Je t'aimais, et pourtant je t'en veux.

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 Il fait noir. Et froid. Et j’ai mal, partout. Je suis faible et je tremble. J’ai peur. Mais ce n’est que la continuité de cet enfer que je vis chaque jour. Je ne sais si je dois lui en vouloir ou non. Car après tout, c’est un peu de notre faute à nous deux. Mais c’était plus fort que moi. Et ce fut plus fort qu’elle, et ses parents principalement. Voyez-vous, en tant qu’animal, je ne suis pas les mêmes règles que vous les humains. Et parfois, nous ne nous entendons pas sur certaines choses que nous faisons tandis que vous non, et inversement. Malheureusement, lorsqu’il y a trop de « bêtises », comme je l’ai si souvent entendu dire, vous finissez par vous débarrasser de nous. Enfin, c’est une généralité, mais c’est ainsi que ça se passe, la plupart du temps. Mais c’était plus fort que moi.

 Je sais, tu m’aimais, et je t’aimais, d’un amour inconditionnel, même si je ne te le montrais que très rarement. Tu étais jeune, et ne comprenais pas tout. Alors je n’imagine pas la peine que tu as dû ressentir lorsque tes parents nous ont séparés. Tu étais belle avec tes petites couettes, et tu m’avais confectionné une jolie petite maison, avec ta plus grande maison de poupée. Tu me dorlotais, me chouchoutais, me brossais mon poil et le rendais si soyeux. Nous passions tellement de temps ensemble. Tu m’aimais tellement que tu me sortais de ma maison sans l’accord de tes parents parfois. Et à ce moment là, je ne savais pas ce que représentais le mot « bêtise » pour un humain. Alors, je m’en allais, traîner dans les recoins de la maison auxquels je n’avais pas accès habituellement. Et toi tu riais de me voir galoper partout, tu tapais des mains, tu étais heureuse. Et j’adorais te voir sourire. Tu rayonnais tellement dans ces moments-là.

 Mais ce que tu ne savais pas, c’est que je n’avais pas le droit de ronger les fils, ou tous autres objets. Et c’est ce que je fis. Tout ce qui me tombait sous la dent finissait en miettes. Et toi, lorsque tes parents rentraient, tu me désignais du doigt, montrant ce que j’avais fait. Cela les mettais très en colère. Ils te grondaient, et moi, ils me privaient de nourriture durant un jour. Une punition à chacun. Pourtant, tu riais toujours, comme si cela ne t’atteignais pas. Alors je continuais, à chaque fois, car tout ce que je voulais, c’était ton bonheur. Mais tu n’avais pas le réflexe de me remettre dans ma cage, et de nettoyer rapidement avant le retour de tes parents. Tu continuais à me désigner. Et lorsque j’ai commencé à ne plus le faire, tu t’es mise à pleurer, alors j’ai repris. Mais ce fut probablement la fois de trop.

 Alors, durant mon sommeil, j’ai senti deux mains m’attraper doucement, et qui se mirent à me caresser automatiquement, comme tu avais l’habitude de faire. Donc je me suis rendormi aussitôt, sans me préoccuper de ce qui allait arriver ensuite. Et lorsque mes yeux se sont ouverts, tout était noir autour de moi. J’étais sur une simple couverture fine, et tu n’étais pas là. J’eus soudain froid, rien qu’à cette pensée. Et, doucement, j’avançai, jusqu’à pouvoir sortir du carton qui me tenait pris au piège. Et ce ne fut pas la lumière du jour qui m’accueillit à ma sortie, mais les ténèbres de ce que l’on appelle « forêt ». J’entendais souvent parler de cet endroit qui paraissait merveilleux et terrifiant lorsque tes parents te lisaient tes histoires. Mais jamais je n’aurais pensé m’y retrouver un jour, seul, sans toi. Il y faisait humide, et les rayons du soleil n’arrivaient pas à traverser l’épais feuillage. On aurait dit qu’il faisait nuit, alors qu’il devait probablement être le milieu de la journée. Soudain, il y eut un craquement non loin de moi, et aussitôt je me recroquevillai sur moi-même. J’étais terrifié, et tu n’étais pas là pour me réconforter. Tu devais être loin, beaucoup trop loin pour pouvoir me rejoindre et me prendre dans tes bras. J’étais seul.

 Et il fallait bien que je me nourrisse, sinon j’allais mourir de faim. Mais que voulez-vous ? Un lapin vivant auprès d’humains ne sait pas comment se débrouiller, seul, dans un endroit hostile comme celui-ci. Entre les prédateurs, la faim qui ronge le ventre, la peur constante, il est difficile de vivre dans ce genre d‘endroit pour des proies comme moi. Alors, mon destin me dicta aussitôt de trouver un endroit sûr, avant même de trouver de quoi me sustenter. Doucement, je m’engageai à travers les branches qui jonchaient le sol recouvert de mousse humide. Je n’aimais vraiment pas la forêt. Puis je me mis à courir, sans vraiment savoir où me diriger, tout en gardant la truffe en l’air, pour guetter un quelconque ennemi aux alentours. Et je courus, courus probablement durant des heures, sans même ressentir la douleur dans mes pattes. L’adrénaline m’emportait, et m’aidait à tenir le choc. Pourtant, le moment vint où je n’en puis plus, et je me cachai comme je pus dans un ancien terrier, de renard probablement. L’odeur était effacée, même si elle flottait encore légèrement dans l’air. Blottis dans la terre, dans le froid, mes poils collés, je m’assoupis, contre mon gré, avec une boule au ventre.

 Comment ont-ils pu me faire ça ? Je pensais que l’ensemble de la famille m’aimait. Je pensais qu’ils auraient tout fait pour moi, comme moi je l’aurais fais malgré mon statut de lapin. Mais que voulez-vous, il arrive un temps où les humains décident qu’ils en ont assez, et qu’il faut se débarrasser. Enfin, j’imagine qu’ils ne sont pas tous comme ça, et je l’espère, car je ne veux pas que d’autres vivent ce que j’ai vécu. Cette déchirure, cette solitude, cet amour fracassé d’un coup. Cette douleur intérieure, qui me ronge encore aujourd’hui. Car je fais comme je peux, je me débrouille, et trouve de quoi grignoter de temps en temps, car je ne suis pas très doué. Ah ! si tu me voyais… Je pense que tu aurais bien peur, car je ne suis plus le même. Mon pelage est tout emmêlé, plein de boue et de mousse, et je ressemble à un squelette. Mais comprends-tu, je suis obligé de le garder ainsi, si je ne veux pas me faire attraper. Les jours où la pluie tombe, je repense à toi, et à tous ces moments que nous avons passés ensemble, près de ta fenêtre, à la regarder s’écouler le long de la vitre. Je repense aussi à toi durant les moments où je ne me sens pas bien, où j’ai l’impression que tout va s’écrouler. Je me dis que toi, tu dois être bien, et que c’est le principal. Mais si tu savais comme ton amour me manque, je ne rêve que de revenir me blottir dans tes bras, contre toi. Que tu m’apportes du réconfort et de la chaleur.

 Malheureusement, tout ceci ne sera plus jamais possible, même si je garde une lueur d’espoir. Je sais au plus profond de moi-même que tu ne me retrouveras jamais, et, depuis le temps qui est passé, tu m’as peut-être même oublié. Alors dis-moi, pourquoi j’ai mérité cela ? Pourquoi m’avez-vous abandonné pour de simples bêtises ? Toi, tu en faisais bien, et ce n’est pas pour autant qu’ils t’ont laissé seule, perdue au milieu de la forêt. Je pensais que dans une faille, tout le monde était sur le même pied d’égalité. Mais apparemment ce n’est pas le cas. En tant qu’animal, je suis donc inférieur. Soit. Je terminerais ma vie, peut-être demain ou après-demain, en tant que repas, pendant que vous serez bien au chaud, à rire tous ensemble. Je vivrais sans jamais trouver d’abri convenable, à me réchauffer contre les parois de terre humides, sans avoir rien à me mettre sous la dent. Mais, je pense que maintenant, peu vous importe. Pour vous, je ne suis plus qu’une erreur du passé, que vous n’auriez probablement pas dû amener dans votre belle et grande maison. Mais sache, toi, ma plus grande amie, que cette erreur t’aimait de tout son cœur.

Julie Morel

email : julie.mrl3401@gmail.com

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