Chapitre 1
« Jadis, il y a très longtemps, la Terre était gouvernée par les Hommes, les Cieux appartenaient aux Dragons et les Mers étaient sous la jalouse protection des Sirènes. Un équilibre précaire existait entre ces entités, équilibre qui, avec le temps, devint de plus en plus troublé par l’ambition des Hommes.
Les dragons étaient réputés pour leur force, leur agressivité, leur goût prononcé pour l’accumulation de richesses, leur charisme et leur esprit de compétition. Cette race ne connaissait que des mâles. Pour réveiller la bête chez un nouveau-né, un baptême du feu était nécessaire. Si l'on osait, il était possible de traiter avec ces créatures, mais gare aux cadeaux ! Car pour eux rien n’est gratuit, un dragon demandera toujours une contrepartie et si ce dernier n’en est pas satisfait, le coût sera la vie !
Les sirènes étaient d’un tempérament plus doux, elles vivaient en communauté solidaire. Pourtant, hommes et dragons savaient se méfier des sirènes, car ces dernières étaient aussi de féroces protectrices de leur territoire. Cette race ne connaissait que des femelles. Ces merveilleuses créatures partageaient un don envié des autres : la mémoire ancestrale de l’eau : dès sa naissance une sirène connaissait sa nature, mais aussi l’Histoire et les secrets des siennes. Nulle n’était plus rancunière qu’une sirène !
Enfin, il y avait les hommes : ambitieux, intelligents, cupides et manipulateurs.
Dragons et sirènes, bien que foncièrement différents, entretenaient des relations cordiales. Les uns comme les autres pouvaient prendre forme humaine, cela afin de s’accoupler et assurer la pérennité de leur espèce. Or si l’union de l’un de ces êtres mystiques avec un mortel ne permettait pas d’assurer la naissance d’un dragon ou d’une sirène, l’union entre eux le permettait à coup sûr. La paix entre ces créatures étaient fragiles.
Lentement, mais sûrement, et cela malgré la férocité de leurs protectrices, les Hommes apprivoisèrent les mers. Les dragons, désireux de conserver un avantage sur les autres espèces, se mêlèrent de plus en plus aux hommes et, à leur tête, conquirent les océans.
Ivres de leur puissance et de leur supériorité sur les Hommes, ils ne s'arrêtèrent pas là et prirent la tête de gouvernements, d’armées, ils réduisirent les hommes à l’esclavage et abusèrent de leurs connaissances des océans, se mettant les sirènes à dos. L’équilibre fut alors brisé.
Les Hommes possédaient néanmoins un atout : chaque génération, ils voyaient naître un enfant capable de prodige. L’un d’entre eux naquit sous l’empire et l’oppression des dragons. Il découvrit bien vite leur véritable nature et décida de les punir pour leur ambition et leur cruauté. Sa sentence fut la suivante : puisque ces créatures aimaient tant vivre sous forme humaine, ils seraient condamnés à la conserver pour toujours, incapable de reprendre leur forme mystique, souffrant les rugissements et griffures de la bête enfermée au fond d’eux-même. Un fléau de cette ampleur réclamait un sacrifice : cela fut la fin des êtres d’exception et la mort du mage, qui fut le dernier de l’humanité, son nom même fut oublié de l’Histoire. Avant de mourir, cet homme sage fit des sirènes les dépositaires seules d'un chant capable de lever la malédiction et de libérer les dragons de leur cage humaine.
Fous de rage, les dragons traquèrent les sirènes, les torturèrent afin d’être délivrés, mais aucune ne céda.
Devenant trop fragiles et trop exposées, une partie des sirènes abandonna sa forme mystique pour se fondre parmi les Hommes, l’autre partie fit le choix de disparaître à jamais dans les profondeurs des océans et d’y mourir.
Depuis ce jour, aux yeux des simples mortels, seule la race des Hommes existe. Pourtant les dragons sont bien là, ils se reconnaissent entre eux, un halo incandescent les entoure. Les sirènes aussi ont survécu et ont cet avantage sur les Hommes : elles sont capables de se reconnaître entre elles, mais elles parviennent également à identifier les dragons. Elles restent, à ce jour, dépositaires de leur histoire et de la clef de la liberté des dragons. »
— Dis, Oma ?
— Oui, ma douce ?
— Pourquoi les sirènes ne libèrent pas les dragons ?
— Parce que les dragons ont contribué à la destruction des océans, ils l’ont fait avec fierté et cruauté. Et puis, ils n’ont jamais demandé à être libérés, ils l’ont exigé ! Sans oublier qu'ils ont torturé de pauvres sirènes…
— Et une sirène n’oublie jamais !
— Jamais ! renchérit affectueusement la grand-mère. Allez, il est temps de dormir à présent…
À ces mots, Océane entendit sa petite sœur ronchonner, elle jeta un regard à son réveil – 21h09 – avant de soupirer bruyamment, elle devait se lever tôt le lendemain pour son cours de danse. Elle se retourna et la houspilla doucement.
— Allez Daph’, pas de caprice ! Il est temps de dormir, demain je me lève tôt !
Sa cadette lui jeta un regard boudeur avant de s’allonger et de se mettre sous la couette. Anika, leur grand-mère, éteignit la lumière et quitta la pièce en prenant soin de bien fermer la porte derrière elle.
Océane resta un moment à fixer la porte dans l’obscurité. Deux mois plus tôt, leur mère était décédée en donnant naissance à leur petite sœur, contraignant les deux aînées à partager la même chambre. Leur père, dévasté par le deuil, avait demandé à leur grand-mère maternelle de l’aider. Depuis, Anika faisait tout son possible pour remplir le vide laissé par sa fille, partageant la même chambre que Diane, la petite dernière. Océane, du haut de ses douze ans, devait assurer le rôle de l’aînée, le rôle de guide pour ses petites sœurs, elle devait être forte… Pourtant, chaque soir, elle attendait l’obscurité pour laisser des larmes silencieuses fuir son cœur trop lourd.
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