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Et voici la dernière partie de cette petite histoire.
Écrit en écoutant notamment : DJ Myosuke – 1BPM
Chapitre 34
[...]
20 août 2013
Plus qu’une dizaine de jours avant la rentrée dans mon école d’informatique. Pour les admissions, heureusement seules comptaient les notes de première et des deux premiers trimestres de Terminale qui comptaient, sinon, je n’aurais jamais été pris.
Mais surtout, c’est aujourd’hui que Victorin rentre de vacances. Il a passé un mois à sillonner les États-Unis avec ses parents. Au fil des jours, j’ai reçu des photos des buildings new-yorkais, de la côte de Floride, des grandes forêts escarpées du Maine… Sans oublier des clichés de lui torse-nu dans une salle de bain à six mille kilomètres d’ici. Pour moi, son corps est la perfection incarnée. C’est simple, depuis plusieurs jours, je ne pense plus qu’à la seconde où mes doigts fouleront à nouveau sa peau.
En plus, nous sommes chanceux, car nous n’habitons qu’à une heure et demie de train l’un de l’autre, et ça ne changera pas spécialement à partir de la rentrée. Je sais donc qu’on pourra se voir régulièrement, mais j’ai trop envie que nous fassions déjà l’amour avant la fin des vacances ! J’espère qu’il sera prêt pour ça. De mon côté, je ne peux pas imaginer une seconde que l’expérience ne soit pas sublime.
Je suis arrivé une demi-heure en avance à la gare pour être sûr de ne pas rater mon train. Au pire, il y en a un autre une heure après, mais ça serait une heure de perdue. Chacun des derniers jours m’a paru plus long que le précédent, et ce sont maintenant les minutes qui se transforment en heures.
[...]
Ætheris : Je suis vraiment trop contente pour Aymeric ! On n’est jamais sûr que ces amours de vacances survivent vraiment, mais apparemment, ces deux-là sont en train de me faire mentir. Je leur souhaite de belles retrouvailles.
nikita_k : J’adore vraiment suivre cette histoire au jour le jour. Petit veineux, va ! Moi aussi, j’aimerais avoir un gars comme Victorin pour moi. Et c’est pas grave si les suites ne sont pas régulières : dans la vraie vie, tout ne se passe pas comme prévu !
Aymeric s’était délecté en écrivant sa réponse : J’avoue que j’ai beaucoup de chance avec mon petit mec. Là, je suis dans le train pour le rejoindre, je suis tellement impatient ! J’espère pouvoir vous faire un chapitre demain (ou pas, si je suis trop occupé ;)).
***
***
Un mois et demi plus tard, le 12 octobre 2013.
En ce samedi matin, Aymeric avait attendu pendant une vingtaine de minutes dans un couloir de son école d'informatique. Puis, une dame d’une quarantaine d'années était venue le chercher. Elle avait assemblé une espèce de bureau à l’aide de quatre tables de cours, et y avait installé son PC portable. Elle disposait également d’un petit carnet, d’une lampe portable et d’une thermos.
- Eh bien, je me présente : Docteur Stéphanie Chamalière, je suis psychologue en milieu universitaire depuis maintenant quatre ans.
- Ok, c’est ce qu’on m’a dit, avait répondu Aymeric. Moi je suis étudiant ici, en première année.
C’était son amie Mélanie qui l’avait poussé à s’inscrire à ces séances. Elles se tenaient une fois toutes les deux semaines dans l’école, gratuitement et bénévolement. Selon Mélanie, c’était absolument nécessaire. Son cas l’inquiétait vraiment.
Elle n’aurait jamais pu imaginer la réalité, pensa Aymeric.
Quelques jours plus tôt, Mélanie avait enfin réussi à le convaincre de venir à la soirée organisée par le bureau des élèves de l’école. La mission n'était pas gagnée d'avance : Il faut que j’avance dans mon roman ! répétait inlassablement Aymeric dès qu’on lui proposait de sortir et de s’amuser. Il s’était aussi mis à sécher une part importante des cours : il faut dire que cette activité prend du temps. En réalité, il avait seulement changé d’avis en lisant un des commentaires à son chapitre 82 :
“Mais quel rythme d’enfer dans l’écriture !! N’oublie pas de profiter aussi des plaisirs de la vie et de ton amoureux. Nous, on peut attendre, s’il faut :) Toujours un énorme plaisir de lire cette histoire, vous formez vraiment un très beau couple.“
Il avait alors rabattu son écran d’ordinateur et envoyé un message à son amie pour lui confirmer sa présence. Puis il était allé prendre une douche : au bout de trois jours, ça devenait horriblement nécessaire.
Au début, il avait été surpris par la relative bonne humeur qui l’animait. Les gens, la musique, la bière : ce monde le changeait de l’invariable noir et blanc de ses pages Word. L’ambiance lui rappelait sa soirée avec Loïc, après les résultats du bac, et surtout ceux du test VIH. Puis d'un coup, il s’était rappelé que dans dix jours, il devrait rentrer chez ses parents : cela marquerait le début des ennuis... Il fallait absolument profiter au maximum de ces derniers instants de liberté. Cette soirée serait une pure soirée !
Une heure plus tard, Mélanie l’avait retrouvé dans une pièce à l’écart de l’animation principale. Il tenait à la main une bouteille de vodka quasi-vide.
Quelle honte quand même…
- Oh putain ! Ne me dis pas que tu as tout bu d’un coup !
- Non, pas tout, elle avait… déjà été commencée… je crois, avait bafouillé Aymeric. Mais je ne me sens pas… pas très bien.
- Tu m’étonnes ! Oh merde, merde, merde !! avait-elle paniqué avant d’appeler le poste de sécurité.
Aymeric ne s’était plus souvenu de la suite de la nuit. Seulement du lendemain après-midi. Il avait ouvert les yeux et était tombé sur ceux de son amie. Il se trouvait dans une chambre d’hôpital.
- Je pense que tu devrais voir quelqu’un, lui avait-elle dit. Je ne suis pas sûre de pouvoir gérer la situation toute seule.
***
- Est-ce que vous pouvez me raconter ? avait demandé la psychologue avec bienveillance.
- Oui… Je suis vraiment désolé de vous faire perdre votre temps. Mais je crois que plus rien ne va chez moi, il faut faire quelque chose. Je sais… ça peut paraître complètement bête et naïf, mais voilà : cet été… j’ai rencontré un garçon en vacances, et j’ai tout de suite été follement amoureux. Je n’avais jamais rien ressenti de tel ! Toute la semaine a été magique, et puis forcément, il a fallu se séparer. Il habite complètement à l’autre bout de la France… On s’est envoyé plein de messages pendant les premiers jours, en se promettant de se revoir le plus tôt possible. Mais au bout d’une semaine, ses réponses se sont faites de plus en plus rares, de plus en plus impersonnelles… Je souffrais tellement de la situation !
La docteure avait acquiescé lentement.
- Et puis, je ne vous ai pas raconté, mais la fin de l’année de Terminale, au printemps passé, a été vraiment compliquée.
Aymeric avait résumé pendant dix minutes l’interminable angoisse qui l’avait tenue jusqu’à début juillet.
- Vous imaginez donc bien à quel point j’étais heureux avec Victorin ! Avec lui, tout se passait merveilleusement bien. En même temps, j’avais commencé à écrire un roman qui racontait mon aventure, puis la nôtre, au jour le jour.
Il avait sorti son téléphone et lui avait montré le topic de son récit.
- Il y a plein de gens qui suivent mon histoire, et je ne pouvais pas les décevoir.
- Comment ça, les décevoir ? avait-elle demandé en fronçant les sourcils.
- Bah… tous les commentaires et félicitations sur mon texte m’ont énormément aidé à mettre ce parcours médical derrière moi. Alors j’ai décidé de continuer à écrire, en imaginant ce qu’aurait pu être la suite de notre relation.
- Mais donc, en faisant croire que tout était réel ?
Elle avait visé juste du premier coup. Le voyage de Victorin aux États-Unis, leur rencontre à la fin de l’été, leur première fois, et tous les jolis moments qu’il avait décrits par la suite, tout était faux. Entièrement faux ! Mais d’une certaine manière, il les vivait par procuration, à travers les commentaires qui arrivaient tous les jours sur son texte. Il fantasmait une relation parfaite en faisant miroiter son bonheur factice à travers des dizaines et des dizaines de chapitres.
- Tu aurais eu honte d’avouer à tes lecteurs que ta relation touchait à sa fin ? avait-elle ajouté.
- Oui, je crois que c’est quelque chose comme ça. Tant qu’on se parlait encore, je me suis permis quelques libertés, puis ça a fini par vraiment déraper.
Aymeric avait pris une grande respiration à cet instant.
- C’est devenu encore pire fin septembre. En fait, mes parents ont découvert un papier d'analyse de l’hôpital dans mes affaires. J’étais tellement soulagé sur le moment que j’ai oublié de le faire disparaître, comme tous les autres. J’ai vraiment peur de retourner chez moi à la fin de la semaine ! Pour l’instant, j’ignore toutes leurs questions, mais ça m’empêche de dormir !
- D’accord, nous verrons ce point ensuite. Combien de temps consacres-tu à l’écriture, en ce moment ?
- Euh… je dirais six ou sept heures par jour. Et je dois avouer que je préfère ça plutôt que d’aller à certains cours.
- Hmm, en effet, ça me paraît un peu déraisonnable. C’est une excellente passion, un excellent outil d’introspection, mais dans ton cas, c’est peut-être devenu un moyen d’échapper au monde réel. Le premier conseil que je pourrais te donner est d’essayer, chaque jour, d’écrire en quelques lignes une expérience réelle qui t’a marqué, ou que tu as appréciée.
- Et par rapport à l’histoire que je suis en train de poster ?
- Eh bien… il faudrait sûrement envisager d’y mettre un terme. Mais prends ton temps, il est important d’achever correctement de tels projets. Il faut que tu en ressortes fier et que tu puisses passer à autre chose sans regret.
Chapitre 85
[...]
J’embrasse Victorin en allant chercher les zones les plus sensibles de son corps. Allongé sur le dos, avec les muscles du torse tendus, il est absolument désirable. Son caleçon gris le protège, pour quelques secondes encore, de mes ardeurs.
- Je t’aime, dis-je. Tu es comme l’objet de mes rêves. Parfois, je doute que tu existes vraiment, que je puisse te tenir contre moi, ici, maintenant.
FIN
Aymeric se leva de sa chaise, comme drogué. Des phosphènes jaillirent en feu d'artifice devant ses yeux, si éblouissants qu'il dut se rassoir sur le bord de son lit. Retour à la réalité, comme un train de montagnes russes qui rentre en station.
Il attrapa son manteau et descendit prudemment au rez-de-chaussée. En fait, la tempête faisait un tel boucan qu'il n'aurait pas réveillé pas grand monde en plus. Il poussa la porte de l'abbaye et se retrouva dans la cour, agressé par les rafales tantôt mugissantes, tantôt sifflantes. Il s'engagea à la lueur de son téléphone sur le chemin qui menait vers la pointe de l'île. Au bord de la route, les branches des grands pins s'agitaient dans un chaos de colère divine et émettaient des craquements lugubres. De toute façon, Aymeric n'avait plus grand-chose à craindre.
Plus il s'avançait sur la lande, plus sa progression était ralentie. Ses oreilles sifflaient si fort qu'il n'aurait pas entendu un avion décoller derrière lui. Ce spectacle d'ombres et de son le fascinait. Bien qu'il se trouvât maintenant dix mètres au-dessus des flots, des gerbes salées venaient fouetter son visage en l'aveuglant totalement.
Et si, ici, maintenant, il décidait de se jeter ? Sa fin serait sûrement froide et douloureuse.
Il se pencha en avant vers le vide, seulement retenu par la puissance ininterrompue du vent.
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