La voie de la chevalerie

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Je profitai de l’absence d’Hide pour fouiller dans ses papiers. Si les flics avaient le droit de le faire, je pouvais me le permettre aussi. Dans un tiroir, je découvris des bordereaux de virement de la banque Yuchô, où se trouvait l’un des comptes privés d’Hide, dont il se servait pour ses affaires « légales ». La banque postale japonaise ayant notoirement ignoré la révolution numérique, ce type de documents était encore accessible. Hide les gardait ici, dans un petit classeur, à l’ancienne... sûrement pour donner un os à ronger aux flics.

Et plusieurs de ses papiers étaient des avis de virements mensualisés à destination d’une certaine Yanagawa Naho. Hide lui filait cent cinquante mille yens par mois : l’équivalent de la paye d’un salaryman. Il avait officiellement rompu toute relation avec elle, mais continuait à la soutenir financièrement !

La porte s’ouvrit. C’était Hide qui revenait.

— Pfiou, souffla-t-il. Quelle plaie, ce flic... Qu’est-ce que tu fais ?

Je me retournai, brandissant l’un des bordereaux de virement entre deux doigts.

— C’est quoi, ça ?

Hide s’approcha. Il me prit le papier des mains et l’inspecta.

— C’est un bordereau de virement. Où est le problème ?

Où est le problème ? répétai-je en plissant les yeux. Tu fais des virements mensuels à ton ex et tu me demandes où est le problème... !

Hide se laissa tomber dans son fauteuil de bureau.

— Oui, je lui reverse de l’argent chaque mois, asséna-t-il en me regardant droit dans les yeux, les doigts croisées sur son giron. J’estime que c’est mon devoir. Naho élève son enfant seule, sans homme, et elle doit faire tourner un business.

— Elle a pas de famille, Naho ? grinçai-je, sentant la mayonnaise monter.

— Non. Ses parents l’ont rejetée il y a bien longtemps.

On se demandait pourquoi.

— Et donc, tu comptes patronner toutes les mères célibataires chef d’entreprise de ce pays, Hide ? persiflai-je.

— Seulement celles avec qui j’ai des liens, et qui sollicitent mon aide, dit-il calmement. Aider les gens dans le besoin, les plus démunis, c’est aussi la voie d’un yakuza, Lola. J’aimerais que tu comprennes cela.

— Oh, ne me fais pas le coup du gangster chevaleresque ! Je sais comment tu gagnes ton argent. Alors le coup des œuvres caritatives pour le blanchir, ça va bien !

Hide plissa légèrement les yeux, mais il resta très maître de lui.

— Non, tu ne le sais pas. Tu viens de débarquer, Lola, tu ne connais pas encore ce monde. Ni mes affaires, ni mon entourage... ni mon passé. Merci de rester en-dehors de ça et d’attendre tranquillement que je t’affranchisse. En attendant, ne compte pas sur moi pour mettre fin à cette donation : il est hors de question que je laisse la sœur jumelle de Miyako livrée à elle-même avec son fils, quoi qu’il arrive.

Hide campait fermement sur ses positions. Il était si sûr de lui, si autoritaire et déterminé à défendre son espace que je me mis à douter : et si c’était bien lui, finalement, le père de l’enfant ? Je décidai de lui poser la question directement. Si je ne le faisais pas maintenant... l’occasion ne se présenterait plus jamais.

— Hide... dis-moi la vérité. Qui est le père du fils de Noa ?

— Je ne sais pas. Elle ne me l’a pas dit.

— Ce ne serait pas toi, à tout hasard ?

Hide me fixa en silence pendant un long moment. Lorsqu’il vous regardait comme ça... on se sentait tout petit, au bord de la liquéfaction. Mais je tins bon. Moi aussi, je devais défendre mon territoire.

— Arrête de dire de la merde, lâcha-t-il finalement. Je ne suis pas le père de Yuta.

— Tu la baisais déjà quand elle est tombée enceinte ?

Hide tourna la tête, plissa le nez d’un air dégoûté. Il était furieux.

— Réponds-moi, insistai-je.

Il tourna vivement la tête vers moi. Plus rapide qu’un aigle, et le regard aussi perçant.

Ferme-la.

— Pas avant que tu ne m’aies répondu !

Je te conseille de la boucler.

— Et ton conseil, tu peux te le carrer au cul ! ripostai-je d’une voix tremblante.

Il se leva brusquement de son fauteuil. Puis, lentement, menaçant, il vint se planter devant moi. Il était tout près... et me fixait de cette façon intimidante, celle qu’il avait juste avant de péter le nez à quelqu’un.

Je soutins son regard, le souffle court. Je tins bon face à ces prunelles noires, qui me regardaient de haut, sans compassion ni pitié. C’était la première fois que je me retrouvais dans cette position face à lui, celle de l’adversaire. Mais je tins bon. Hors de question de céder.

Finalement, il fut le premier à rompre le contact.

Nante onna... grogna-t-il dans sa barbe.

— Je suis pas n’importe quelle femme, Hide, réussis-je à placer malgré les battements désordonnés que faisaient mon cœur, déterminé à jouer au grand huit dans ma cage thoracique. Je suis ta femme. J’espère que tu ne l’oublieras pas.

— Je risque pas de l’oublier. Avec cette attitude !

Il grommela encore quelques instants, puis tapota ses poches à la recherche de ses cigarettes. Finalement, il trouva le paquet de Hope que Yûji avait ramené plus tôt. Il en prit une, l’alluma et inspira la fumée comme si c’était une bouffée d’air frais.

— Je veux bien te laisser m’attacher, m’enculer... repris-je, déterminée à ne pas lâcher le morceau. Mais je veux pas que tu m’imposes tes ex sans même m’en parler.

— Putain, tu vas pas remettre ça... ! grogna-t-il, toutes dents dehors.

Si, parce que je savais pertinemment que je n’aurais pas le courage de remettre le sujet Noa sur le tapis une fois de plus, passée cette crise.

— Je sais que cent cinquante mille yens, ce n’est pas grand-chose par rapport à tout ce que tu gagnes, Hide. Ce qui m’attriste, c’est que tu la payes sans me le dire, comme si c’était ta... maîtresse.

— Sauf que ce n’est pas le cas. Tu ne me fais pas confiance ?

— Je sais pas. Tous tes collègues se tapent trente-six putes en ville, et tu rentres tard tous les soirs...

— Merde Lola, tu crois que je suis un genre de superman ? J’essaie de te faire l’amour tous les jours, même quand je suis crevé. Plusieurs fois, en plus. Tu penses vraiment que j’ai assez de jus pour aller me taper une autre femme ?

— Honnêtement ? Oui.

C’était un cri du cœur, mais je vis l’ombre d’un sourire satisfait sur sa bouche.

— Tu me flattes, dis donc...

— C’était pas le but, pourtant, répliquai-je, amère.

— Bon. Qu’est-ce que je dois faire pour que tu me fasses confiance ? Te faire une déclaration écrite ?

— Que tu me dises de quand à quand exactement tu as fréquenté Noa, afin de clarifier tout ça !

— Elle est venue me voir un ou deux mois après ma sortie de taule, répondit Hide en croisant les bras. J’ai couché pour la première fois avec elle quelques semaines après.

— Ça n’a pas trainé, dis donc !

— Je me passerai de ton jugement.

— Et t’es sorti quand ?

— En 2005.

Je me livrai à un rapide calcul dans ma tête. Si le gosse de Noa avait moins de sept ans... ça passait.

— T’es sorti il y a huit ans... Quel âge a le fils de Noa ?

— Il aura six ans en décembre.

Putain. Ça passait.

Je me laissai tomber dans le canapé. Hide me regarda en silence, continuant à fumer sa clope.

— C’est pas mon fils, répéta-t-il.

— Mais ça pourrait l’être.

— Naho me l’aurait dit.

Mais bien sûr. Et la marmotte, elle met le chocolat dans l’emballage... !

— La marmotte... ?

— Laisse tomber, soufflai-je.

J’étais complètement abattue.

C’est son gosse. C’est sûr.

Yûji, toujours aussi gaffeur, choisit ce moment pour refaire son apparition. Il frappa, passa la tête par la porte...

— Euh... il y a un problème, patron ? Vous faites une drôle de tête, vous et la patronne...

Hide tourna la tête vers lui.

— Non. Entre. Débarrasse tout ça et prépare la bagnole. On rentre.

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