans ses veines. Il suivit Clement hors de sa chambre, descendant les escaliers précipitamment.
Puis il s’arrêta net en voyant la porte d’entrée ouverte.
Et au loin, au milieu des champs, il vit le corps.
Timmy sentit ses jambes se dérober sous lui.
Un homme pendait à un vieux poteau de bois, ses bras ballants, sa tête inclinée sur le côté. Son torse était marqué par des lacérations profondes, des symboles gravés dans sa chair.
Mais c’était le message qui lui coupa le souffle.
Cloué sur le corps, un morceau de tissu taché de sang.
"TOI AUSSI, TU PEUX MENTIR."
Timmy recula d’un pas, l’air quittant ses poumons.
« C’est… c’est impossible… »
Mais c’était bien réel.
L’Épouvantail n’attendait pas. Il ne lui donnait pas le luxe de tergiverser.
Timmy avait refusé de dire la vérité.
Quelqu’un d’autre l’avait payée de sa vie.
Et si il persistait à se taire… il savait qu’il serait le prochain.
Timmy resta figé, les yeux rivés sur le cadavre suspendu au poteau. Le message ensanglanté battait faiblement sous la brise matinale, comme un dernier avertissement.
"TOI AUSSI, TU PEUX MENTIR."
Ses jambes tremblaient. Son estomac était noué à s’en rendre malade. Il avait cru pouvoir ignorer l’Épouvantail, croire que tout cela n’était qu’un cauchemar qui finirait par s’effacer.
Mais c’était réel. Quelqu’un était mort à cause de lui.
Clement posa une main sur son épaule, mais Timmy ne réagit pas. Il ne pouvait plus se cacher.
L’Épouvantail ne s’arrêterait pas tant que la vérité ne serait pas connue.
Il devait agir.
Ils retournèrent chez Clement en silence. Assis sur le lit de son ami, Timmy fixait un point invisible sur le mur.
Clement, lui, faisait les cent pas, son visage toujours livide.
« Ok… » souffla-t-il enfin. « On fait quoi maintenant ? »
Timmy releva lentement les yeux.
« On dit la vérité. »
Clement s’arrêta net. « Quoi ? »
Timmy serra les poings. « C’est ce qu’il veut. Il ne tue pas sans raison. Il veut que son histoire soit connue, que ceux qui ont bâti leurs vies sur son meurtre paient enfin. »
Clement secoua la tête, incrédule. « Et tu crois que les gens vont juste nous écouter ? Ça fait des générations qu’ils cachent ça ! Tu crois vraiment qu’un adolescent et un passionné de BD vont pouvoir renverser des décennies de silence ? »
Timmy inspira profondément.
« Je crois qu’on doit essayer. »
Clement se passa une main dans les cheveux, tiraillé entre la peur et l’incrédulité.
« Et on commence par quoi ? »
Timmy réfléchit un instant.
« Par les archives du village. »
Ils retournèrent à la mairie en plein jour. Cette fois-ci, l’endroit n’avait plus rien d’effrayant, mais Timmy savait que ce n’était qu’une illusion.
L’histoire de l’Épouvantail était là, quelque part, cachée entre ces murs.
Avec précaution, ils fouillèrent les registres poussiéreux, retournant chaque vieux journal, chaque rapport oublié.
Et enfin, ils trouvèrent ce qu’ils cherchaient.
Un article daté de 1967.
"Un fermier accusé de sorcellerie brûlé vif par les habitants."
La photo jaunie montrait un groupe d’hommes tenant des torches devant un champ.
Et parmi eux, Timmy reconnut le visage de son grand-père.
Son cœur rata un battement.
« C’est ça… » murmura Clement, abasourdi.
Timmy serra le journal entre ses doigts. Son grand-père avait fait partie de ce lynchage.
Son père le savait.
Et lui… il était maintenant l’héritier de cette vérité maudite.
Il se tourna vers Clement, le regard brûlant d’une nouvelle détermination.
« On va faire en sorte que tout le village voie ça. »
Le soir même, Timmy fit quelque chose qu’il n’aurait jamais osé avant.
Il posta l’article sur le forum local du village, ajoutant un message simple mais percutant :
"Ce village est bâti sur un crime. Il est temps que la vérité sorte."
Les réactions ne tardèrent pas. Certains habitants réagirent avec choc, d’autres avec colère.
Mais une chose était sûre : le silence était enfin brisé.
Puis, alors que Timmy rafraîchissait la page, un message anonyme apparut sous son post.
Un simple mot.
"Enfin."
Timmy sentit un frisson parcourir son dos.
L’Épouvantail avait vu.
Et il avait entendu.
« Alors, Timmy, Clement, vous avez vu votre monstre cette nuit ? »
La voix moqueuse appartenait à Julian, un adolescent du village, grand, blond, avec un sourire narquois accroché à ses lèvres. Autour de lui, son groupe d’amis riait à gorge déployée.
Timmy et Clement marchaient dans la rue principale, essayant d’ignorer les regards amusés qui se posaient sur eux. Mais Julian et sa bande ne comptaient pas les laisser tranquilles.
« Hé, on devrait appeler les producteurs de L’Épouvantail, » enchaîna Emma, une fille aux longs cheveux bruns. « Timmy et Clement ont trop regardé la série et maintenant ils croient que c’est réel ! »
De nouveaux éclats de rire fusèrent.
« Peut-être que l’Épouvantail viendra nous chercher ce soir, hein ? » renchérit Lucas, un garçon trapu qui leur lança un regard provocateur. « Fais gaffe, Timmy, il pourrait vouloir une nouvelle victime ! »
Le rire des adolescents résonnait sur la place du marché. Certains passants secouaient la tête avec amusement, d’autres murmuraient entre eux.
Clement serra les poings, visiblement à bout.
« Vous êtes vraiment des idiots, » lâcha-t-il, les mâchoires crispées.
Mais cela ne fit qu’amplifier les moqueries.
« Ouh, il s’énerve ! Attention, les gars, Clement va invoquer l’Épouvantail ! » plaisanta Julian en faisant semblant de trembler.
Timmy attrapa Clement par le bras et l’entraîna plus loin, sans répondre.
Rien ne servait de parler à des gens qui ne voulaient pas écouter.
Mais il savait une chose.
Ils ne riraient pas longtemps.
Des rires… et des silences lourds
Au milieu des moqueries et des regards moqueurs, Timmy remarqua autre chose.
Certains villageois ne riaient pas.
Ils ne disaient rien, mais leurs yeux racontaient une autre histoire.
Certains détournaient le regard. D’autres semblaient mal à l’aise.
Ils n’étaient peut-être pas nombreux… mais ils savaient.
Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la place du marché, une main se referma sur le bras de Timmy.
Il se retourna brusquement et tomba sur le regard perçant de Madame Belanger, une femme d’une soixantaine d’années, propriétaire de la boulangerie locale.
« Vous devriez arrêter de parler de ça, » murmura-t-elle rapidement, son regard scrutant les alentours.
Timmy sentit son cœur accélérer.
« Vous savez quelque chose ? » demanda-t-il à voix basse.
Elle hésita un instant, puis secoua la tête.
« Je sais seulement que certaines histoires ne meurent jamais. Et que ceux qui creusent trop profond… »
Elle ne termina pas sa phrase, mais ses doigts serrèrent légèrement le bras de Timmy avant qu’elle ne le relâche.
Puis elle s’éloigna précipitamment, comme si elle regrettait déjà d’avoir parlé.
Timmy échangea un regard avec Clement.
Il y avait des gens qui savaient.
Et il était temps de les trouver.
Le soir venu, Timmy et Clement décidèrent d’élargir leur enquête.
S’ils voulaient découvrir toute la vérité, ils devaient trouver ceux qui ne riaient pas.
Ils commencèrent par observer les maisons, les regards furtifs derrière les rideaux tirés.
Les ombres qui semblaient hésiter à parler.
Et enfin, ils trouvèrent leur première piste.
Monsieur Armand, un vieil homme qui habitait à la lisière du village, connu pour avoir été témoin de beaucoup de choses sans jamais en parler.
Ils frappèrent à sa porte.
Le vieillard ouvrit légèrement, et son regard passa d’un adolescent à l’autre.
« Vous êtes les gamins qui parlent trop ? » grogna-t-il.
Timmy prit son courage à deux mains.
« On veut juste savoir ce qui s’est réellement passé. »
Un silence pesant s’installa.
Puis, lentement, le vieil homme ouvrit la porte.
« Alors entrez. Mais sachez que ce que vous cherchez… vous ne pourrez plus jamais l’oublier. »
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