Loup et louve

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Le wakagashira ne nous autorisa pas à rentrer le char avant que la soirée ne soit bien avancée. Lorsqu’il nous relâcha enfin, j’étais épuisée, courbaturée de partout. La ville avait prévu un feu d’artifice, et j’avais entendu que l’un des meilleurs endroits pour le voir était la colline du parc local, devant lequel nous étions passés plusieurs fois dans la journée. Les huiles allaient bien entendu le contempler du haut du balcon de l’un de ces coûteux restaurants d’anguilles où Hide était invité à chaque repas. N’ayant pas eu l’occasion d’y entrer pour l’instant, je n’avais pu vérifier s’il y avait des geishas.

Sortant du QG de quartier, je filai dans une ruelle pour monter vers la colline, m’achetant une glace kakigori au passage. J’avais renoncé à chercher et surveiller Hide. Cela ne servait à rien. Il pouvait faire ce qu’il voulait, de toute façon. Pour ma part, j’avais décidé de profiter de la fête.

Je jetai un coup d’œil à ma montre. Dix heures vingt-cinq... Le feu d’artifice n’allait pas tarder à commencer. Il fallait que je me dépêche si je ne voulais pas le rater. Je coupai par un nouveau chemin de traverse, qui montait dans les hauteurs vers le sanctuaire Shusse Inari d’où j’espérais ensuite traverser pour rejoindre le parc Momoyama. Mais arrivée dans le petit escalier qui serpentait entre deux pâtés de maisons — toutes éteintes et silencieuses dans ce coin non-commerçant de la ville —, je sentis une présence derrière moi. Je n’étais plus toute seule. Quelqu’un me suivait.

Je sortis mon miroir de poche de l’intérieur de ma veste et jetai un coup d’œil discret dedans, par-dessus mon épaule. Il y avait effectivement une silhouette qui s’engageait dans l’escalier, une centaine de mètres derrière moi. Personne d’autre à la ronde. J’allais devoir traverser le sanctuaire désert avec cet homme inconnu sur mes talons... Par prévention, je tâtai mon kaiken dans ma veste. Depuis la déclaration de guerre de Kiriyama, je le portais continuellement. Je savais que je risquais gros si un flic me fouillait, mais tant que j’avais mes papiers sur moi à leur présenter, les flics foutaient la paix à une femme occidentale. Il n’y avait pas marqué « femme de yakuza » sur mon front, loin de là. Je devais d’ailleurs être l’épouse de gokudô la plus atypique et improbable qu’il n’ait jamais eue dans l’histoire de la criminalité japonaise.

Mais en attendant, le type me suivait toujours. Un homme de Kiriyama ? Un pervers entretenant un intérêt malsain pour les blondes ? Ou juste un passant sur le chemin de sa maison ?

En haut de l’escalier, sur la plateforme du sanctuaire, on pouvait voir la ville en contrebas. Et la ruelle qui serpentait. Je jetai un œil par-dessus la barrière, vérifiant si le type s’engageait dans l’escalier. Il le faisait. Si je courais, je pouvais peut-être traverser le sanctuaire désert... ou peut-être pas. Je me cachai donc dans un renfoncement, décidée à laisser ce mystérieux inconnu passer son chemin. S’il s’arrêtait et me cherchait partout, c’est que c’était un agresseur. Je n’avais plus de téléphone : je ne pouvais donc joindre ni Yûji, ni Hide.

Comme je l’avais craint, une fois arrivé sur la plateforme, le type s’arrêta un moment pour regarder autour de lui. Je ne pouvais pas le voir bien en détail dans le noir — l’éclairage public n’est pas au top au Japon, ce qui facilite aussi les agressions sexuelles —, mais il était grand, large d’épaules, et portait un pantalon et une simple chemise. Kiriyama en personne ? Cela m’aurait étonnée : il ne dégageait pas cette aura si déplaisamment particulière qu’émettait Kiriyama. Un de ses gros bras, peut-être. Ou pire encore : un assassin professionnel, tanké comme un char d’assaut.

Non, me rassurai-je intérieurement. Arrête de te faire des films. C’est juste un mec un peu échauffé par l’alcool, qui t’a suivie par curiosité. Ne te trouvant pas, il va passer son chemin.

Ce qu’il fit, en vérité. Il traversa le sanctuaire et disparut dans les ombres, par le petit corridor que je voulais emprunter pour rejoindre le parc Momoyama. Il était clair que moi, j’allais rebrousser chemin. Tant pis pour le feu d’artifice.

J’attendis encore une ou deux minutes. Tout était silencieux, les ombres immobiles. Rassurée, je sortis de ma cachette. C’est alors que je me sentis tirée en arrière, et plaquée contre un corps dur et chaud. Un corps masculin.

— Au sec...

Une main sortie de nulle part se plaqua fermement sur ma bouche. L’autre caressait mon corps, cherchait à rompre l’armure de ma veste matelassée, aussi épaisse qu’un judogi. Mes mains à moi étaient libres. J’en profitai pour sortir le kaiken, le dégainer... et le pointer sur les côtes de mon agresseur.

Ce dernier fit un bond de côté, surpris. Mais il me désarma aisément, d’une simple pichenette, en fait.

— Vous ne savez pas à qui vous vous attaquez, grognai-je. Je suis la femme de Ôkami Hidekazu, un haut cadre du Yamaguchi-gumi ! Et si vous me touchez, je vais vous bouffer les couilles, je vous préviens !

L’inconnu me répondit par un rire bas et sombre. Je connaissais cette voix... c’était celle de mon mari, qui fit quelques pas vers moi.

— Oh, vraiment ? dit-il en ramassant le kaiken.

Il me le tendit en le tenant par la lame, manche en avant.

— Hide... c’est toi. Tu m’as fait peur, espèce de con !

Hide avait le regard calme et froid du yakuza qui pouvait exploser à tout moment, avec cette petite lueur sauvage au fond de ses prunelles noires. Il me faisait presque peur, à me regarder ainsi, en silence. Son visage, à moitié dans l’ombre, avait repris les traits du loup.

— Je voulais voir comment tu te défendais. C’est plutôt pas mal, même si tu aurais dû m’écraser le pied avant de te tourner pour me pointer. Ça crée une diversion. Là, je t’ai vue arriver trop clairement.

Je poussai un soupir de soulagement. Toute la tension se relâcha d’un seul coup, ce qui me fit tituber. Hide me soutint dans ses bras.

— Attention... Tu m’as l’air épuisée.

— Je le suis. Deux jours que je tire cette charriotte du diable sans discontinuer... J’aimerais bien t’y voir !

— Et malgré cela, tu avais encore assez d’énergie pour te battre avec cette fille...

Je relevai le regard vers lui. L’ampoule d’un lampadaire fatigué brillait dans ses yeux aigus, leur donnant l’aspect luminescent de ceux d’un loup. Ce qu’il était, en vérité.

— Désolée de t’avoir mis la honte, mais il fallait que je donne une leçon à cette fille... Elle se vantait devant tout le monde de pouvoir « séduire le loup du Yamaguchi-gumi » !

— Mhm, fit Hide avec un léger sourire. Mais elle n’avait pas anticipé la présence de sa louve...

La voix de Hide s’était faite suave, charmeuse. Quelle arme redoutable, que cette voix ! Je réalisai alors la présence de ses mains sur mes hanches, la façon dont il me tenait. Il attrapa mon menton et releva mon visage vers lui, caressant ma lèvre inférieure du bout du pouce.

— Une louve indomptable, dit-il en ouvrant ma bouche.

Ses lèvres vinrent s’écraser contre les miennes. Il m’embrassa férocement. Je fermai les yeux, m’abandonnant à son étreinte. Cela faisait trop longtemps. Mon dos finit par rencontrer le mur du sanctuaire, contre lequel il m’avait plaquée.

— Me déshabille pas, soufflai-je en sentant sa main remonter le coin de ma veste. J’ai mis une heure à enfiler ce truc ce matin !

Pour toute réponse, il me tira à lui. D’une main sûre, le geste rapide et ferme, il défit la cordelette qui retenait mon pantalon, et que j’avais eu tant de mal à renouer lorsque j’étais allée aux toilettes.

— Hide... non...

Il ne m’écoutait pas. Une main sous mes fesses, il avait remonté ma cuisse contre lui, et s’était mis à couvrir ma gorge de baisers passionnés, comme s’il me dévorait. Je sentis la pointe de sa langue effleurer mon cou. Son souffle était rauque, impérieux. Cela faisait longtemps que je l’avais pas vu comme ça.

— Je vais te prendre, et tu vas te laisser faire, ordonna-t-il.

Sa voix basse, une véritable coulée de whisky sur des cailloux glaciaires dans un glen écossais — en tout cas, c’était l’image qu’elle me donnait — me faisait toujours le même effet. Je me ramollis dans ses bras, renonçant à lutter. J’avais envie qu’il me baise, moi aussi, même si c’était inconfortable, et que j’allais galérer pour me rhabiller après.

Ma veste fut ouverte d’un coup sec. Mon tablier arraché. Mes seins, dégagés de la prison de coton du soutien-gorge, et mes mamelons sucés si fort que j’en pleurais. Ils étaient particulièrement douloureux, depuis quelques jours.

— Doucement...

Mais Hide s’était transformé en loup en rut. Il me pétrit la poitrine durement, puis me souleva par les poignets, les plaçant sur une poutre qui dépassait du mur. Il les noua autour avec ma ceinture, comme pour une soumission de judo. Je me retrouvai suspendue à cette barre, soutenue seulement par ses mains sous mes fesses. Puis, me poussant les genoux contre le torse, il me colla contre le mur, de façon à ce que je sois maintenue par son corps qui s’appuyait contre le mien. J’entendis le coton de son pantalon bruisser, et sentis sa queue contre ma cuisse, qui réclamait son dû.

— Non, suppliai-je, les jambes largement écartées. Pas ici...

Ignorant mes suppliques, Hide se fraya un chemin en moi. Je laissai échapper un râle de douleur lorsqu’il me pénétra sans la moindre préparation. La position, avec les jambes repliées aussi haut, rendait l’intrusion particulièrement intense. Il se retira lentement, faisant éprouver chaque centimètre à mes chairs irritées, puis se renfonça encore plus profond.

— T’étais trop excitante, souffla-t-il en me mordant le cou. Je ne pouvais pas attendre.

— Tu me fais mal... gémis-je.

Venant de moi, Hide savait parfaitement ce que ça voulait dire.

— Tu récoltes ce que tu as semé. Une femme qui se bat pour moi comme une cheffe de gang dans un film de mafia... je suis obligé de lui donner ce qu’elle demande.

C’était donc ça. Me voir me castagner avec cette pouffe l’avait excité.

Le bruit d’une détonation me fit ouvrir les yeux. Le feu d’artifice avait commencé... au sens propre comme figuré. Je me débarrassai des liens qui me retenaient à la poutre : la pression de mon poids sur la ceinture ayant fini par ramollir le nœud. Je pus passer mes bras autour du cou de mon mari, enfouir mon visage dans son épaule et respirer le parfum musqué de son désir. Je m’agrippai à ses cheveux, à sa nuque, profitant du bruit assourdissant de la fête pour hurler mon plaisir. Finalement, c’était sans doute ici, le meilleur spot de la ville, pour assister au feu d’artifice.

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