Chapitre 16
Anxieuse de ce qui pouvait l’attendre, Océane ralentit et prit tout son temps pour manger. Les échanges derrière elle avaient pris fin, mais elle s’étonnait de ne pas voir les garçons se joindre à elles pour manger ou discuter comme ils le faisaient d’habitude. Qu’est-ce que Joaquin avait pu leur dire ?
Lorsque son assiette fut vidée et son estomac rempli, elle compta les minutes de répit jusqu’au moment où une main se posa sur son épaule.
— Je vois que tu as fini de manger ? Viens, je vais regarder ta jambe, ordonna doucement, mais fermement l’aîné des Jorique.
Océane lança un regard larmoyant à son amie, celle-ci l’interpréta bien sûr à sa façon.
— T’inquiète pas ! Le plus dur était hier ! Mon oncle va juste refaire le pansement !
— Tu peux venir… ? minauda la jeune fille en détresse.
Avant que son amie ne puisse répondre, Rafael intervint.
— Non, on va exposer la plaie, il vaut mieux limiter les risques de contamination.
Sonia lança un regard désolé à son amie tout en haussant les épaules de dépit.
— Désolée ma grande ! Mais ça va bien se passer, tu es entre de bonnes mains !
Résignée, Océane se leva et fit face à Rafael pour lui demander de l’accompagner, quand elle croisa son regard. Elle manqua de tomber sous le choc ; lui aussi avait des yeux reptiliens ! À son grand désarroi, ce fut le père de son amie qui la rattrapa.
— Tu peux marcher ? Tu veux que l’on te porte ?
Elle secoua vivement la tête, terrorisée.
— Viens. Il n’y en a pas pour longtemps.
Chacun des frères se plaça à ses côtés, la tenant par un bras, la conduisant vers une tente bien trop éloignée de la table, l’empêchant de prendre la fuite.
Elle voulut chercher de l’aide dans le regard de l’un des garçons devant lesquels ils passèrent, cela ne fit qu’accroître sa terreur. Tous ! Ils avaient tous des yeux inhumains ! Ils la dévisageaient avec curiosité et méfiance. Elle n’était pas morte la veille, mais cela pouvait encore s’arranger. Qu’allaient-ils lui faire ?
Les deux frères la firent entrer dans la plus grande tente, celle de Paulo et Maloue. Joaquin la fit s’allonger sur l’un des lits de camp avant de ressortir.
— Je reviens, je vais chercher ma valise.
Océane releva les yeux lentement et croisa ceux du père de son amie qui la dévisageait froidement, silencieusement. Elle les rabaissa aussitôt et serra les dents à s’en faire mal. Elle n’avait jamais rien fait de mal, pourquoi cela lui arrivait à elle ?
Le sang battait à ses temps quand Joaquin reparut.
— Je vais commencer par reprendre tes constantes, la prévint-il tout en passant l’oxymètre et le tensiomètre.
Elle resta de marbre.
— C’est bien mieux qu’hier, c’est bon signe ! Tu ne te sens pas fiévreuse ?
Elle avait gardé les yeux fixés sur un coin de la tente, fuyant sciemment leur regard.
— Non.
Ce fut tout ce qu’elle fut capable de murmurer dans un souffle.
— Bien, je vais maintenant regarder ta jambe, d’accord ?
Elle hocha brièvement la tête, avait-elle le choix ?
Après s’être désinfecté les mains et avant-bras, passer les gants, il passa un champ stérile sous son mollet.
— On va essayer de limiter les risques. J’enlève le bandage.
Elle acquiesça une fois de plus.
Océane sentit la légère pression de la compresse disparaître à mesure qu’il l’enlevait. Puis vint le moment des tulles gras argenté. Le bruit de chuintement fut aussi désagréable que la sensation. Le regard obstinément braqué loin de ceux des deux hommes, elle sentit qu’on nettoyait et tapotait la plaie. Océane sentit sa jambe chauffer et le sang pulser dans tout son mollet, malgré tous ses efforts, un gémissement s’échappa.
— Attends avant de la couvrir, murmura Rafael.
Elle entendit ensuite le son distinctif d’une photo prise avec un téléphone, dans un réflexe elle tourna sa tête et croisa le regard du père de son amie. Un odieux frisson la parcourut, elle ne chercha pas à étudier les émotions dans les prunelles des deux hommes et détourna à nouveau le regard. Rafael reprit la parole.
— Océane, est-ce que tu vois des choses différemment ?
Une larme lui échappa. Ils savent ! Ils savent ! Elle paniquait, en même temps il lui fallait admettre que son attitude la trahissait.
— Non !
— Océane, respire calmement, ton cœur s’emballe.
Elle réalisa qu’effectivement l’oxymètre était toujours à son index, trahissant lui aussi ses émotions. Une autre larme coula sur sa joue.
— Non, rien n’a changé ! gémit-elle.
— Regarde-nous dans les yeux, exigea Joaquin.
Elle renifla et sécha ses larmes d’un geste brusque avant de leur faire face. Ils la dévisageaient avec un mélange de méfiance et de curiosité. Elle passa de l’un à l’autre, ne pouvant s’empêcher de trouver leurs yeux terrifiants.
— Tu les vois n’est-ce pas ? affirma doucement Joaquin.
Cette fois, un flot de larmes lui échappa, elle voulut s’éloigner, mais sa main rencontra le vide derrière elle et elle manqua de tomber. Joaquin la rattrapa.
— Je vois rien ! gémit la jeune fille entre deux sanglots. Pitié… Je dirais rien à personne ! Ne me faites pas de mal !
Le choc se lut aussitôt dans le regard des deux hommes. Rafael se passa la main sur le front, puis s’accroupit à côté de son frère pour se mettre à sa hauteur.
— On ne va rien te faire, Océane, la rassura-t-il à vois basse. Je te le promets. Maintenant, réponds-moi s’il te plaît : comment sont mes yeux ?
Joaquin se détourna pour prendre un mouchoir et lui tendre. Elle s’en empara et se moucha bruyamment. Les deux hommes la fixaient patiemment, intensément. La respiration saccadée, elle prit une profonde inspiration avant de prendre la parole.
— Avec une pupille rectiligne entourée de rouge, elle coupe l’iris en deux.
La réponse ne sembla pas les surprendre. Rafael sortit alors un petit miroir pliant de sa poche et lui tendit.
— Regarde-toi.
Inquiète, elle saisit le miroir d’une main tremblante, l’ouvrit et s’observa.
Annotations
Versions