Chapitre 27
Très rapidement, Océane fit les frais des effets secondaires de la ponction : migraine et nausée. Le fait qu’ils ne l’aient pas prévenu au préalable n’arrangeait pas son problème de confiance. Joaquin la fit s’allonger sur le dos et lui donna un haricot en carton au cas où la nausée deviendrait trop importante.
— Il va falloir que tu restes couchée deux petites heures, annonça l’aîné des Jorique. Et il faudra éviter de te lever pendant les douze heures à venir. Si jamais tu avais d’autres symptômes que la céphalée, n’hésite pas à le dire à Rafael.
Océane chercha ce dernier du regard et s’aperçut qu’il s’était de nouveau absenté. Voyant son regard balayer la pièce, l’urgentiste répondit à sa question silencieuse.
— Il est sorti déposer les prélèvements au laboratoire. Il ne va pas tarder.
La jeune femme hocha mollement la tête, puis plaça son bras par-dessus ses yeux pour se protéger de la lumière crue des néons.
— Pendant que tu te reposes, je vais te faire un dernier prélèvement…
Océane enleva son bras et commença à se redresser, prête à se défendre : elle en avait assez des examens pour aujourd’hui !
— Non, non, non ! Reste allongée, tu vas aggraver ton mal de tête ! Pour ce qui est de cet échantillon, tu ne sentiras rien, promis mistinguette !
Il lui adressa un grand sourire tout en la contraignant doucement, mais fermement à se rallonger.
Toujours partagée entre paranoïa et ingratitude, Océane finit une fois de plus par céder. Elle remit son bras devant ses yeux et serra les dents.
Elle sentit à nouveau le coton froid nettoyer sa peau, une petite piqure sur son mollet gauche, suivi d’une sensation de pression, puis plus rien, si ce n’est le petit pansement qu’il appliqua.
— Finit ! clama son tortionnaire. Tu vois, ça été rapide.
Pour toute réponse, elle maugréa ; sa tête lui faisait un mal de tous les diables.
Après quelques minutes, Rafael revint avec plusieurs gobelets de café, dont deux pour Océane.
— Bois, ça devrait te soulager un peu.
Ne voyant rien de dangereux dans cette préconisation, elle s’exécuta. La boisson lui apporta une dose de chaleur et de réconfort qui était plus que bienvenue.
— Bien, si vous n’avez plus besoin de moi, je vais me sauver ! annonça Joaquin.
— Tu as pu lui prendre un rendez-vous pour un EEG ? questionna Rafael qui avait repris position derrière son bureau.
— Pff… Je n’ai pas réussi à obtenir de disponibilité avant un mois ! Et même là, j’ai dû jouer de mes charmes avec Bérénice pour obtenir une date !
Son frère eut une petite exclamation à cette dernière remarque.
— T’es irrécupérable ! Tu m’enverras les infos.
— Pas de problème, ciao mistinguette !
Sans grand enthousiasme, Océane fit un vague geste de la main. Encore un examen… gémit-elle intérieurement. Elle soupira. Sa santé lui avait jusque-là permit d’éviter les cabinets médicaux ou les hôpitaux, elle espéra que cette tendance n’allait pas s’inverser.
Lentement, son mal de tête s’estompa pour devenir plus tolérable, accompagné du pianotement régulier sur le clavier, elle finit par s’assoupir. Lorsque Rafael la réveilla, elle se sentait mieux. Suivant ses conseils, elle se redressa doucement. Il vérifia rapidement ses constantes avant de l’autoriser à se lever et la fit s’asseoir face au bureau.
— Vous avez déjà mes résultats d’analyses ?
— Non, nous ne les aurons pas avant vingt-quatre à quarante-huit heures.
— Même en usant de vos charmes avec les laborantines ? demanda timidement Océane en espérant alléger la conversation.
La question surprit son interlocuteur qui écarquilla légèrement les yeux.
— Malheureusement, ni mon charme ni mon autorité ne peuvent accélérer les délais d’analyse ! Par ailleurs, je n’ai pas les talents de mon frère dans cette matière ! répondit-il avec un très léger sourire.
— Ah… Dommage. Au fait, c’était quoi le dernier examen ?
Rafael fronça les sourcils.
— Tu parles de la ponction lombaire ? Tu veux que je te réexplique le principe ? Les éléments recherchés ?
— Non, ça c’est bon, je pense avoir compris… Je parle de l’échantillon pris par Joaquin après la ponction.
L’étonnement qu’elle discerna dans son regard ne la rassura pas.
— Montre-moi, demanda-t-il d’une voix qui se voulait assurée, mais où Océane perçu une curiosité teintée d’inquiétude.
Il se désinfecta les mains avant de faire le tour du bureau, tandis qu’Océane se tournait pour présenter son mollet gauche. Il releva légèrement le pansement, révélant une petite plaie ronde, pas plus grosse qu’un grain de beauté. Cela ne dura qu’une fraction de seconde, cependant elle vit clairement la mâchoire de Rafael se contracter alors qu’il expirait bruyamment. Il remit le pansement en place.
— Ce n’est rien, juste une biopsie par forage…
Malgré le contrôle dont il faisait preuve, cela ne semblait pas être « rien » à ses yeux. Il se rassit face à elle et lui présenta un petit sac plastique, elle l’avait vu sortir du coffre avant de rentrer à la clinique, mais n’y avait pas particulièrement prêté attention.
— Je veux voir une dernière chose avant que l’on ne parte : as-tu déjà porté des lentilles ?
Ah, c’est ça… pensa-t-elle, se rappelant que Maxime lui en avait parlé. Elle répondit par la négative d’un mouvement de tête.
— On va prendre quelques minutes pour voir cela ensemble. Le fait est que les verres teintés ne sont pas une solution viable à long terme, tu t’en doutes. Et je ne pense pas que tu veuilles attirer l’attention d’autres dracs ?
À nouveau, la jeune femme secoua la tête. Elle ne put s’empêcher de penser que ce souhait n’était pas que le sien, elle n’avait pas vraiment idée de ce qu’elle représentait pour les Jorique, mais elle avait la certitude grandissante qu’ils voulaient garder son existence secrète.
Il lui présenta plusieurs paires de lentilles colorées, ils étudièrent ensemble leurs coloris, cherchant celles qui se rapprocheraient le plus de la couleur naturelle de son iris et couvriraient le mieux sa pupille. Puis vinrent les essayages qui furent des plus déplaisants pour Océane: elle avait horreur que l’on touche à ses yeux. Après plusieurs tentatives infructueuses, elle parvint enfin à placer une lentille, puis sa jumelle.
La première chose qu’elle remarqua fut la réduction de son champ de vision, c’est à ce moment-là qu’elle réalisa qu’il était plus vaste depuis son baptême. Le cœur de la lentille était plus sombre pour former un rond, rendant par la même occasion le monde légèrement plus sombre et bien que cela puisse présenter un avantage pour ses yeux bleus naturellement plus sensibles à la lumière, elle en fut affectée.
Désormais son monde serait étroit et sombre.
Elle ravala la boule de tristesse qui se fermait dans sa gorge et se tourna vers Rafael pour qu’il puisse la prendre en photo. Il lui présenta son cellulaire pour qu’elle constate elle-même l’effet obtenu. Si de loin, le résultat était convainquant, il l’était beaucoup moins de près. Elle fit la moue.
— C’est contraignant, j’en conviens, mais c’est nécessaire. Je trouve le résultat satisfaisant, meilleur qu’avec des lunettes de soleil, commenta le père de son amie.
Océane le dévisagea un instant ; il semblait sincère, aussi finit-elle par acquiescer.
Le modèle retenu avait été fait sur mesure, son prix parut donc exorbitant à Océane. Rafael lui proposa de lui fournir les premières paires, ce qu’elle accepta à contrecœur n’ayant réellement pas les moyens de payer de telles sommes.
— Je vous rembourserai dès que mes salaires me le permettront, affirma-t-elle.
— Inutile, c’est le moins que je puisse faire pour t’aider.
Le ton légèrement condescendant de son interlocuteur l’agaça, mais elle n’en montra rien et se contenta de le remercier. Il lui offrit la même réponse lorsqu’elle lui demanda combien allait coûter tous les tests et analyses ; la sécurité sociale prenait en charge une partie, il s’occupait du reste.
Le retour au domicile des Jorique se fit dans le silence. De nombreuses interrogations attendaient toujours des réponses dans l’esprit de la jeune femme, cependant sa fatigue physique et psychologique l’emportèrent sur sa curiosité.
Le reste de la journée fut court : à peine arrivée, Océane monta rejoindre la chambre de son amie et s’étendit sur le lit où elle discuta un moment avec elle avant de s’endormir.
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