Adhan - Lombasagrandach’ et Maitre Grünkbarg
Les Orcs. Curieuse race. D’aucuns diraient une parodie d’humanité. Adhan, lui, pensait plutôt qu’ils étaient d’une humanité sans retenue : plus violents, plus traitres, plus destructeurs, plus lâches et plus stupides encore que les Hommes, qui s’y entendaient pourtant en la matière. Les Ogroons en étaient d’autant plus surprenants.
Depuis l’Exil et la destruction de Valcendre, la cité Ogroon était la seule réelle trace de civilisation à l’ouest des Monts des Sangs de Pierre. Les puissants remparts et leur singulière pratique de la diplomatie leur avaient permis de résister à Sanka’Orr tout autant que les armes des Nains de Thord’Arath. Adhan comptait autant d’amis que d’ennemis mortels parmi les Ogroons. On l’appelait Lombasagrandach’ — «Longue Barbe Sale, Grande Hache» prononcé à la façon typique des Orcs, avec leur manie de parler avec de grosses canines dépassant de la bouche. Le hasard de ses tribulations l’avait souvent amené à réclamer du sang orc pour achever l’Oeuvre d’un Compagnon. Parfois, cela se finissait en duel, avec l’aval des autorités orques. Et le plus souvent en assassinat, en embuscade ou en massacre loin des murs d’Ogroon.
Mais nul Orc n’aurait osé porter la main sur lui en public dans les murs de la Cité. Lombasagrandach’ n’était pas un ennemi des Ogroons. Au pire, ils ne faisaient que se comporter en orc envers les Orcs. Parlant couramment le langage de la violence, ils comprenaient parfaitement cet humain. Quant à l’agresser loin des yeux indiscrets, personne ne l’aurait osé non plus, car même un Orc a un sens très développé de la survie, et le vieil ermite avait montré maintes et maintes fois des prédispositions pour trancher la chair comme on fauche les blés.
Pour l’heure, Adhan discutait avec Grünkbarg tout en regardant Jenjen s’entrainer dans la cour.
Cette fameuse nuit au bord de la rivière, il avait essayé de se protéger du feu à l’aide de runes magiques disposées en cercle de protection. Sans succès. Lorsque Jenjen avait commencé à s’agiter dans son sommeil, ils étaient réapparus, silhouettes de flammèches épée de feu en main, sortant des flammes comme si ce n’était qu’une vulgaire porte. Comme la première fois, il les combattit. Il avait rapidement éteint le feu en jetant de la terre dessus, limitant ainsi leur nombre. Il les avaient attirés près de l’eau. Mais ceux-ci semblaient plus forts que la dernière fois et le combat fut rude, marquant Adhan de quelques brûlures légères ici et là, vite soulagées grâce à la rivière.
L’arrivée de Grünkbarg fut salutaire. Alors que trois élémentaires avançaient sur lui pendant qu’il avait un genou à terre, une violente vague se souleva de la berge opposée et vient déferler sur les créatures magiques. Ils disparurent avec le bruit caractéristique du métal en fusion plongé dans l’eau. Le chaman orc avait ri en traversant la rivière pour relever son ami.
— Lombasagrandach’ devrait pas dormir quand sorcier rêver de feu. Garçon doué. Lui apprendre vite. Mais jeune, très jeune encore, avait-il dit.
Adhan se relevait et commençait déjà à lever le camp. Jenjen n’allait pas se réveiller avant l’aube, quand bien même il serait plongé dans la rivière glacée. Seul un rayon de soleil peut éveiller un Maitre du Feu après un rêve de flamme. Ils avaient le temps de gagner la ville. Il répondit au chaman.
— Certes Grünkbarg. Ton nouveau disciple est doué.
***
Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis leur arrivée dans la cité d'Ogroon. Jenjen avait eu un mouvement de rébellion lorsqu’il lui avait annoncé qu’il allait être disciple d’un chaman orc. La répugnance pour cette race était encore profondément inscrite dans son sang d’humain. Mais lorsque Grünkbarg lui avait montré deux-trois petits tours de magie et qu’il lui avait annoncé qu’il serait capable de bien plus, la curiosité de son jeune âge avait pris le dessus. Depuis, il avait appris quelques notions du langage orc même si le chaman lui parlait dans la langue des Hommes. Pour ne pas l’isoler de la communauté humaine dont il faisait irrémédiablement partie, Adhan avait convaincu sans difficulté un marchand humain faisant du négoce avec la cité orque de le prendre comme coursier. Le jeune garçon apprit bien plus tard que ce marchand était, mui aussi, un Compagnon.
Jenjen s’entrainait dans la cour à noircir le mur du fond de la cour avec des projections de feu de la taille d’une olive. Il l’observa silencieusement jusqu’à ce que le garçon le remarque. Le changement d’humeur du garçon était étonnant, il était plein d’entrain et heureux d’apprendre. Cependant, à la grande satisfaction du vieil ermite, il gardait au fond du regard cette lueur de détermination qui faisait de lui un Compagnon désirant ardemment accomplir son Oeuvre.
— Salut Adhan ! Tu as vu ! Tout à l’heure, j’en ai fait une grosse comme le poing ! Et Grünk a dit qu’il allait m’apprendre bientôt à m’immuniser contre le feu, c’est génial !
Le vieux barbu sourit et hocha la tête en signe d’approbation. Tout à son excitation, Jenjen continua à s’acharner sur le pauvre mur. Le lendemain, Adhan n’était plus là… Jenjen le chercha longtemps dans Ogroon avant de demander à Maitre Grünkbarg.
— Lombasagrandach’ parti. Toi rester ici.
Le garçon dut se rendre à l’évidence. Il ne pleura pas. Un soir, alors qu’ils campaient aux abords de la ville, Jenjen demanda à son Maitre :
— Maitre Grünkbarg, il n’est pas vraiment bûcheron n’est-ce pas ?
L’orc demeura pensif. Il inspira.
— Si Lombasagrandach’ bûcheron. Quand arbre faire de l’ombre à petite pousse, lui abattre arbre. Quand arbre en travers du chemin, lui fendre le tronc. Quand souche pourrie, lui la brûler. Pour lui, tout le monde est arbre.
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