Chapitre 3 - Satramo (I)

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D’abord, il n’en cru pas ses yeux. Il fut persuadé d’avoir succombé une nouvelle fois à ce terrible coup de fièvre qui l’avait mené chez le vieux Ouest. Le froid pouvait effectivement détruire mentalement quiconque s’aventurait dans le Wasteland. Ces terres vous ouvraient les bras pour que meilleur soit son emprise sur vous. A ce moment là du récit, il était encore impossible à l’homme au fusil de déterminer le temps mais il en était certain, beaucoup trop de jours avaient défilé depuis la rencontre avec le vieillard. Entre huit et dix. Il avait ainsi parcouru une distance correcte, distance qui le rapprochait toujours plus de sa fille mais aussi du mystérieux édifice qui avait fait son apparition à l’horizon depuis bien trop longtemps. C’était comme une tâche collée à la rétine qui refusait de s’effacer ; car aussitôt repérée, cette tâche est impossible à éviter. Mais pour le moment, ce qui effarait réellement l’homme au fusil se trouvait à portée de main. A deux pas, à peine. Une ville. Ou plutôt, quelques quartiers d’une ville : un quart de ce qui avait été, longtemps avant tout ceci, la ville de Satramo.

Non. Impossible.

Et pourtant. C’était bien Satramo, là où l’enquête du Diable - comme ils l’avaient appelés - mena autrefois l’homme au fusil et ses équipes. Un temps si éloigné qu’il ne croyait pas s’en souvenir. Où bien était-ce le vent de l’hiver qui le troublait tant ?

Du haut de sa colline de glace, il surplombait bel et bien une partie de la ville ; une ville fantôme semblait-il. La mort paraissait être passée par là. La vallée s’étendait sur plusieurs kilomètres : les lignes de patés de maisons délabrés alignés faisait mine d’une perfection malsaine, tandis que l’on apercevait d’ici une cinquantaine de véhicule éparpillé un peu partout dans le quartier, ce qui rajoutait de ce côté mystique. Sur la gauche, le vent balayait un fin nuage de neige qui laissa découvrir d’anciens piliers électriques à moitié enterré et enseveli sous des années et de neige. Plus loin, les différentes moitiés de ville n’étaient plus que cerceuil reposant sous la surface du sol, donnant cette sensation qu’avec le temps, une vallée s’était ouverte pour laisser s’échapper cette partie de la banlieue. Droit devant, la route - si l’on était tenté d’appeler cela une route - reprenait sur l’autre versant de la vallée pour se perdre dans la ligne de l’horizon. Loin, plus loin, la tempête se dessinait. Similaire à celle qui l’emmena à Monsieur Ouest. L’horizon en était dessiné : la tempête de givre approchait. Et dangereusement. Mieux valait poursuivre, et Satramo semblait étrangement tomber à pic.

Avant de se lancer dans sa nouvelle aventure, l’homme au fusil jeta un coup d’oeil à l’au-delà de l’horizon, au-delà de la tempête approchant : flottant au-dessus des éléments, mais brouillé par les nuages indiscibles de givres, le mur millénaire se dessinait. La forteresse, elle, avait disparu. Ou bien était-ce l’oeil de l’homme qui lui jouait des tours.

Ainsi, il se lança dans la vallée fantôme.

J’arrive Ri.

Il arriva rapidement. Les toits d’habitation dépassant légèrement le niveau du sol lui indiquait qu’il s’approchait. Puis, il repris la route au coeur des rues de la ville. Et si vue de là-haut, elle paraissait fantôme, ici, sur le trottoir de la rue Moisture Street - comme l’indiqua un panneau - cette sensation s’accentuait. Une présence reignait ici. Silencieuse. Insidieuse. Il ne pouvait l’expliquer mais quelque chose semblait l’observer. Ce qui est en désaccord avec le fait de trouver une ville fantôme n’est-ce pas ? Et bien justement, il était impossible de le quantifier et de l’expliquer. Mais c’était comme si autour de lui le monde grouillait mais que personne n’apparaissait. Comme si des voix poursuivaient des conversations terminée il y a des années tout autour de lui, mais que personne ne se dévoilait. Que s’était-il passé ici ? La même chose que partout. Pourtant, l’homme au fusil connaissait très bien ces rues. Il les avaient connu en tout cas ; la Moisture Street menait à un embranchement offrant lui-même l’accès à un carrefour, un dédale de rues dont chacunes d’elles vous menait vers une place. Une mairie, une église, une boulangerie. Tout ce qu’il y avait de plus normal. A cette époque en tout cas. A présent tout ceci était mort. Mais rien n’avait changé. Les véhicules, voitures anciennes, rouillés et oubliés jonchaient les rues, figés dans l’espace et le temps, abandonnés dans la panique, la précipitation. L’homme poursuivit son chemin en pressant le pas : le nuage de tempête approchait. Il faut faire vite.

Une fois les différentes rues - Arpent Street, Easy Road et Goldman Street - traversée, l’homme parvint à la place de la ville. Ici, la majorité des rues qui donnait l’accès à la plus grosse partie de la ville étaient coupés par la montagne de neige qui avait enterrer le reste. Ici, plus qu’à l’entrée de la ville, l’homme avait définitivement la sensation de ne pas être seul. Et lentement, une angoisse s’empara de lui. Une angoisse malsaine et perverse. Le rythme cardiaque augmenta. Lentement. Très lentement. Mais assez rapidement pour qu’il se rende compte que quelque chose n’allait pas. Bon sang. Il dut se secouer la tête pour se rendre compte qu’il se dirigeait lentement, très lentement, mais assez rapidement pour finalement s’en rendre compte, vers ce qui semblait être la solution : l’église. Du haut d’un vingtaine de marches de pierre, elle se dressait, immobile, droite et… perverse. Soudain, tout se passa clairement. L’édifice l’appelait à lui. Des voix, qui lui parvenaient de l’intérieur du bâtiment. Ses murs de pierre, vieux comme le monde, ses vitraux cachant l’intérieur, ses tours montant vers le ciel, et cette cloche, tout là-haut. Tout ceci l’appelait. Lentement, très lentement, les jambes de l’homme le menait à elle. Un appel, un murmure, puis deux, et trois, quatre, peu à peu, toute la ville l’appelait à elle. Sa tête. Le crâne de l’homme cognait comme un tambour le soir de la fête nationale, son coeur était sur le point d’exploser. Un sifflement, non. Un son. Un appel, oui. C’était un appel, un son qui venait des entrailles du bâtiment, de l’intérieur de l’édifice. Impossible de résister? c’en serait fini de lui s’il succombait mais… comment résister ? L’appel s’intensifia alors, tel un virus, s’empara définitivement de lui pour ne plus le lacher.

Non...Non, pas…

...Si...

Alors, lorsqu’il abandonna toute résistance, tout devint plus clair. Et à quelques pas des marches il l’aperçut.

  • Papa, tu viens ?

Ri.

  • Maman nous attend à l’intérieur, aller.

Non.

  • Elle nous attend papa.

Il ne put s’en empêcher. Sa fille. Elle l’appelait à elle. Il gravit les marches. Lentement. Très lentement. Mais assez rapidement pour savoir qu’il les montait. Une à une. Se laissant bercer par la voix de sa progéniture qui était bel et bien ici. Et même si le plus simplet des lecteurs comprend à cet instant que tout ceci n’est que mirage et séduction vers un piège mortel, lui, dans son état d’halluciné ne le compris pas.

Une erreur que le vieillard là-bas, loin derrière, lui avait pourtant déjà signifié. Mais seul le Wasteland, seul le Diable se cachant derrière - se que l’homme pensait être le Diable en tout cas -, avait le pouvoir de faire passer la folie avant la raison. La tentation avant la raison. Ainsi, toutes les mises en garde du vieux sage Ouest passèrent à la trappe l’instant où l’homme au fusil avait remis les pieds hors de sa demeure… Il était perdu depuis le début. Le Diable, de là où il se trouvait, le délectait de chaque instant de la perte de l’homme au fusil. De son lent passage vers la folie. Et puisqu’il se cachait dans le détail, il en avait aussi profité pour s’apprêter à faire entrer l’homme au fusil là où l’enquête, dans un autre temps, l’avait mené pour la première fois : la première d’une série de scène de crimes, qui menèrent lentement, très lentement, l’homme au fusil vers l’obsession… Mais cela aussi, le Diable le lui avait fait oublié…

  • Aller papa, le ciel deviendra bientôt rouge.

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