Chapitre 23

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Il lui fallut toute la volonté du monde pour se dégager de la prison de terreur glacée dans laquelle elle s’était figée. Ce fut la main chaude de son amie autour de son bras qui l’aida à se mouvoir et marcher jusqu’à la voiture où Sonia lui ouvrit la portière, l’invitant à prendre place au milieu de la banquette, comme à l’aller. Maxime la dévisagea avec un mélange de curiosité et de colère froide.

— Allez, monte ! l’encouragea Sonia, insensible à sa détresse.

Non sans réticence, Océane finit par s’exécuter. Malgré la chaleur étouffante qui régnait dans le véhicule, elle sentit clairement une goutte de sueur froide glisser le long de sa nuque avant d’être absorbée par son débardeur.

« Ne fais confiance à personne »

Un peu plus tôt, elle se réjouissait presque de l’attention d’Alexandre. A présent le morceau de papier lui paraissait énorme et dangereux dans sa poche. À travers le tissu, elle en percevait les pliures qui lui rentraient dans la chair et la brûlait. Que lui voulait-il réellement ? Son intérêt à son égard était-il le même que celui au début du séjour ? Il ne pouvait tout de même pas avoir de mauvaises intentions envers elle, si ?

— Ça va Océane ? demanda Rafael, un regard inquiet dans le rétroviseur.

La jeune femme acquiesça mollement.

Sofines se retourna pour la voir à son tour.

— Tu es drôlement pâle, ma belle, tu as chaud peut-être ? Chéri, mets un peu plus de clim !

Rafael acquiesça tout en jetant un regard sur sa passagère. Lorsque ses pupilles reptiliennes croisèrent les siennes, un frisson la traversa.

« Ne fais confiance à personne »

Un après-midi entier avec cet homme et son frère l’attendait. Ils avaient pris soin d’elle et de sa blessure, certes, mais ils s’étaient montrés particulièrement avares en explications, en informations sur eux, sur leur race. Que prévoyaient-ils de lui faire comme examens ? Probablement des prises de sang, mais quoi d’autres et pourquoi ? Et qu’allaient-ils partager avec elle concernant les résultats ? Pouvait-elle seulement exiger des réponses à ces questions ? Avait-elle même la possibilité de s’opposer à être leur cobaye ? Car au bout du compte, il ne faisait aucun doute que c’était ainsi qu’ils la considéraient : un objet d’expérimentations, une créature nouvelle dont il fallait extraire les mystères pour mieux les exploiter.

« Encore moins à mon père et mon cousin »

Joaquin avait pourtant l’air d’être le plus aimable de la fratrie, le plus joviale. Qu’est ce qui pouvait amener son propre fils à dire qu’il fallait s’en méfier ? Quant au cousin évoqué : duquel devait-elle se méfier ? D’ailleurs, bien que la conversation se soit tenue une dizaine de minutes auparavant, Océane doutait déjà des mots ; avait-il dit « mon cousin » ou « mes cousins » ? Elle songea rapidement que c’était blanc bonnet et bonnet blanc : qu’il s’agisse de Maxime ou d’Alexandre, elle n’était pas sûre de pouvoir faire réellement confiance à l’un ou l’autre. Mais alors, qui lui restait-il ?

Alors que la température à bord devenait plus légère, la tête de Sonia vint se loger sur l’épaule d’Océane, celle-ci la laissa faire et s’adossa de façon à ce qu’elles soient plus à l’aise. Leurs mains se touchèrent. Océane hésita un instant avant de croiser ses doigts entre ceux de son amie ; Sonia décala légèrement son bras pour mieux tenir sa main, qu’elle serra brièvement pour lui signifier son affection. Ce simple geste émut Océane. Elles avaient toujours pu compter l’une sur l’autre, elles n’avaient jamais trahi la confiance qui régnait entre elles, il n’y avait rien qu’elles ne puissent se confier.

Ce temps est désormais révolu, songea tristement Océane.

Le collège et maintenant le lycée étaient derrière elle, leurs quotidiens respectifs allaient diverger, ces courtes vacances marquaient la fin d’une période importante de sa vie. Et surtout, dorénavant il y aurait des secrets. Océane soupira discrètement, un sentiment de solitude lui serrait douloureusement la poitrine.

Tandis que la voiture les rapprochait de la civilisation, Océane essaya elle aussi de dormir, mais n’y parvint pas ; trop angoissée par ce qui l’attendait et l’absence totale de repère, d’une personne pour se confier. Lorsqu’enfin ils arrivèrent à la première station essence pour faire le plein, Océane perçu un échange de regard entre Rafael et son fils, mais elle fut bien vite distraite par Sonia qui se jeta hors de l’habitacle pour aller aux toilettes. Amusée par la démarche hâtive de son amie, Océane s’apprêtait à la suivre : elle avait besoin de prendre l’air et de voir d’autres gens, des gens normaux sans yeux de serpent, mais Maxime lui attrapa le bras avant que sa main n’effleure la poignée.

— Attends une seconde, lui murmura-t-il aussi bas que possible.

Du regard, il lui désigna sa mère qui sortait, suivit de son père. Lorsque la dernière portière se referma, la laissant seule avec Maxime, elle eu l’impression étouffer. Elle prit une profonde inspiration pour ne pas craquer avant de prendre la parole.

— Quoi ? demanda-t-elle sur un ton plus défensif qu’elle ne le voulait.

Loupé, pensa-t-elle amèrement.

Maxime se crispa.

— Si tu sors, mets des lunettes de soleil ; on ne sait pas qui on peut croiser. Si tu as trouvé nos réactions étranges et démesurées, tu n’as pas idée de comment d’autres pourraient réagir. Moi non-plus d’ailleurs et je préfère ne pas le découvrir.

Elle le dévisagea. C’est à cela qu’allait désormais ressembler sa vie ? Dans l’ombre des Jorique et de leurs directives ?

— Tu as de la chance que ton baptême ait eu lieu avec nous, tu peux te fier à nous… à moi… on veillera sur toi, ajouta-t-il d’un ton bienveillant.

Océane continuait de le dévisager, les avertissements d’Anthony toujours bien présents dans son esprit.

« Ne fais confiance à personne »

— Je… Enfin… Je ne vais pas passer le reste de mes jours avec des lunettes de soleil ! s’exclama-t-elle avec détresse.

Maxime voulu lui prendre la main pour la rassurer, elle l’enleva aussitôt.

« Encore moins à mon père et mes cousins »

Il soupira et ramena sa main vers lui.

— Non, bien sur que non. Je crois que mon père a commandé des lentilles de contact pour camoufler tes pupilles.

Cette information la pris au dépourvue et ne soulagea pas son angoisse : d’une part, elle n’avait pas été informée de cette initiative et d’autre part, elle ne savait pas s’il s’agissait réellement d’une faveur pour la protéger ou s’il s’agissait d’un stratagème pour la cacher aux autres, afin qu’elle reste la possession des Jorique. Elle secoua la tête. Non, je me fais des idées, je ne peux pas être l’objet d’autant d’intérêt.

Maxime l’observait avec inquiétude.

— Est-ce que ça va ?

— Non. Enfin, si… J’ai besoin de respirer.

Océane fouilla rapidement dans son petit sac et en extirpa une paire de lunette de soleil qu’elle brandit nerveusement devant son interlocuteur pour lui montrer qu’elle avait bien compris, puis elle quitta le véhicule avant qu’il n’ait le temps de rajouter quoi que ce soit. Elle avait besoin d’air, de normalité et de toilettes en porcelaine.

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