Chapitre 6

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La grand-mère d’Océane insista pour que celle-ci profite un peu de ses vacances avant de commencer à travailler. Elle s’y résigna. Après tout, rien n’était encore signé, elle avait seulement des promesses de ses employeurs : un poste l’attendait dès qu’elle serait disponible. Elle profita de ce repos pour rendre visite à Sonia et réviser avec elle… Étant dans la confidence de ses plans, lesdites révisions se résumaient à étaler des cours pour sauver les apparences, avant de passer l’après-midi à parler de tout et de rien.

— Du coup, tu vas travailler où ? demanda Sonia tout en regardant une fiche de math comme si celle-ci l’avait insultée.

Allongée en travers du grand lit, Océane répondit presque machinalement en fixant le plafond.

— Je pense pouvoir avoir un travail à Target Market rue Saint-Jean et si je négocie bien mes horaires, je devrais pouvoir cumuler avec le service du soir soit chez Le Parloir, soit chez Berniot.

Elle avait beaucoup réfléchi à la question et elle s’était décidée à cumuler deux emplois pour avoir plus d’entrées d’argent. Elle espérait ainsi rapidement passer le permis et mettre de côté au cas où sa grand-mère… Elle secoua vaguement la tête ; non, elle ne voulait pas penser à ça. Elle n’était pas prête.

— Hum hum ! Et tu te reposes quand ? Pardon, tu vis quand ?

Océane tourna son regard azur vers son amie.

— Bah, j’aurais au moins un jour de repos ! Je ne vais pas non plus faire cent heures par semaine !

Cette réponse ne sembla pas convaincre son interlocutrice qui fit la moue.

— C’est nul… Entre toi qui aurais dû faire des études et qui ne peux pas et moi qui veux juste un boulot simple, mais qui subis la pression pour en faire…

Elle soupira, incapable d'aller plus loin dans sa complainte. C’était de toute façon inutile. Elle reprit la parole, soudain très sérieuse.

— Maiheum… T’as réfléchi à ce que disait mon père ?

Face à l’expression confuse d’Océane, elle jeta négligemment la fiche de math et croisa les bras.

— Je suis sûre que Anika serait d’accord pour que tu fasses une formation, même une courte ! ajouta-t-elle face au visage contrarié qui se dessinait face à elle. Tu pourrais même avoir une bourse ! Tu as quand même eu ton bac avec les félicitations du jury, c’est pas rien !

Acculée, Océane se redressa, le regard grave.

— Et si, dans une semaine, un mois ou même un an, il se passe quelque chose de grave ? Si la santé de Oma se dégrade, si je la perds elle aussi, je fais comment ? Qu'est-ce qui se passera pour mes sœurs ?

Les mots qu’elle se refusait même à penser étaient prononcés. Sa gorge se serra, ses yeux se mirent à brûler. Sonia la dévisagea en se mordant les lèvres, elle s’apprêtait à lui répondre, mais Océane prit une inspiration saccadée et poursuivit d’une voix tremblante.

— Je refuse que mes sœurs et moi soyons séparées ! C’est moi l’aînée ! C’est moi qui dois prendre soin d’elles ! Y compris Oma !

Cette fois, les larmes coulaient pour de bon. Sonia balaya les cours se trouvant face à elle pour prendre son amie dans ses bras, se retenant péniblement de pleurer elle aussi. Sa famille avait assisté à l’enterrement de sa mère, puis de son père. Elle considérait Oma comme sa propre grand-mère et elle voyait bien que la vieille femme n’avait plus la même énergie qu’avant, elle avait même remarqué des tremblements, mais n’avait pas osé en parler à son amie, son fardeau était déjà lourd.

Océane renifla avant de prendre une longue et profonde inspiration pour reprendre son souffle, tout en se dégageant doucement de l’étreinte de Sonia. Ces mots pesaient sur elle depuis déjà un long moment ; les exprimer faisait mal, cela alimentait la crainte de les voir se réaliser. Mais pouvoir se confier auprès d'une oreille attentive était également libérateur.

Alors que les jeunes femmes effaçaient les derniers sillons humides de leurs joues, Sonia ouvrit un paquet de biscuits et reprit la parole d'un ton léger, cherchant sans doute à changer de sujet de conversation.

— Et sinon, tu as tout ce qu’il te faut pour la semaine de camping ? demanda-t-elle.

Les épaules d’Océane s’affaissèrent. Elle avait oublié ça. Encore quelque chose qui allait compliquer son entrée dans le milieu du travail.

— C’est quand déjà ? demanda-t-elle d’une voix morne.

— Départ mercredi prochain, le lendemain de mes derniers rattrapages, et retour le mercredi suivant !

Ne voyant aucune forme d'enthousiasme illuminer le visage de son amie, le sourire de Sonia s’étiola.

— J’ai l’impression que ça ne te fait pas plaisir de venir ? Pourtant, on a passé des supers moments les deux fois où tu étais venue, non ?

L’intéressée soupira, il était temps de jouer cartes sur table après tant d’années à contourner les problèmes.

— Ok ! Je t’adore, tu m’adores, on s’adore, nous nous adorons !

Sonia éclata de rire face à cette entrée en matière très bescherelleresque.

— Mais ? questionna-t-elle, présageant quelque chose de moins drôle.

Océane se mordit la lèvre supérieure, gênée.

— Mais je ne me sens pas toujours la bienvenue…

La stupeur se lut sur le visage de Sonia.

— Ta mère a toujours été très gentille ! Mais pour ce qui est de ton père et de ton frère, bah… Ce n’est pas aussi chaleureux dans leurs regards quand je suis là. Et ça me met parfois très mal à l’aise…

Sonia se laissa tomber contre le dossier de son lit, elle semblait chercher ses mots.

— Bon. T’es au courant que Maxime est un con ?

Les yeux d’Océane s’écarquillèrent face à cette allégation. Elle ne savait pas si elle devait le prendre au sérieux ou pas.

— T’as l’air paumée, donc je vais t’aider : oui, Maxime, mon cher frère, peut être très sympa, mais la plupart du temps, surtout avec les filles, et surtout avec nous : c’est un sale con ! Donc on le sort de l’équation ! Tiens, t’as vu, on arrive même à faire des math en papotant ! C’est dingue, hein ?

Océane ne put s’empêcher de rire.

— Admettons !

— Pour mon père… elle marqua une pause, le regard lointain, cherchant ses mots. C’est quelqu’un de renfermé, il ne montre pas facilement ses sentiments, son affection, même avec moi ! Je suis étonnée que tu penses qu’il ne t’aime pas. Si c’était le cas, crois-moi, il ne te laisserait pas venir ici aussi souvent ! Et il ne t’accorderait pas la moindre attention ! Quand… Quand tu as perdu tes parents, ma mère, autant que mon père, demandait souvent de tes nouvelles lorsque je revenais des cours.

Elle prit une inspiration avant de continuer, fuyant le regard de son amie.

— Quand je leur ai dit que tu avais eu le bac avec mention et les félicitations, il était impressionné… crois-moi, c’est rare ! Il a dit que c’était dommage qu’un tel potentiel soit gâché derrière une caisse…

Les derniers mots étaient murmurés, les émotions de la conversation précédente étant encore palpables.

— Je pense qu’à sa façon, il t’apprécie, du moins tu ne le déranges pas ! Et comme tu es mon amie, il s’intéresse un peu à toi ! Voilà, c’est ça !

Sonia semblait très satisfaite de sa plaidoirie. De son côté, Océane était plus perplexe : méprisée par l’un et tolérée par l’autre, il n’y avait pas de quoi se réjouir. Elle ne savait pas vraiment si elle se sentait rassurée ou décontenancée.

— Du coup, t’as tout ce qu’il te faut ?

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