Chapitre 2

6 minutes de lecture

Si le samedi matin était synonyme de grasse matinée pour certains, cela n’était plus le cas pour Océane depuis plusieurs années. Pourtant, cela ne lui manquait pas, elle adorait ses cours de danse. Elle s’empressa d’éteindre son buzzeur, mais sa dextérité ne suffit pas : Daphné ronchonna avant de se retourner mollement dans le lit. Océane bâilla tout en s’étirant, chassant les derniers rêves qui s’attardaient dans son esprit engourdi, puis s’empara des vêtements qu’elle avait préparés la veille avant de quitter la chambre. Elle s’habilla et se prépara rapidement dans la salle de bain avant de rejoindre la cuisine, son enthousiasme s’étiola lorsqu’elle y découvrit Anika. Elle prit de quoi déjeuner et d’un pas lourd, rejoignit sa grand-mère à table.

— Bonjour à toi aussi… murmura Anika d’une voix pincée.

Océane se mordit la joue.

— Pardon Oma… Bonjour.

— Je préfère ça, dit-elle avec un petit sourire.

— C’est que… Papa avait dit qu’il m’emmènerait cette fois…

D’un regard à peine discret, elle parcourut la pièce, rien ne traînait. Pourtant, elle se doutait de la raison pour laquelle son père « dormait » encore. Son regard rencontra celui de sa grand-mère, marqué par la fatigue, mais profondément bienveillant. Océane regretta son comportement ingrat. Elle avait perdu sa mère, mais Anika avait perdu sa fille unique et, alors âgée de soixante-sept ans, elle se retrouvait à devoir assumer le rôle de maman de substitution. Malgré cela, elle ne l’avait jamais entendu se plaindre.

— C’est pas juste… murmura Océane comme une conclusion évidente.

— La vie est injuste, Trésor… Mais rassure-toi, il y aura des jours meilleurs.

Océane hocha mollement la tête.

— Finis ton déjeuner et on part.

Ce ne fut qu’une fois en tenue au milieu des autres filles dans les vestiaires, entourée de ses amies, que son moral remonta un peu. Les étirements, puis les exercices lui permirent ensuite de s’évader et d’oublier son triste foyer. Ici, la mort et le deuil n’existait pas, souplesse et beauté étaient les seuls maîtres ; parfaire une chorégraphie avec grâce et légèreté lui donnait l’illusion de voler, cela valait toutes les douleurs et courbatures du monde.

Comme à chaque fois, la matinée passa vite, trop vite au goût d’Océane. Elle était couverte de sueur, ses muscles étaient endoloris, son gros orteil droit lui faisait un mal de tous les diables, et pourtant, elle en voulait encore.

— Allez, les filles ! Au pas de course ! scandait la belle et dynamique Myriam, leur professeure de danse. Toi aussi, Mélanie ! Océane, cesse ces pointes et va plutôt regarder dans quel état sont tes orteils ! On se voit la semaine prochaine !

Océane se laissa retomber avec dépit et baissa les yeux sur ses pieds. Une légère tache rouge était apparu, révélant la meurtrissure sous-jacente. Elle quitta la grande salle avec regret pour rejoindre les vestiaires, elle se déshabilla rapidement et grimaça à la vue de l’ongle décollé de son gros orteil. Elle se saisit de l’ongle, serra les dents et tira un coup sec pour arracher ce qui restait accroché. Le sang ne tarda pas à couler. Pourquoi cet ongle persiste à repousser si c’est pour se décoller ? ragea-t-elle intérieurement tout en comprimant la zone avec un mouchoir. Le saignement atténué, elle rejoignit ses camarades sous la douche.

— Beurk ! Océane, mais comment tu fais pour te décoller les ongles de pieds ? J’ai mal pour toi ! gémit Audrey en regardant sa blessure, sa moue en disait long sur le dégoût que cela lui inspirait.

— C’est toujours le même pied et je te rassure, j’ai mal pour moi aussi !

Les filles ricanèrent à cette boutade.

Sonia, l’amie d’enfance d’Océane, jeta elle aussi un regard.

— Je crois que j’ai une tante qui est podologue, je peux te donner son numéro si tu veux ?

Océane haussa les épaules d’un air égal. Aussi désagréable cela était-il, à chaque fois, elle guérissait vite et elle n’avait pas si mal.

— Dis, Sonia… minauda Inès. Est-ce que ton frère vient te chercher aujourd’hui ?

Des gloussements et autres exclamations retentirent dans les douches. L’intéressée soupira.

— C’est possible, oui… Si vous saviez à quel point il est nul comme gars, vous arrêteriez de rêver de lui ! Tenez, la semaine dernière, je l’ai entendu faire un concours de rots avec deux de mes cousins !

La plupart des filles encore sous la douche s’ébrouèrent ou s’esclaffèrent.

— Oui, mais tu oublies de nous dire le plus important, reprit Inès avec un air grave. Il l’a gagné, ce concours ?

Sonia soupira et quitta la douche sous les rires de ses camarades, Océane la suivit. Amies depuis leur plus jeune âge, elle connaissait bien sa famille et son frère Maxime. Sonia n’avait pas complètement tort ; Maxime était hautain, refusait de partager quoi que ce soit qui lui appartienne et pouvait se montrer méchant, voire mesquin dans ses mots. Ses surnoms préférés pour Océane, dont il ne retenait volontairement jamais le nom, étaient boudin et mocheté. Pourtant… songea amèrement Océane. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher, elle aussi, d’en pincer un peu pour lui. Juste un peu…

Les filles se rhabillèrent rapidement afin de laisser les vestiaires aux danseuses du cours suivant. Les cheveux encore humides, Océane s’assit sur l’un des bancs devant le salon de danse. Anika l’avait déposée ce matin, mais il ne faisait aucun doute que son père ferait l’effort de venir la chercher. Ses espoirs tombèrent à l’eau quand elle reconnut sa grand-mère au volant de la Renault rouge de ses parents. Y a un truc qui cloche... pensa-t-elle en voyant ses cadettes à l’arrière. Elle dévisagea sa grand-mère, tandis que cette dernière garait la voiture de l’autre côté de la rue, d’habitude elle s’arrêtait et mettait les warning le temps qu’elle monte. Il y a VRAIMENT quelque chose qui cloche, paniqua Océane dont le cœur se mit à battre plus fort. La situation avait un air de déjà-vu fort désagréable.

— Ça va, Océane ? demanda Sonia d’une voix inquiète.

La jeune fille sortit de sa torpeur et se tourna lentement vers son amie. La gorge serrée, elle murmura un vague « Je ne sais pas… ». Maxime qui était venu avec leur père dévisagea Océane avec une curiosité tintée d’inquiétude, mais cette dernière n’en remarqua rien. Elle serra les dents et traversa prudemment la route pour monter dans la voiture. Avant de monter, elle croisa brièvement le regard de Daphné, ses yeux étaient rouges et gonflés, la cadette baissa aussitôt les yeux.

Le silence régnant au sein de l’habitacle était pesant.

— Oma, qu’est-ce qui se passe ? demanda Océane d’une voix plus chevrotante qu’elle ne l’aurait voulu.

— Je vais d’abord nous éloigner un peu avant d…

— Non ! Dis-moi ! répondit sèchement Océane.

Anika regarda sa petite fille, elle aussi avait les yeux un peu rouges et gonflés.

— Est-ce que c’est ce que je crois ? À cause des nuits comme cette nuit ? demanda Océane avec raideur, choisissant ses mots pour ne pas choquer sa petite sœur.

Une larme glissa sur la joue de la vieille femme, elle hocha légèrement la tête, les lèvres tremblantes, incapable de parler. Océane se laissa tomber dans les bras de sa grand-mère et pleura pour de bon, elle n’avait plus qu’elles : ses sœurs et sa grand-mère. Elle pleura un long moment dans les bras tendres d’Anika qui caressait doucement sa tête et son dos, tentant tant bien que mal de lui dire qu’elle était désolée, qu’elle prendrait soin d’elle et de ses sœurs…

La douleur qui déchirait le cœur de la jeune fille à cet instant était terrible. Elle surmontait à peine la perte de sa mère qu’il lui fallait à présent affronter le deuil de son père. Son chagrin allait également à ses sœurs, qui n’auraient que peu ou pas de souvenirs de leurs parents, mais aussi à sa grand-mère, accablée par ces pertes et se retrouvant à la charge de trois enfants. Enfin, malgré tout l’amour qu’elle avait pour lui et la douleur de sa perte, elle en voulu à son père, ce lâche qui avait préféré se noyer dans l’alcool et les médicaments que de prendre soin de ses enfants.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Pattelisse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0