Chapitre 41

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Alors qu’elle prenait l’air à l’arrière du restaurant pendant sa pause, Samira se joignit à elle pour fumer une cigarette.

— T’as une sale tête ce soir, Océane… commenta-t-elle.

L’intéressée lui jeta un regard avant de refuser le paquet qui lui était tendu.

— Non, merci. Je ne fume pas.

— T’as raison… Qu’est-ce qui te tracasse ? Le taff ?

Elle secoua doucement la tête.

— Non, c’est perso…

— Ah… Il paraît que parler à des inconnus aide parfois à y voir plus clair. J’ai quelques minutes à tuer si tu veux.

C’était la quatrième fois qu’elles travaillaient ensemble ; Samira pouvait paraître froide, mais elle maîtrisait son travail et ne se laissait jamais affecter ni par les clients désagréables ni par les imprévus. En revanche, c’était la première fois qu’elle se retrouvait à discuter ensemble. Océane hésita un instant, avant de se lancer.

— Il y a un gars avec lequel je m’entends bien…

Les commissures des lèvres de la manager s’étirèrent tandis qu’elle aspirait sa dose de nicotine. Visiblement, c’était un sujet intéressant pour elle. Océane lui donna les grandes lignes, puis se tourna vers elle.

— Il me propose un ciné mardi soir. Je n’ai pas envie d’entretenir de faux espoirs. Je fais quoi ?

— Il ressemble à quoi ton gus ?

Océane lui montra le selfie.

— Vous êtes mignons tous les deux. Je ne sais pas pourquoi il ne t’intéresse pas, t’as certainement tes raisons ; le fait est que t’as été honnête avec lui. Et de son côté il est ok pour être pote… La vraie question, c’est : est-ce que tu veux le garder comme ami ? S’il est dispensable, passe à autre chose. Sinon, garde-le et s’il se fait des films, tu pourras toujours le calmer ou le jeter…

Sur ces mots, elle lâcha son mégot et l’écrasa de son talon, avant de le ramasser et de le jeter dans la poubelle.

— J’y retourne, envoie David prendre sa pause quand t’as terminé la tienne.

— Ça marche. Merci, Samira.

Son interlocutrice lui adressa un sourire timide avant de retourner à l’intérieur.

Dans le fonds, Samira n’avait pas tort. Cependant, la situation et les enjeux étaient légèrement plus compliqués qu’une simple amitié. Océane soupira avant de se redresser pour retourner à la préparation des hamburgers.

Autant elle s’habituait très bien au travail de l’hôpital, autant elle finissait épuisée à la fin de chaque service au restaurant, sans parler du passage de l’un à l’autre… Daphné et sa grand-mère avaient raison, tenir ces deux emplois allait être difficile sur la durée. Il lui fallait trouver un autre second emploi. Tout en se débadgeant, elle se promit de s’y atteler rapidement.

En attendant… songea-t-elle.

Elle s’empara de son téléphone. Ce message l’avait tourmentée toute la nuit et les conseils de sa manager ne cessaient de tourner en boucle dans sa tête. Le dilemme la concernant était plus délicat que ce que Samira avait énoncé, à savoir : les potentiels avantages valaient-ils la prise de risque ?

S’occuper de ses sœurs, de sa grand-mère, prendre des petits jobs… Tout ça était plus ou moins temporaire à moyen terme, elle s’y était préparée ces dernières années. En revanche, sa nature, ses nouvelles particularités telles que ses yeux, se cacher de dracs, ces éléments-là lui avaient été brutalement imposés et faisaient dorénavant partis de son quotidien, à vie. Être le cobaye des Jorique n’avait pas été des plus plaisants, mais ces moments désagréables étaient de l’ordre du souvenir : ils avaient eu ce qu’ils voulaient. Pouvait-elle se passer de leur protection ou de leur influence ? Et en admettant qu’ils la protègent, le feraient-ils toute sa vie ? Océane avait de sérieux doutes quant à cette dernière question, surtout si elle ne nouait pas de liens plus étroits avec cette famille…

Restaient encore et toujours les avertissements d’Anthony : ne fais confiance à personne.

Enfin, à tout cela s’ajoutait la dernière crainte d’Océane, si ses sœurs et sa grand-mère étaient réellement des sirènes, elle ne voulait pas risquer de les exposer.

Exaspérée par ses réflexions qui tournaient en rond dans sa tête, tel un stupide serpent se mordant la queue, elle laissa s’échapper une longue plainte mêlée à un grognement, faisant sursauter la personne qui marchait à quelques mètres devant elle. L’inconnue traversa la rue en lui jetant un regard suspicieux.

Océane soupira avant de lire une nouvelle fois l’échange de messages, puis la photo. Se mordant les lèvres, elle se mit à rédiger sa réponse.

« Tu sais que ce pari est perdu d’avance pour toi ? Mais pourquoi pas, vérifions ça ensemble ! Je travaille à l’Hôpital mardi, je termine à 19h30. »

Son cœur s’emballa un instant lorsqu’elle cliqua sur « envoyer », terrifiée à l’idée de faire une bêtise… Après avoir passé la nuit à peser le pour et le contre, elle était arrivée à la conclusion qu’elle ne maîtrisait pas encore tous les paramètres de cette facette de sa vie et que, pour l’instant, elle avait besoin d’avoir des personnes vers lesquelles elle pouvait se tourner en cas de besoin.

Et puis après tout, c’est juste un film… tenta-t-elle de se convaincre. Comme l’avait dit Samira, elle avait été claire sur ses sentiments et s’il insistait, elle pouvait toujours mettre un terme à tout ça.

Oh… Daph’ va être insupportable si elle l’apprend ! se lamenta-t-elle en approchant de son immeuble. Comble de malheur, elle réalisa sombrement qu’elle ne pouvait pas discuter de cette terrible décision avec Sonia.

Malgré la fatigue, il lui fallut un long moment pour s’endormir. Elle tourna et se retourna maintes fois, cherchant la bonne position, rejetant le drap, car elle avait trop chaud avant de le remettre parce qu’elle frissonnait et même une fois endormie, son sommeil fut agité.

La journée du lundi passa rapidement et si elle avait réussi à éviter le sujet durant son petit-déjeuner avant de partir pour l’hôpital, ainsi que le soir lorsqu’elle en revint, elle dut se résoudre à l’évoquer le lendemain.

Voulant éviter le regard moqueur de sa cadette, elle attendit que celle-ci ait fini de manger et ait quitté la cuisine pour mettre sa grand-mère dans la confidence.

— Au fait, Oma… Ne m’attendez pas pour manger ce soir, je vais voir un film avec un ami… annonça-t-elle d’une voix aussi détachée que possible.

Anika, qui s’apprêtait à boire, interrompit son geste pendant une seconde, le temps d’accorder un regard malicieux à sa petite-fille.

Un ami ? demanda Anika d’un ton faussement innocent tout en reposant sa tasse. Un ami plutôt musclé, des cheveux châtain, légèrement bouclés et d’adorables fossettes quand il sourit ?

— Je…

— Qui est musclé ? interrogea Daphné en passant devant la cuisine.

Océane sentit ses joues s’empourprer légèrement.

— Le non-rencard de ta sœur ce soir…

Le ton très sérieux de la grand-mère contrastait fortement avec son sourire espiègle, ce que ne manquèrent pas de relever ses petites-filles.

— QUOI ? s’insurgea Daphné d’une voix suraiguë qui fit grimacer son aînée. Et ce n’est que maintenant que je suis mise au courant ?

L’intéressée jeta un regard courroucé à sa grand-mère.

— Traîtresse…

Daphné rangea son téléphone et s’installa aux côtés d’Anika.

— Qui a proposé ? Quand ? Où ? Quoi ?

— Qui a proposé quoi ? demanda innocemment Diane de sa petite voix, probablement attirée par les cris de son aînée.

Le jury était au complet, le procès pouvait commencer.

Après avoir répondu à toutes leurs questions, répété plusieurs fois qu’il ne s’agissait pas d’un rendez-vous amoureux (ponctués de « Ben voyons ! » ou de « Mais oui, mais oui ! » de sa cadette), Océane quitta la cuisine pour se préparer avant de s’isoler dans sa chambre.

Alors qu’elle lisait un énième livre sur javascript, Daphné frappa à la porte avant de passer la moitié de son buste.

— Diiiiiiiiiis !

La jeune femme referma son livre en soupirant.

— Qu’est-ce que tu veux Daph’ ?

— Tu vas mettre quoi ce soir ? demande l’adolescente avec un grand sourire.

L’intéressée se pointa du doigt.

— Ça.

Ça ? insista sa sœur avec une moue de dégoût. Non. Pas possible. Je refuse.

Elle ponctua son propos en finissant de rentrer dans la chambre pour se diriger droit sur le placard de son aînée.

— Daphné, laisse tomber ! Je ne mettrais pas autre chose, d’autant que c’est l’heure de partir pour moi !

Après cinq longues minutes de débat, la jeune femme céda et accepta de troquer son t-shirt noir contre un débardeur orné de quelques broderies, puis elle prit la fuite en direction de l’hôpital.

Si la température était agréable à l’intérieur grâce au climatiseur, la chaleur était particulièrement étouffante à l’extérieur, même pour Océane.

L’après-midi de ménage fut long et difficile, la canicule frappait fort et les urgences étaient remplies. Dans les étages, les lits étaient quasiment tous occupés et les soignants semblaient épuisés. Lorsqu’elle eu finit ses taches, Océane était elle aussi bien fatiguée, elle n’avait qu’une envie : retrouver son foyer pour se reposer au frais. Au lieu de cela, elle prit une douche rapide dans les vestiaires et quitta l’ombre salvatrice du bâtiment pour retrouver son non-rencard sur le parking.

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