Chapitre 29
Son pressentiment se confirma quand elle remarqua que la route empruntée par son conducteur n’était pas celle menant chez elle. Lâchant un soupir de lassitude, elle prit la parole.
— Je peux savoir où tu comptes m’emmener ?
— Chez toi, répondit Maxime avec un léger haussement d’épaules. Mais je pense qu’il faut que l’on discute un peu avant, tu n’es pas d’accord ?
Le regard qu’il lui adressa ne laissait pas vraiment de place à l’opposition, aussi ne répondit-elle pas.
Ils finirent par atteindre le parc à la périphérie de la ville, il se stationna à l’écart des autres véhicules et coupa le moteur.
— Je t’écoute, annonça-t-il.
La proposition surpris Océane qui resta coite un instant avant de se ressaisir.
— C’est toi qui voulais que l’on discute !
— Et c’est toi qui étais préoccupée dans la voiture pendant le trajet retour du camping, de même que c’est toi qui étais blanche comme un linge devant le bureau de mon père ce matin, argua-t-il.
C’était la vérité, mais à cet instant Océane ne voulait plus avoir affaire aux hommes de la famille Jorique et encore moins être enfermée avec l’un d’entre eux, loin de tous.
Face à son mutisme, Maxime se frotta le visage avant de passer ses mains dans ses cheveux.
— Écoutes, je veux t’aider et je suis prêt à répondre à toutes tes questions, mais je ne peux pas deviner tes besoins !
— Encore faudrait-il que je puisse te faire confiance !
— Tu p…
— Tu as entendu, n’est-ce pas ? Tu as entendu comment ton père parlait de moi ce matin au téléphone ?
Le visage de son interlocuteur se referma, son regard se durcit.
— Laisse-moi te rafraîchir la mémoire : « si les choses se confirment, il serait judicieux qu’elle reste dans la famille et pour ça il vaut mieux éviter de l’effrayer ou de la mutiler ».
— Mon pè…
— Ou bien peut-être que ça, ça te sera plus familier : « c’est une famille de roturiers et son père, c’était personne, juste un bâtard qui s’est noyé dans l’alcool »
Elle ne se souvenait plus exactement ce qu’il avait dit, mais elle avait retenu l’essentiel et le regard de Maxime trahit sa gêne. Elle ne lui laissa pas le temps de répondre, il voulait l’écouter ? Il n’allait pas être déçu !
— Je vous ai entendu dans le hangar, avec Sonia on s’apprêtait à vous rejoindre. C’est donc tout ce que je représente pour vous ? La fille d’un déchet ? Une personne négligeable ?
— Non ! s’emporta Maxime dont les pupilles s’affinaient et dont le halo rouge grandissait dans l’iris.
— Non, tu as raison, concéda Océane. Ça c’était avant. À présent, je suis une curiosité, un cobaye ou une espèce d’atout pour votre famille. Hier, ton père comme ton oncle m’ont fait des prélèvements soi-disant pour s’assurer de ma santé, mais je sais bien que je ne connaîtrai jamais les résultats ni la portée de ces examens, c’est déjà tout juste si je n’ai pas été forcée de les accepter…
Maxime s’était détourné pour mettre ses mains sur le volant. Les jointures blanchies, la mâchoire contractée et le regard perdu au loin, il semblait chercher ses mots.
En le voyant ainsi, Océane eut presque l’impression d’être face à un boss dans un jeu vidéo : elle lui avait mis plusieurs coups critiques, il ne lui restait plus qu’à l’achever.
— Tu ne m’as peut-être jamais détestée, mais tu m’as toujours méprisée. Et après ce que j’ai entendu ce matin, je préfère restée dans l’ignorance de ce que je suis devenue qu’être manipulée et utilisée par ta famille. Je ne veux plus rien avoir à faire avec vous.
Son interlocuteur ferma les yeux et laissa retomber sa tête contre le volant, entre ses mains.
K.O. pensa amèrement la jeune femme.
— Ramènes-moi chez moi, s’il te plaît, finit-elle par demander doucement.
Non sans lâcher un soupir, Maxime se redressa. Ses traits étaient tirés, il semblait las. Lorsqu’il reprit la parole, toujours face à son volant, Océane s’étonna de la note de tristesse qu’elle perçut dans sa voix.
— Je ne peux pas nier tout ce que tu viens de dire, les faits sont là… Mais pour ce que ça vaut, sache que je ne t’ai jamais considérée comme un déchet ou une personne négligeable et je maintiens ce que je t’ai dit hier : je ne t’ai jamais détestée. Bien au contraire…
Océane ne put retenir une exclamation de dédain.
— Tu ne vas pas oser me sortir la carte de « je t’ai toujours considérée comme ma petite sœur » !
— Pas vraiment, non, dit-il en se tournant enfin vers sa passagère.
Le cœur d’Océane s’emballa légèrement et le sang monta à ses joues. Le tour inattendu que prenait cette conversation la mettait mal à l’aise, elle fuit son regard, fixant le sien sur le rétroviseur à sa droite.
— Ça, c’est ce que tu dis aujourd’hui… parvint-elle enfin articuler d’une voix chétive.
Elle l’entendit soupirer une nouvelle fois avant de redémarrer le moteur, elle osa un coup d’œil dans sa direction.
— Tu as besoin de prendre du recul sur tout ça. Je te ramène chez toi.
Soulagée qu’il n’insiste pas, elle resta silencieuse sur le reste du trajet. Ses pensées, quant à elle, étaient en pleine effervescence.
Avait-elle bien compris ce qu’il avait sous-entendu ? Était-il sincère ? Non, cela n’était pas possible ; elle avait mille et un souvenirs de lui où il se montrait détestable à son égard. Il n’y avait guère qu’aux enterrements qu’il s’était montré un tant soit peu chaleureux et humain, il l’avait même prise dans ses bras à celui de son père, se souvint-elle.
Sentant ses yeux brûler, elle écarta rapidement ces souvenirs. Elle ne voulait que Maxime la voit pleurer et interprète mal ses larmes.
À bien y réfléchir, elle se remémora d’autres occasions où il avait été aimable et gentil. Cependant ces dernières étaient carrément lointaines : elles remontaient à l’enfance, quand elle avait cinq ou six ans… Autant dire que cela appartenait à une autre époque.
Enfin, il restait les conseils d’Anthony. Il avait dit vrai sur son père, il y avait donc forcément du vrai aussi dans ses avertissements concernant ses cousins et l’intérêt qu’elle allait susciter, non ?
La route redevint familière, l’arrachant à ses sombres réflexions et lui remontant enfin un peu le moral. Paradoxalement, elle ne put s’empêcher de ressentir un pincement de regret : ses dernières vacances et sa liberté touchaient à leur fin.
Maxime trouva une place libre non loin de l’entrée et s’y gara, voyant l’étonnement dans le regard de sa passagère, il eut un petit rire.
— T’as oublié que tu avais ton sac de course et tes packs d’eau ?
— Oh ! s’exclama-t-elle. Oui, j’avais oublié…
Maxime hocha la tête.
— Mon père a insisté sur l’absence d’effort pendant vingt-quatre à quarante-huit heures suite à tes examens… ajouta-t-il légèrement mal à l’aise. Je vais donc les porter jusque chez toi…
Bien qu’elle voulût s’y opposer, elle s’abstint. Elle avait fait quelques recherches sur les prélèvements qu’elle avait subi la veille avec son cellulaire ; elle avait notamment découvert que la ponction lombaire qu’on lui avait imposée était loin d’être un acte médical anodin.
Elle acquiesça et le remercia, mais alors qu’elle décrochait sa ceinture pour sortir, il reprit la parole.
— Juste… Une dernière chose…
La main sur la poignée, elle prit une profonde inspiration avant d’expirer lentement, puis se tourna vers son interlocuteur.
— Je ne suis pas mon père et encore moins mon oncle, je regrette mes mots et mes comportements à ton égards, mais il faut que tu comprennes que je n’ai pas vraiment eu le choix jusqu’ici…
— On a toujours le choix ! s’exclama Océane, outrée qu’il ose avancer de telles excuses.
— Non, pas toujours, crois-moi… insista-t-il. Ce n’est pas une excuse que j’avance, mais plus… du contexte ?! Bref ! Ce que je veux te dire, c’est que je comprends ta rancœur, elle est plus que légitime, mais ne t’arrêtes pas à ça. Les lentilles c’est bien, mais cela risque de ne pas toujours suffire et tu auras besoin d’avoir des personnes derrière toi à ce moment-là. Je…
— Ce sont des menaces ? interrompit Océane dont la patience s’étiolait.
— Non ! Mais tu…
— Je penses que j’en ai assez entendu aujourd’hui, d’accord ? Maintenant, je veux rentrer chez moi et ne te sens pas obligé pas à m’aider avec mes affaires, je peux me débrouiller seule !
Sans attendre sa réponse, elle sortit de la voiture, récupéra ses affaires sur les places à l’arrière et s’avança vers le coffre, mais Maxime l’avait devancée : il finissait de sortir le second pack d’eau. Ses iris plus rouges que vertes trahissaient son agacement.
— Je te suis.
Le trajet jusqu’à l’appartement se fit dans un silence à couper au couteau. Arrivés devant chez elle, il déposa les courses avant de plonger son regard dans le sien.
— T’as le droit de me détester, je ne t’en veux pas. Prends soin de toi, s’il te plaît.
Sans attendre de réponse, il se détourna et disparu dans la cage d’escalier.
Annotations
Versions