Chapitre 31

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Lorsqu’elle se réveilla un peu plus tard, son ventre était toujours sensible, mais Océane se sentait tout de même mieux.

Étendue dans son lit, elle essayait de comprendre ce qui l’avait rendue si malade, si vite. Habituellement, elle avait un estomac solide, c’était même à elle qu’incombait toujours la tâche ingrate de manger les yaourts et autres denrées qui avaient dépassé la date limite de consommation, or cela ne l’avait jamais affecté jusqu’à présent. Alors que penser d’un innocent poulet à l’estragon accompagné de pommes de terre ?

Malgré elle, ses pensées la menèrent aux évènements récents.

Il y avait peut-être un lien de causalité. Après tout, la probabilité que les Jorique lui ai fait passer ces examens pour réellement s’assurer de sa bonne santé n’était pas nulle. Mais j’aurais été malade avant si mon estomac avait été fragilisé… raisonna la jeune-femme. Pourtant, malgré l’hygiène relative au camping et l’absence de contrôle de qualité des produits qu’elle avait ingérés, elle n’avait pas ressenti la moindre incommodation.

Intriguée, elle se redressa dans son lit et s’empara de son smartphone. Après quelques recherches sur la ponction et la biopsie subies, elle ne trouva pas d’explications non plus.

Et s’ils lui avaient injecté quelque chose ?

La question surréaliste lui fit froid dans le dos, elle rejeta l’idée et secoua la tête. Même si les deux frères Jorique avaient fait preuve d’indélicatesse, elle doutait fortement qu’ils aient tenté quoi que ce soit d’aussi sombre. D’autant que rien dans la conversation qu’elle avait surprise ne laissait supposer cela.

— Je deviens parano… maugréa-t-elle pour elle-même en lassant retomber sa tête en arrière.

Après avoir fait le tour de ses réflexions, elle opta finalement pour l’indigestion, c’est ce qui lui semblait le plus plausible et le moins risible.

Satisfaite de sa réflexion, elle se redressa et entreprit de ranger toutes ses affaires qui étaient restées entassées dans son sac de randonnée. Cela fait, elle s’empara de son carnet de croquis, désireuse de partager ses créations avec sa famille.

Force était de constater qu’il s’était bien rempli en quelques jours ; tous les croquis ne se valaient pas, mais une progression était notable au fil des pages. Son dessin préféré était celui qu’elle avait fait de Sonia assoupie lorsqu’elles étaient allées dans les hauteurs. En revanche, ses sentiments furent plus mitigés quand elle tomba sur le visage d’Alexandre… Un soir, la veille de sa brûlure, il lui avait demandé de tirer son portrait et elle n’avait pas réussi à résister à son sourire charmeur. Or si son coup de crayon avait su capturer les traits de son visage, à présent elle s’interrogeait sur ce qu’elle devait faire de « ça ». Une partie d’elle trouvait dommage de jeter un dessin réussi, l’autre voulait tout oublier… Mais pas que. Malgré tout ce qui s’était passé et en dépit des avertissements d’Anthony, une partie d’elle n’était pas insensible à son charme, d’autant qu’il avait toujours été gentil envers elle et ce, bien avant cette stupide brûlure.

Maxime avait déclaré qu’elle avait besoin de recul et à cet instant, elle décida que c’était l’une des rares choses sensées dans tout ce qu’il lui avait dit le matin-même.

Incapable de prendre une décision définitive, mais ne voulant pas s’attirer les moqueries de Daphné, Océane déchira soigneusement la feuille et la rangea au fond d’un tiroir de son bureau.

Elle retrouva sa grand-mère dans le salon, en train d’arroser la multitude de plantes et de fleurs qui l’occupait, la voix d’Heidi Brühl résonnait dans la pièce au son de Chico Chico Charlie.

— Un coup de main, Oma ?

L’intéressée se tourna à peine.

— J’ai presque fini. Tu peux sortir les orchidées de leur bain, si tu veux.

Océane s’exécuta, vidant les pots dans lesquelles baignaient plusieurs orchidées. Étonnée du calme régnant dans la demeure, elle questionna sa grand-mère ; Daphné était sortie se promener avec des amies et Diane devait jouer dans sa chambre, apprit-elle. Le ton neutre avec lequel Anika donna ces informations était étrange.

— Est-ce que ça va, Oma ?

— Oui, ne t’inquiète pas. Juste un peu de fatigue…

— Les crayons et le carnet que tu m’as pris sont géniaux ! Et avec la longue-vue, j’ai pu observer pleins d’oiseaux ! Du coup, j’ai fait plusieurs croquis, tu veux voir ?

La grand-mère acquiesça d’un léger hochement de tête. Océane remarqua que son pas était lent, ses enjambées courtes et au ras du sol. Elle se mordit la joue ; il était vraiment temps qu’elle rentre et qu’elle prenne le relais.

Lorsqu’elles furent toutes deux assises, Océane lui tendit le carnet. Anika regarda rapidement les différents dessins, sans faire le moindre commentaire.

— C’est bien, Océane. Maintenant, je vais aller me reposer un peu si ça ne te dérange pas…

Océane ? pensa l’intéressée, stupéfaite. Leur grand-mère n’utilisait presque jamais leurs prénoms pour s’adresser à elles, leur usage était rare et souvent à l’occasion de remontrance. Elle n’est pas fatiguée, elle est contrariée… Mais qu’ai-je fait ?

— Est-ce que tu es sûre que ça va ? Tu es contrariée ? J’ai fait quelque chose de mal ?

La vieille femme se retourna et dévisagea sa petite-fille quelques secondes avant de lui répondre avec un semblant de sourire.

— Mon arthrite qui me fait souffrir, ce n’est rien. Et toi ? Tu es sûre que tout va bien ?

— Oui, bien sûr…

Anika la fixa avec intensité avant de hocher la tête et de se diriger vers sa chambre, laissant Océane pantoise. La jeune femme regarda son aïeule s’éloigner avec une étrange sensation d’abandon dans la poitrine. Elle l’avait connu en moins bonne santé, pour autant elle s’était toujours montrée douce et chaleureuse, ce matin-même tout était encore normal… Qu’est ce qui avait pu changer ?

Après quelques minutes seule avec elle-même, Océane éteignit la musique et décida d’aller voir sa petite-sœur, cette dernière sautait toujours sur une occasion de jouer avec quelqu’un, or elle avait grand besoin d’une dose d’enthousiasme et de dopamine.

Lorsqu’elle pénétra dans la chambre de la benjamine, celle-ci était sans dessus-dessous ; les draps avaient été enlevé du lit pour faire une sorte de tente au milieu de la petite pièce et le reste de l’espace au sol était couvert de peluches et de poupées, telle une armée défendant son fort. Pendant une seconde, l’aînée de la famille ne sut si elle devait s’amuser de ce joyeux chaos ou s’en alarmer.

— C’est qui ? demanda une petite voix sous le drap.

— C’est moi, Schatzi !

La tête de l’enfant émergea entre deux draps, son regard bleu tendre plongeant dans celui d’Océane.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Rien de spécial, répondit doucement Océane tout en s’accroupissant. Je peux venir jouer avec toi ?

Là où elle s’attendait à trouver de l’émerveillement, elle ne vit rien, pas même l’ombre d’un sourire.

— Non. T’es trop grande, tu vas casser ma maison. Et c’est Oma qui m’appelle Schatzi, pas toi !

Sans plus de cérémonie, la petite se cacha sous les draps : le débat était clos. Alourdie par ce second rejet, Océane se redressa péniblement. Elle quitta la pièce sans même rappeler à sa benjamine de bien ranger ses jouets quand elle aurait fini de s’amuser.

De retour dans sa chambre, le cœur serré, Océane se sentit vide. Avait-elle été tellement choquée par les récents évènements qu’elle en avait idéalisé son foyer ? Même si elle avait la ferme conviction que la réponse à cette interrogation était négative, elle s’accrocha à cela pour justifier cette ambiance étrange et froide dans laquelle elle était plongée ; les autres possibilités étaient beaucoup trop sombres et parmi celles-ci, l’absence de ses lentilles la terrifiait.

Privée de la moindre interaction avec ses proches, elle décida de se pencher sur la question du travail. À défaut de l’égayer, cela aurait le mérite de l’occuper.

Les différents contacts avec ses futurs employeurs étaient listés sur son ordinateur, avec un planning mensuel où différentes couleurs lui permettaient d’organiser quand et où elle allait travailler. Sur le mois à venir, seule deux journées étaient blanches, donc libres. Elle soupira avant de se saisir de son téléphone et de composer le numéro de la supérette qui allait occuper quatre-vingt pour cent de son temps.

Une fois de plus, la désillusion fut au rendez-vous. Le directeur de l’établissement lui apprit que face à un arrêt maladie imprévu, il l’avait contactée pour savoir si elle pouvait commencer plus tôt. En l’absence de réponse, il s’était résolu à embaucher une autre personne, cette dernière se montrant compétente, il allait la garder. Océane bredouilla des excuses et mit fin à l’échange tout en supprimant les journées du planning. Le mois à venir se retrouva beaucoup plus aéré et les espoirs de voir rentrer un bon salaire beaucoup plus mince.

Exaspérée et paniquée, elle écouta les messages sur son répondeur ; ces fameux messages qu’elle n’avait pas pu écouter dans la voiture et qu’elle avait complètement oubliés… L’un d’entre eux était ladite proposition de commencer à travailler plus tôt, le second venait du gérant d’une pizzeria - Chez Berniot - qu’elle avait contacté au cas où… Ce « au cas où » était lui aussi à oublier. Il ne lui restait que le restaurant Le Parloir, mais le patron lui avait dit qu’il s’agirait de missions ponctuelles, rien de durable.

Il fallait tout reprendre à zéro.

Abattue, la jeune femme s’effondra sur son clavier. Étreinte par la solitude, l’envie de baisser les bras lui traversa l’esprit.

Lentement, luttant contre sa démotivation, elle se redressa. Son planning vide semblait la toiser avec mépris. Hors de question que je me laisse abattre comme ça, je dois me ressaisir ! Allez, on se remue, les lettres de motivation ne vont se faire toute seule ! se fustigea-t-elle.

Elle passa le reste de la journée à éplucher les petites annonces, les sites de recrutement et à refaire son CV. Lorsque le soir, une voix derrière la porte l’informa qu’il fallait venir manger, elle trouva la table dressée et une ambiance tendue autour d’un repas déjà prêt. Sa seule consolation fut de pouvoir manger sans gêne ou douleur abdominale, pour autant le plat lui parut plus fade qu’il ne l’était.

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