Chapitre 26

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Ils arrivèrent rapidement à la clinique où travaillait Rafael, dès leur entrée dans le hall, plusieurs personnes le saluèrent. Suivant les consignes reçues, Océane conserva ses lunettes. N’étant pas pleinement convaincue de leur opacité et de leur capacité à cacher ses pupilles, elle s’efforça même de garder le regard baissé ou détourné, elle se permit néanmoins quelques œillades aux différentes personnes qui s’adressaient à lui.

Au début, elle ne vit que des personnes normales, ce qui la fit presque douter des précédentes révélations obtenues pendant le trajet, jusqu’à ce qu’ils croisent un cardiologue au détour d’un couloir. Si la teinture de ses verres ne lui permit pas de déterminer la couleur de ses yeux, elle n’avait en revanche aucun doute sur leur forme, à peine eut-elle croisé le regard du médecin qu’elle se détourna, observant avec attention le plan de la clinique détaillé sur le mur. C’est alors qu’un autre médecin passa devant elle, lui adressant un bref regard, suffisant pour qu’elle discerne les pupilles rectilignes de l’homme. Elle baissa aussitôt les yeux, le cœur battant la chamade, la sensation désagréable d’être une souris dans un nid de serpents.

Au bout d’un échange qui lui sembla interminable, le collègue de Rafael prit congé et ils reprirent leur chemin à travers le bâtiment. Il l’avait présentée comme la fille d’un cousin éloignée souffrant de problèmes de santé et dont il voulait faire un petit bilan, elle ne s’en formalisa pas, l’anonymat lui convenait parfaitement.

Ils arrivèrent finalement devant une porte ornée de deux plaques : Dr JORIQUE et Dr JONANSKY. Rafael déverrouilla l’accès et l’invita à entrer.

— C’est ici que vous travaillez ? demanda la jeune femme en étudiant la pièce.

— La plupart du temps, oui, répondit vaguement l’intéressé. Tu peux ôter tes lunettes.

L’endroit lui parut austère, l’air était imprégné d’une odeur de désinfectant qui semblait s’accrocher aux murs immaculés. La lumière blanche, froide, ne laissait aucune place aux ombres, donnant à la pièce une netteté presque anormale.

À gauche, un bureau en bois sombre portait un écran d’ordinateur éteint, des pochettes bleues s’empilaient sur un coin, tandis que plusieurs feuilles éparpillées, des post-it et des stylos s’étalaient sur le clavier, vestiges probables d’une précédente consultation. Deux chaises en plastique noir, aussi fonctionnelles qu’inconfortables, étaient placées devant. Rafael maugréa face au désordre et rangea rapidement les documents.

— Encore en train de faire le maniaque ? taquina une voix dans l’embrasure de la porte.

Rafael releva à peine la boutade tout en passant un coup de désinfectant sur le bureau.

— Fermes la porte derrière toi, veux-tu ? Ivanna est une très bonne professionnelle, mais son manque d’organisation va me rendre fou un jour…

Joaquin s’exécuta tout en affichant un grand sourire moqueur.

— Installe-toi Océane, indiqua Rafael en désignant les chaises d’une intonation aussi chaleureuse que la pièce.

S’il s’était montré un peu plus humain et rassurant lors du trajet en voiture, la personnalité froide et méthodique du médecin avait chassé toute chaleur dans son attitude. Océane se demanda même si elle pouvait se permettre de continuer de l’appeler par son prénom ou si elle devait l’appeler docteur. Il alluma l’ordinateur et lui demanda sa carte vitale.

— Joe, je te laisse vérifier les antécédents et précédents résultats d’analyses pendant que je vais chercher des tubes.

Joaquin acquiesça et s’installa derrière le bureau à la place de son cadet.

Océane se retrouva seul avec l’aîné des Jorique. D’habitude si jovial et bavard, elle s’étonna de son silence et de son sérieux tandis qu’il épluchait son dossier. Aucun sourire ne venait adoucir ses traits carrés, ses pattes d’oies disparaissaient au profit des rides du lions, rendant son regard noir et jaune plus intimidant. La jeune femme refoula le frisson qui la traversait, encore quelques heures et ce serait fini, avec un peu de chance, peut-être pourrait-elle rentrer chez elle le soir-même, se mit-elle à espérer.

Malgré les bruissements de vie de la clinique, le silence régnant dans la pièce oppressait Océane, l’appréhension lui donnant les mains moites et une sensation de froid. Elle fut presque soulagée de voir Rafael revenir, elle le fut beaucoup moins quand elle vit le petit bac métallique rempli de flacons dans ses mains, ainsi qu’une pochette bleue. Combien de litres espéraient-ils lui prendre ? Elle dénombra presque dix flacons au premier coup d’œil, presque tous d’une couleur différente.

Voyant le teint blafard de la jeune femme, Rafael sembla se rappeler qu’elle n’était pas une patiente parmi tant d’autres.

— Est-ce que tu crains les piqures ?

Les yeux rivés sur le plateau argenté, Océane entendit à peine la question.

— Hein ? Heu… non… Je ne crois pas…

À dire vrai, elle n’était plus sûre de rien.

— Ne t’inquiète pas, je suis un très bon piqueur ! Tu ne sentiras rien et les fioles seront vites remplies. Viens t’installer ici, s’il te plait.

Il lui désigna la droite de la pièce, dans son dos où se trouvait un espace plus médicalisé avec une table d’auscultation qu’il recouvrit d’une longue feuille blanche et fine. Au pied de cette table, se trouvait un chariot métallique encombré de gants, de flacons de gel hydroalcoolique et d’instruments rangés avec une précision presque chirurgicale, elle reconnut notamment un tensiomètre. Elle l’observa se désinfecter les mains, avant d’enfiler des gants. Elle se résigna à s’installer sur la table.

Comme Rafael l’avait prédit, elle ne sentit presque rien et la petite dizaine de fioles fut vite remplie. Finalement, ce n’était pas si terrible ! songea-t-elle, commençant à se détendre.

— Une chose de faite, déclara Rafael en étiquetant le dernier flacon. Est-ce que ça va ?

Cette fois, elle acquiesça avec plus de conviction.

— Nous allons passer à la ponction lombaire, est-ce que tu veux faire une pause avant ?

La panique, si vite oubliée, pointa à nouveau le bout de son ignoble nez.

— Hum… c’est quoi ça ? demanda-t-elle d’une toute petite voix.

Ce fut Joaquin qui prit la parole, il avait retrouvé son sourire avenant.

— Il s’agit d’un prélèvement un petit peu moins sympa que la prise de sang. On prélève du liquide céphalorachidien en passant une fine aiguille entre deux vertèbres en bas du dos. Pour être tout à fait honnête, ce n’est pas très agréable, mais bien réalisé, ce n’est pas aussi douloureux que cela en a l’air.

Océane dégluti péniblement. Avait-elle le choix ? Même s’il souriait, le regard de Joaquin lui parut dur et froid.

— Est-ce vraiment nécessaire… ?

— Oui, je le pense, affirma l’urgentiste. Le baptême a été violent pour ton corps : tu as eu de la fièvre, tu as vomi, tu as eu des convulsions… Ce n’est pas anodin, nous voulons nous assurer que ton cerveau et le liquide qui l’entoure n’ont pas souffert de cette transition.

Le froid lui mordit le bout des doigts, elle n’avait qu’une envie : partir d’ici, retourner dans son foyer pour cuisiner avec Oma et s’occuper de ses sœurs. Sous le regard insistant des deux frères, Océane finit par céder et accepta cette nouvelle intervention sur son corps.

— Tu le fais ou je le fais ? demanda Joaquin sur le ton de la conversation.

— Fais-le. Tu as plus l’habitude que moi.

L’intéressé acquiesça et à son tour se désinfecta les mains et avant-bras avant d’enfiler des gants.

— Tu vas de voir enlever ton débardeur et te mettre dos à moi, le plus courbé qu’il t’est possible. Raf, tu peux me préparer le kit ?

Mal à l’aise, la jeune femme se tourna et enleva partiellement son débardeur afin qu’il couvre son buste. Une petite voix dans sa tête ne put s’empêcher de la trouver ridicule, après tout ils l’avaient vu en maillot de bain, non ? Oui, mais là c’est différent… se justifia-t-elle intérieurement. À sa droite, elle vit les mains de Rafael ouvrir la pochette bleue, révélant des cotons, des flacons remplies de différents liquides, une seringue et des aiguilles énormes comparées à celle utilisées précédemment. Son cœur s’emballa, aussi préféra-t-elle détourner le regard. A peine fut-elle en position, qu’elle sentit qu’on lui mettait un tissu en bas du dos, par-dessus son short avant de lui badigeonner tout le bas du dos d’un produit froid et odorant.

— Qu’est ce que vous faites ?

— Le champ stérile, c’est pour éviter de tacher tes vêtements. La bétadine c’est pour nettoyer ta peau. Maintenant ne bouge plus, je vais piquer. Tu risques de sentir une pression, je répète : ne bouge pas !

Loin de la rassurer, les instructions accentuèrent son appréhension.

Par chance, Joaquin parvint à insérer l’aiguille du premier coup, mais contrairement à ce qu’il avait annoncé, Océane eut mal, elle reçut même ce qui s’apparentait à une décharge électrique partant du bas du dos jusque dans sa jambe gauche. Inquiète, elle en fit part aux deux hommes.

— Ce n’est rien. Un nerf. Ça arrive, répondit placidement Joaquin. Ne bouge surtout pas.

Les minutes s’étirèrent, elle eut la sensation que l’on enlevait et insérait des choses dans son dos, mais elle n’osa pas se plaindre. Elle se sentait dépossédée de son corps, voire de son libre arbitre. Tous ces examens étaient-ils réellement nécessaires ? S’inquiétaient-ils réellement de sa santé ? Faisait-elle preuve d’ingratitude et de paranoïa ? Après tout, sans cette histoire de gène et d’yeux bizarres, sans doute leur aurait-elle confiance pour passer des examens et ce, en dépit de leur attitude froide et méthodique, attitude qui n’avait rien d’anormal venant de tels médecins… Les pensées de la jeune femme se mêlaient et s’entremêlaient sans qu’elle parvienne à se décider si elle devait leur faire confiance ou pas, car malgré tous les éléments en leur faveur, à cet instant, dans cette pièce froide, aseptisée et silencieuse : la peur l’étreignait. Elle se sentait à leur merci. Une larme lui échappa tandis qu’elle sentait l’aiguille quitter sa chair.

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