Chapitre 11

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Trois jours s’écoulèrent paisiblement, Océane eut le loisir de dessiner de tout son saoul : arbre, fleurs, oiseaux, elle s’aventura même à faire le portrait de sa meilleure amie. Le quatrième jour, elle réussit à la convaincre à passer du temps dans les reliefs plutôt que dans l’eau. Lorsqu’enfin, elles atteignirent le sommet, elles eurent la satisfaction de contempler le lac dans sa presque totalité et les formations rocheuses qui l’entouraient. Elles s’assirent pour profiter de la vue et de la brise qui venait rafraîchir leur peau humide de sueur.

— Pfff… souffla Sonia.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Rien ! La vue est magnifique et je passe un super moment avec toi !

— Mais ?

— Mais rien, je regrette juste de ne pas pouvoir immortaliser ce moment avec mon téléphone…

— Ah ! Tu sais qu’il existe une machine appelée appareil photo, dont la seule fonctionnalité est de prendre… devine quoi ? Des photos ! Et ce n’est pas interdit par le CCJ !

Sonia afficha un regard morne et agacé.

— Merci, je sais ce qu’est un appareil photo ! râla la jeune fille. J’ai juste pas pensé à en prendre un…

Océane rit doucement.

— Je te taquine… Mais j’admets aussi que j’aurais bien aimé prendre des photos…

— Au fait, c’est quoi le CCJ ?

Océane pouffa de rire.

— Le Code Campeur Jorique !

— Oh mon dieu… ne redis plus jamais ça ! Mon père et mes oncles seraient capables d’aimer et de mettre un copyright dessus !

Les deux jeunes filles éclatèrent de rire.

L’ascension leur avait pris un moment, aussi prirent-elles le temps d’admirer le panorama et de reprendre leur souffle. Sonia s’octroya même une courte sieste pendant que son amie croquait le paysage, ces dessins étaient meilleurs chaque jour à force de brouillon et d’acharnement. Lorsqu’elle fut satisfaite du résultat, elle se tourna vers son amie pour la réveiller, avant de se raviser. À défaut d’une photo, tu auras au moins quelques portraits ! songea-t-elle. En quelques coups de crayon, elle parvint à capturer les traits de la jolie brune. Elle regretta de ne pas avoir de miroir, elle aurait alors expérimenté le dessin selfie ! Elle rangea rapidement son matériel et réveilla la belle endormie.

— On fait la course jusqu’au hangar ? proposa candidement Océane.

— Mais tout à fait ! Part devant, je te rattrape ! ricana Sonia.

La descente fut aussi longue si ce n’est plus que la montée, le chemin emprunté étant improvisé à travers la flore et la roche, elles devaient être vigilantes pour éviter de tomber ou de se tordre une cheville. Océane se révéla plus agile que son amie et atteignit le hangar en bois avant elle. Le premier bateau venait de couper le moteur, le second avec les trois frères était encore au milieu du lac, on apercevait les hommes en train de ranger le matériel. Océane s’apprêtait à se manifester en leur demandant ce qu’ils avaient attrapé, quand elle entendit son nom, la coupant dans son élan. Elle tendit l’oreille.

— …je dis juste qu’elle est mignonne, je vois pas le mal à me rapprocher d’elle !

La voix d’Alexandre. Ainsi, elle lui plaisait vraiment ? Malgré elle, elle sentit son cœur s’emballer légèrement.

— Et moi je te dis d’arrêter de lui tourner autour, ça va mal finir.

Cette fois, c’était Maxime. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire qu’il lui tourne autour ? Sonia arriva à son tour, elle lui fit signe de se taire. Interloquée, Sonia hocha la tête et se mit à ses côtés. Après tout, elles avaient fini par en discuter entre elles des rapprochements suspects d’Alexandre auprès d’Océane, de son intérêt pour ses dessins, de veiller à ce qu’elle soit confortablement installée près du feu…

— Quoi, pourquoi ? C’est pas comme si elle t’intéressait ?

La réponse tarda à venir. Un silence court, mais trop long pour être vide de sens. Sonia regardait son amie avec étonnement.

— C’est pas la question. Elle vient d’une famille de roturiers, son père c’était personne ! Et il est mort noyé dans l’alcool…

Les mots fusèrent tels des aiguilles ardentes dans le cœur d’Océane, chacune plus douloureuse que la précédente.

— …Ton père est peut-être plus permissif que le mien, mais il ne toléra pas ça dans la famille ! Sans parler de grand-père !

Une larme douloureuse s’échappa des yeux d’Océane. C’était donc ainsi qu’elle était perçue dans cette famille ? Elle était « ça », la vulgaire fille d’un alcoolique ? Elle se sentit terriblement souillée, rabaissée, humiliée…

— Whoo ! Détends-toi cousin ! J’ai jamais dit que je voulais l’épouser ! On n’a pas le droit de s’amuser ?

— Non. Pas avec elle.

Océane entendit à peine les dernières paroles de Maxime, elle fit demi-tour en direction du campement, effaçant d’un geste brusque la larme et son sillon. Bien sûr, elle savait qu’il ne l’aimait pas, mais l’entendre la rabaisser ainsi était humiliant. Pire, il avait dénigré son père ! Certes, il n’avait pas été un exemple à la fin de sa vie, mais il ne se réduisait pas à cela. Il avait été un bel homme, responsable, honnête, généreux et un père dévoué, marrant, tendre avec elle et ses sœurs. S’il n’y avait eu le décès de leur mère, il ne serait jamais tombé dans l’alcool…

Alors qu’elles étaient à mi-chemin du campement, Sonia l’attrapa par la main et la força à s’arrêter, à lui faire face.

— Par pitié, n’y pense plus, lui intima-t-elle d’une voix douce où perçait l’émotion. Mon frère est un sale con, ce n’en est qu’une preuve de plus ! Je n’ai jamais pensé de telle chose de toi ou de ta famille ! Quant à ton père… je l’aimais fort ! Pas comme toi, c’est sur, mais… il était la gentillesse incarnée, il achetait toujours de la glace à la pistache pour moi quand il savait que je venais manger ! Je me souviendrais toujours de ce jour quand on était petite, il avait promis de nous amener au parc, mais il pleuvait, alors il avait joué à la dînette avec nous et m’avait même laissé le coiffer et le maquiller ! J’aime mon père très fort, ne te méprends pas, mais une part de moi a toujours envié le lien que tu avais avec le tien.

Ce dernier souvenir fut la goutte de trop, éteignant la colère dans le cœur d’Océane, n’y laissant que tristesse pour son père parti trop tôt et tendresse pour son amie toujours là pour elle, capable de la comprendre si bien. Elle se jeta dans ses bras, laissant les larmes couler, elle sentit d’ailleurs que son amie lâchait prise, elle aussi.

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