Petit Pierre
Petit Pierre a deux ans et s’initie aux bonnes choses !
Petit Pierre s’ennuie. Il n’a pas le droit de sortir, d’aller dehors. Ils sont tous à table. Et il y a plein de tables. Et plein de gens qu’il ne connait pas et qui le soulèvent, l’embrassent, veulent qu’il fasse un bisou, lui parlent comme si il était un bébé ! Demain c’est le mariage d’Isa. Alors depuis ce matin, Petit Pierre fronce les sourcils, regarde par en dessous avec des yeux noirs. Et dit NON et encore NON.
Ils rient, parlent fort. Petit Pierre ne sait pas quoi faire, pas quoi faire, pas quoi faire … il serre fort Pinpin sur son nez, pense à froncer les sourcils (c’est fatigant !), regarde Papy, puis tonton… mais ils ne font pas attention. Mamie l’appelle, veut qu’il vienne sur ses genoux, mais Mamie va lui faire des bisous. L’air de rien, il déambule entre les tables, se rapproche de la porte, du jardin… entre deux dos, il voit les yeux de Maman. Elle ne le quitte pas du regard tout en riant et en parlant. Elle n’écoute pas vraiment ce que lui disent ses voisins, elle répond sans doute un peu n’importe quoi ! Parfois Petit Pierre se cache derrière un dos. Il met ses doigts les uns après les autres dans sa bouche. Il n’a jamais le temps de lécher les doigts de l’autre main avant d’entendre la voix de maman : « Pitou, tu es où ? » alors il se remet à marcher en fronçant fort les sourcils. Pour que personne n’ait envie de l’attraper et de le bisouiller comme si il était une poupée. Ou une fille.
Pan, il s’est tapé dans des jambes. Il l’avait déjà remarquée, c’est une dame. Elle, elle n’est pas à table. Elle marche entre les tables et parfois elle court, elle s’arrête, elle repart, elle revient … il est obligé de faire attention !
Petit Pierre la trouve intéressante tout d’un coup cette dame qui bouge ! Il commence à la suivre …
Hop les jambes font un pas de côté pour l’éviter ! Elles l’ont vu ?!
Petit Pierre commence à être intrigué, il se concentre, il se rapproche … il ne voit plus les jambes, il ne voit plus la dame, il ne voit plus que la jupe noire, la jupe qui danse ! Qui danse comme si elle était accrochée à un ballon léger que le vent promène. Petit Pierre tend la main, il voudrait bien l’attraper, entrer dans la ronde, ce serait tellement plus drôle !!!!! Mais la jupe s’échappe encore et encore. Petit Pierre commence à trouver le jeu très énervant, il s’approche un grand coup, bien décidé à s’accrocher, à attraper le ballon, à entrer dans la danse… et la dame s’arrête brusquement, Petit Pierre n’a pas le temps de freiner …. Son nez, sa bouche, et même ses yeux s’enfoncent dans un ballon tout doux, tout tendre comme un oreiller, de surprise il ouvre grand la bouche et MORD
Aïï la dame le regarde, en faisant de grands yeux ….
Petit Pierre met sa tétine dans sa bouche, fait demi-tour, va s’assoir à côté de maman. Il est songeur…
Petit Pierre a trois ans et prend des initiatives
Il fait chaud. Très chaud. Le jardin se tait, ne bouge pas, même les insectes se font silencieux. Les enfants s’ennuient. Camille regarde des livres, dessine mais Petit Pierre tourne en rond. Il regarde le chat qui se déplace doucement. Le soleil a tourné, il cherche l’ombre fraiche. Il est bête ce chat, Petit Pierre en est certain. Il l’aime bien, mais le méprise un peu, aussi. Hier, il a voulu lui rendre un grand service, il a tenté de le baigner pour le rafraichir. lI s’est échappé en crachant !!!! Stupide animal ! Camille a haussé les épaules en disant, mais c’est un chat !!! Maman riait.
Petit Pierre se dit que les filles et les chats c’est bien pareil et qu’il va falloir qu’il prenne les choses en main. Petit Pierre réfléchit. Regarde bien le chat. Réfléchit encore. Il sait, il a compris pourquoi le chat a si chaud. Mais c’est une évidence !!!!! Petit Pierre explique son idée à Camille, qui la trouve … intéressante.
Maman est occupée dans la cuisine. La maison est calme, comme endormie. Le silence est si agréable. Peut-être un peu long. Et profond, à bien y réfléchir. Maman appelle les enfants. Pas de réponse. Elle va tranquillement d’une pièce à l’autre, à leur recherche. Arrive dans le jardin et les voit gentiment occupés. Camille est assise, face à elle, le chat étendu sur ses genoux. Petit Pierre lui tourne le dos. Elle s’approche intriguée par une telle concentration. Petit Pierre caresse le chat de la main gauche. Le chat est bien, il ronronne. Petit Pierre tient bien fermement dans sa main droite le rasoir de Papa et déshabille lentement le chat…
Petit Pierre a quatre ans et ne s’en laisse pas conter
Petit Pierre, Alex et Arthur se retrouvent devant la porte de l’école comme tous les matins. Mais ce matin n’est pas comme les autres : il a neigé pendant la nuit ! C'est comme si une grande nappe blanche avait été posée, comme si une fête se préparait en secret ! Et c’est si drôle d'y laisser des traces pour dire qu’on est là, qu’on est passé par là !
Ils rentrent dans l’école et se s’arrêtent net, ébahis : comme elle est belle la cour !
Les trois copains se précipitent vers les vélos, si on veut les meilleurs, il faut être les plus rapides ! Tiens, il en manque deux ! Les garçons reviennent dans la cour dépités. Arthur montre le petit toit du mur d’enceinte aux deux autres : « y’a des traces ». Alex hoche la tête : « ouais ». Petit Pierre pousse Arthur du coude, ils se regardent d’un air entendu.
Alex n’a pas compris de suite : « ben quoi ? » Les deux autres lui font face, et à mi voix : « Y’a quelqu’un qui est venu par là (Arthur tend le doigt vers le mur) pour venir voler les vélos. » Et Petit Pierre de conclure d’un air sombre : « Y’a un voleur d’école »
La journée passe. Les garçons ruminent. Leur découverte est d’importance. Ils essayent d’en parler à la maîtresse, mais elle ne comprend pas. A l’heure des mamans, leur décision est prise et leur plan est au point.
Petit Pierre s’est couché sans faire d’histoire ce soir, tout le monde est surpris et content. Il ferme les yeux quand maman passe dans sa chambre en allant se coucher, mais il ne dort pas. Il est même tout habillé sous sa couette remontée jusqu’au nez !
Il attend patiemment qu’il n’y ait plus de bruit depuis longtemps dans la maison et il se relève, tout doucement, en faisant très attention. Il pose ses pieds prudemment en évitant les lattes de parquet qui grincent.
Il va dans la chambre de Camille sans faire de bruit, prend ses deux cordes à sauter et descend l’escalier. Il enfile ses chaussures, son anorak et sort dans le jardin. Avant, il a pris la clé de la petite porte du jardin et puis un petit tabouret pour être assez grand pour ouvrir la porte. En passant devant la moto de Papa il se dit que ce serait bien d’emmener les deux casques. Alors il monte sur le tabouret, tourne la clé avec ses deux mains, la porte s’ouvre. Il enroule les cordes à sauter, qu’il avait posées à côté de lui, autour de sa taille, met un casque sur sa tête et prend le second dans ses bras. Il sort dans la rue et part d’un pas décidé vers l’école. Le casque glisse bien parfois en arrière, Petit Pierre ne voit plus grand-chose, mais ce n’est pas grave !
Quand il arrive devant l’école, Arthur est déjà arrivé. Petit Pierre pose les casques et lui dit :
« T’as pas le fusil de ton Papa ?
- J’ai pas trouvé la clé, mais j’ai pris une grosse lampe à l’ectrique
- et où il est Alex ?
- sais pas, on y va
La première phase du Plan consiste à se servir des cordes à sauter, attachées l’une à l’autre, pour passer par-dessus le mur de la cour de récréation. La seconde phase du Plan consiste à se cacher dans l’école pour attendre le voleur d’école. Il suffira ensuite de l’attraper et de l’attacher avec les cordes à sauter et d’attendre les maîtresses. Voilà, c’est simple !
Mais les cordes à sauter ne veulent pas tenir attachées, quant à passer par-dessus le mur …. Les garçons sont déconcertés, puis déconfits !
Ils vont s’assoir, piteux, sous le porche de l’entrée de l’école, chacun sur un casque. Bien décidés à ne pas bouger avant d’avoir mis leur voleur en déroute par leurs cris. Au moins, cela ils sauront le faire !
Bientôt, se font entendre les voix des Papas et des Mamans… Petit Pierre et Arthur n’ont pas bougé, les ont laissé arriver et avant qu’ils aient pu dire un mot, eux leur ont dit : « Il faut sauver l’école !!! »
Petit Pierre a cinq ans et …. C’est compliqué !
Cela commence comme une aventure de Petit Pierre… mais à bien y réfléchir, c’est un peu plus.
C’est le cœur de l’été. Petite Cousine à trois ans, Petit Pierre en a cinq. Petite cousine cherche Petit Pierre partout, elle l’appelle, en vain, pas de Petit Pierre ! Intriguée, Maman le cherche également et le trouve enfin, caché derrière la cabane de jardin, comme enfoui dans la haie à laquelle elle s’adosse. Il est immobile, tout droit, attentif aux appels, presque au garde à vous ! Il tourne juste un peu la tête vers Maman, marmonne une réponse incompréhensible à ses questions. Devant son insistance il pousse un gros soupir et lui dit d’une traite « j’ai dit que je sais lire et que j’allais lui lire des livres … elle m’a cru ». Maman éclate de rire. Il la fusille du regard et impératif : « chuuuuut » !
Petit Pierre était déjà un petit homme !
Je revois son regard noir et le rire me vient quand je croise au hasard des rencontres et des errances, de charmants petits garçons de 40, 50, 60 ans, qui l’espace d’un instant, se rêvent aigles …… et puis courent se cacher, ronchons ou mutiques, boudeurs ou amnésiques, jouant, le sourcil froncé, à l’homme important, occupé, tout à coup emporté, habité par une esthétique, une mystique auxquelles vous n’êtes pas initiables … charmants, délicieux petits garçons qui, fort heureusement, ne renonceront jamais complètement à se voir héros dans le miroir magique des regards ! Les éternels petits garçons sont le sel de la vie !
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