Chapitre 36

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« Autrefois le monde était gouverné par trois grandes espèces : les Hommes parcouraient la Terre, les Sirènes étaient les gardiennes des océans et les Dragons dominaient le monde depuis les cieux.

Les Dragons étaient réputés pour leur force, leur intelligence et leur goût pour toute forme de richesse. Malheureusement pour eux, il n’y avait que des mâles dans leur rang et malgré leur longévité, ils n’étaient pas immortels. Aussi, afin de pouvoir se reproduire et assurer la pérennité de leur espèce, il leur était possible de prendre forme humaine pour s’accoupler avec les humaines. Cependant, le baptême permettant de réveiller le dragon dans le cœur d’un enfant mâle se soldait souvent par un échec.

C’est pourquoi très souvent les dragons se tournaient vers les sirènes. À l’instar des dragons, leur peuple n’était composé que de femelles et elles avaient elles aussi la possibilité de prendre forme humaine. L’union de ces deux êtres permettait à coup sûr la naissance d’une sirène ou d’un dragon, selon le sexe de l’enfant. Seulement, cette race était sombrement connue pour sa perfidie, sa vanité et son égoïsme. Il n’était pas rare qu’elles séduisent des hommes avec leur chant et les emportent dans les abysses après avoir obtenu ce qu’elles voulaient. Leurs accouchements avaient souvent lieu dans les profondeurs, ne laissant aucune chance de survie à un enfant humain ou draconique. C’est pourquoi les dragons faisaient tout pour plaire à ces créatures, les couvrant d’éloges et de trésors, afin de s’assurer de récupérer l’enfant s’il s’avérait être un porteur du feu.

La curiosité des dragons les amena à partager de plus en plus de temps avec les Hommes dont l’ambition n’avait d’égale que leur imagination, qualité qui faisait défaut à ces êtres célestes. Altruistes, les dragons les aidèrent à réaliser leurs rêves et ensemble, ils repoussèrent toujours plus loin les limites du possible.

Les Hommes avaient un autre atout, tous les cent ans naissait un humain capable de transgresser les lois du monde physique et de soumettre les éléments. Souvent, ce dernier endossait le rôle de chaman, de mage ou de guérisseur pour son peuple.

Malheureusement, l’un d’entre eux tomba sous le charme d’une sirène. Or ces dernières ne voyaient pas d’un bon œil le rapprochement entre les dragons et les hommes, jalousant cette entente et les découvertes fantastiques qui en découlaient. D’autant plus que les Hommes avaient réussi à apprivoiser les océans en dépit de leurs efforts pour les y empêcher. Usant de ses charmes et de son chant, la perfide créature réussit à le convaincre que les dragons étaient dangereux, qu’ils étaient des ennemies de l’humanité. Le mage lança alors une terrible malédiction sur les dragons : il les condamna à ne plus pouvoir prendre leur forme céleste, les emprisonnant sous une forme humaine, la liberté ne pouvant être offerte que le chant d’une sirène. Ce sort terrible marqua la fin de ces êtres exceptionnels, son dernier représentant mourut probablement emporté dans les profondeurs.

Bien sûr, les dragons traquèrent les Sirènes, exigeant qu’elles mettent un terme aux souffrances qu’elles avaient engendré. Aucune ne coopéra et afin de se rendre plus difficile à trouver, une grande partie d’entre elles emprunta l’apparence humaine afin de se fondre dans l’humanité, l’autre disparut dans les abysses.

Depuis ce jour, aux yeux du monde, il n’existe que des Hommes. Et si les Dragons se reconnaissent entre eux, les Sirènes sont elles aussi capables de se reconnaître entre elles et de cerner les Dragons parmi les humains, s’assurant ainsi que leur vengeance cruelle ne connaisse pas de fin. »

Partagée entre fascination et déconcertation, Océane fixait toujours Alexandre tandis qu’il se désaltérait après avoir tant parlé.

— Du coup… commença-t-elle perplexe, les sirènes existent vraiment ?

Alexandre haussa vaguement les épaules.

— Honnêtement ? Aucune idée. Mais il semblerait que oui. Le problème avec les connaissances qui se transmettent uniquement à l’oral, c’est que le contenu peut se perdre ou s’altérer avec le temps ou selon le bon vouloir du conteur. La magie ? Je doute sincèrement que cela n’ait jamais existé, alors une malédiction… Pour ce qui est de la forme bestiale, voler, cracher du feu, etc, les anciens semblaient y croire dur comme fer.

— Et toi ?

— Moi… je trouverais ça cool ! avança-t-il avec légèreté. Mais j’ai beaucoup de mal à y croire, pourtant comme toi, je sens cette douleur, cette rage à l’intérieur que je n’explique pas…

Océane culpabilisa à cette évocation et eut la ferme conviction que cette absence de souffrance interne devait rester secrète.

Intriguée par la légende et ce qui l’entourait, Océane multiplia les questions auxquelles Alexandre accepta de répondre ou de spéculer avec bonne humeur. Si certains éléments paraissaient grotesques et irréalistes les faisant tous deux rire à gorge déployée, d’autres, plus probables, faisaient carrément froid dans le dos. Ce fut notamment le cas de rumeurs concernant des expériences réalisées par des dragons nazis sur des femmes, mais aussi sur des sirènes.

— Je ne sais pas si elles étaient réelles ou truquées, mais un ami m’a montré des photos de ces prétendues expériences, il n’a jamais été très clair sur leur provenance… Mais j’aimerais autant ne jamais les revoir. C’était juste ignoble.

Un frisson glacial traversa la colonne vertébrale d’Océane qui n’avait aucun mal à imaginer la cruauté de dragons officiellement autorisés à torturer. Elle eut presque envie de se regarder dans un miroir, s’assurer que ses lentilles étaient bien en place.

Voyant que son anecdote avait jeté un froid dans la conversation, Alexandre commanda d’autres boissons avec des douceurs sucrées avant de reprendre la parole de façon plus sérieuse et plus posée.

— Si tu veux mon avis, dans chaque légende se cache une vérité. Je pense que les Dragons et les Sirènes étaient faits pour se compléter. À tort ou à raison, les Dragons se sont éloignés d’elles et se sont rapprochés des Hommes. Mon grand-père raconte qu’il y a eu des histoires de dragons libérés par le chant de sirènes, ces derniers n’ont jamais voulu trahir l’identité de celles qui les avaient délivrés. Est-ce qu’ils pouvaient se transformer ? Rien ne le rapporte, mais ce qui est sûr c’est qu’ils ne souffraient plus. Et je pense qu’elle est là la liberté : dans une entente avec les sirènes. On a du faire quelque chose de mal par le passé et elles seules peuvent nous apaiser.

Cette analyse, presque poétique plut beaucoup à Océane tout en la terrifiant : faisait-elle partie de ces dragons libérés ? Son cœur se mit à battre plus fort en réalisant ce que cela pouvait signifier. Une chose était sûre : si ses soupçons étaient fondés, personne ne devait jamais savoir parmi les dragons, Jorique ou non.

— Le problème, reprit Alexandre avec légèreté, c’est qu’il faut mettre la main dessus et passer outre leur sale caractère !

— Parce que tu trouves que les Dragons ont bon caractère, toi ? essaya de taquiner Océane.

— Ah… Tu marques un point ! Certains membres de ma famille en sont le mauvais exemple… Heureusement, il y en a qui, comme moi, relèvent un peu la barre ! Qu’en penses-tu ?

L’intéressée rit doucement à cette affirmation orgueilleuse, mais fut forcée de se ranger à son avis. Si elle ne manquait pas de souvenir concernant le mauvais caractère de Maxime ou de son père, elle n’en avait aucun d’Alexandre. Elle l’avait toujours connu avenant et agréable avec tout le monde.

— J’en pense qu’il y a encore un peu de travail à faire pour ce qui est de l’humilité, se moqua-t-elle gentiment avec un sourire.

La conversation se poursuivit jusqu’en fin d’après-midi, s’éloignant des histoires de Dragons, parcourant les passions de l’un et l’autre, jusqu’à ce qu’une sonnerie retentisse.

— Oh, désolée ! s’excusa Océane. J’avais mis une alarme sur mon téléphone pour ne pas oublier d’aller bosser…

— Pas de souci, je comprends ! Je vais t’accompagner, ça permettra de discuter encore un peu, dit-il en lui faisant un clin d’œil.

Refusant de prêter attention aux protestations d’Océane, Alexandre régla la note. Ils prirent ensuite le chemin vers le restaurant où elle travaillait.

Lorsqu’ils arrivèrent devant le fast-food, la tension était palpable entre eux. Océane sentait venir LA question et malgré toutes les barrières qu’elle s’était imposées, malgré les avertissements d’Anthony, elle n’était pas sûre de ce que ses lèvres allaient dire ou faire pour répondre…

— J’ai passé un agréable moment avec toi, commença-t-il.

Ça y est… Oh mon dieu, mais qu’est ce que je vais répondre ? Daphné n’a pas fini de m’embêter si je m’abandonne à accepter ! s’enquit-elle silencieusement.

— Moi aussi, merci d’avoir pris le temps de m’écouter et de me raconter tout ça ! J’en avais besoin.

Il lui sourit, de ce même sourire à la fois charmeur et hésitant qu’il avait eu en lui donnant son numéro de téléphone.

— Du coup, ça te dirait qu’on se revoit ? Je connais un autre endroit bien sympa qui pourrait te plaire !

La proposition déconcerta Océane. Elle n’était même pas sûre de ce qu’elle ressentait. Était-elle soulagée ou déçue ? Aucune idée… Elle accepta néanmoins la proposition ; elle avait réellement apprécié sa compagnie et l’avoir de son côté pouvait toujours s’avérer utile. Et cela lui donnera aussi l’occasion de poser cette fichue question… grommela une petite voix qu’Océane s’évertua à ignorer.

— Je peux te demander une faveur avant de te laisser ? demanda-t-il.

Elle le dévisagea, curieuse.

— Rien d’extravagant, je te rassure ! ajouta-t-il devant son air méfiant. Juste une photo de nous deux, pour immortaliser ce moment !

Se doutant de l’usage qu’il ferait de cette photo, elle accepta malgré tout. Ravi que cette faveur lui soit accordée, il sortit aussitôt son téléphone et prit un selfie d’eux.

— Maxime va être vert… murmura-t-il avec un sourire sadique.

Elle avait vu juste.

— Je croyais qu’il s’agissait d’immortaliser le moment ? rappela Océane d’une voix faussement outrée.

— C’est ce qu’on appelle lier l’utile à l’agréable ! se justifia-t-il. Mais si ça t’embête, je ne lui envoie pas, juste à toi.

Il la dévisagea avec sérieux, attendant sa réponse.

Elle hésita. Il avait toujours été méprisant, mais sans lui elle n’aurait peut-être pas eu les résultats de ses analyses.

— Non, je ne préfère pas…

Sans lui demander plus de justification, il acquiesça et rangea son smartphone.

Tandis qu’Océane se changeait dans les vestiaires, les échanges de l’après-midi tournaient en boucle dans sa tête jusqu’à la ramener à leur séparation quelques minutes plus tôt. Jusque-là, elle était persuadée de lui plaire, s’était-elle trompée ? Mais pire que tout, elle se détestait de se sentir aussi frustrée, après tout, elle n’espérait rien de lui, non ?

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