Chapitre 17

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Si Narcisse tomba amoureux de son reflet, il en fut autrement pour Océane découvrant le sien à travers un petit miroir.

— Non… Non !

La panique revint, décuplée. Comment ? Elle se connaissait ! Depuis quand ses yeux avaient-ils changé pour devenir ceux qu’elle voyait ? Ils avaient toujours ce magnifique bleu topaze, mais ils étaient à présent souillés d'un halo jaune orangé entourant sa pupille. Une pupille monstrueuse. Verticale, étirée jusqu’à séparer son iris en deux.

Le miroir lui échappa des mains. Elle se tourna vers les deux hommes, en quête de réponses qui ne vinrent pas.

— Il faut que tu voies autre chose… déclara calmement Rafael.

— T’es sûr que c’est une bonne idée ? s’inquiéta Joaquin en se tournant vers son frère.

— Il vaut mieux qu’elle le voie maintenant, que seule plus tard.

Joaquin acquiesça et souleva le pansement, révélant la plaie à sa propriétaire.

La vue brouillée par les larmes, Océane dut se frotter les yeux avant de correctement voir sa blessure. Elle s’étonna de son aspect. La veille, elle lui semblait bien plus étendue… et plus affreuse. Elle cicatrisait bien ? C’est ça qu’ils voulaient qu’elle vo… Son cœur rata un battement.

Elle se pencha un peu plus, incapable d’y croire. Là, entre les boursouflures et la chair à vif… des écailles. De vraies écailles, petites et sombres. Paniquée, elle les toucha, elles étaient rugueuses. Joaquin paniqua en voyant l’état de ses mains et de ses ongles posés sur une plaie ouverte, mais avant qu'il ne puisse réagir, elle les gratta, cherchant à les arracher.

C’est pas possible ! C’est une mauvaise blague, je ne me transforme pas en putain de lézard ! pensa-t-elle affolée.

— Arrête ça, t’es en train de te blesser ! lui intima Joaquin en lui attrapant les poignets, paniqué.

Sa plaie se remit à saigner. Une écaille s’était arrachée, laissant un petit trou sanglant derrière elle. La douleur était plus que réelle pour la jeune femme qui fixait sa main tremblante dans laquelle se trouvaient son écaille et un peu de chair.

Tandis que Joaquin désinfectait de nouveau la plaie et refaisait le pansement, Rafael, muni d’une compresse, s’empara de l’écaille qu’il mit de côté avant d’essuyer le sang des mains d’Océane.

—Tu ne comprends rien à ce qui t’arrive, n’est-ce pas ? constata-t-il doucement.

Elle se tourna brusquement vers lui et fit non de la tête, elle le regarda intensément, faisant fi de ses yeux. Avait-il des réponses ?

Rafael soupira, la lassitude lisible sur ses traits. Il n’avait visiblement pas envie d’être là à gérer ce problème.

— Hier soir, c’était la première fois que tu touchais une flamme ? demanda-t-il.

Océane parcourut ses souvenirs à toute vitesse. Elle ne s’était jamais amusée avec un briquet ou des allumettes. Quant à se brûler, oui, cela était déjà arrivé, mais jamais avec du feu. L’eau des pâtes en les essorant, un fer à repasser mal posé, la plaque du four en sortant un gâteau… Elle avait déjà eu toutes sortes de brûlures, mais jamais avec une flamme. Elle hocha la tête, les yeux rivés dans les siens.

Bon sang, ils sont vraiment horribles… dire que j’ai les mêmes…

— Je n’ai pas toutes les réponses te concernant, mais il semblerait que tu fasses partie… J’en reviens pas… il semblerait que tu fasses partie de notre race. C’est le feu qui a révélé ta nature.

Ce n’était pas ça qu’elle appelait une réponse ! Joaquin finit d’enrouler la bande autour de son mollet. Il soupira avant de compléter les propos de son frère.

— Il faut que tu saches que cela se transmet normalement de père en fils.

Elle hocha la tête. C’était donc un genre de maladie génétique. Joaquin la regarda intensément et reprit.

— Cela se transmet exclusivement de père… en fils

Quoi ?… Oh ! Ses yeux s’écarquillèrent.

— Comment je … ?

— On ne sait pas, répondit Rafael. Autre point : tu l’as vu, Paulo et nos fils sont comme nous, mais ni nos épouses, ni ma fille ne le sont et elles ne savent rien. Elles ne voient pas nos yeux comme nous les voyons.

Les derniers mots étaient prononcés avec dureté, la demande sous-jacente et la menace étaient claires. Joaquin donna un léger coup de coude à son cadet.

— Inutile de l’effrayer plus qu’elle ne l’est déjà, Raf…

— Au contraire, répliqua Rafael.

Il se tourna vers elle.

— Il faut que tu comprennes que notre nature est un secret et qu’elle doit le rester !

Océane hocha frénétiquement la tête, qui la croirait de toute façon ?

Joaquin semblait plus perplexe, il expira bruyamment.

— Moi, je suis surtout inquiet des intérêts qu’elle risque de susciter, confia-t-il tandis qu’il fermait sa valise de secours. Déjà que les gars se battaient pour elle ce matin…

— Je suis en train de réfléchir à une solution… Pour les garçons, il va falloir les calmer ! répondit le père de Sonia. Océane, c’est important : promets-nous de ne parler de tout cela à personne en dehors des hommes de cette famille ?

L’intéressée s’apprêtait à répondre quand une voix l’interrompit de l’autre côté de la toile de tente.

— ’pa ! Maman et les autres commencent à s’inquiéter du temps que ça prend… Essayez d’abréger.

— Va rassurer ta mère, dis-lui… commença Rafael, sans savoir quoi rajouter.

Océane décida de reprendre les choses un peu en main, elle n’était encore sûre de rien ; croyait-elle leurs propos ? L’écaille dans sa main avait été bien réelle, ainsi que la douleur quand elle l’avait arrachée. Le temps de comprendre dans quoi elle était tombée, elle devait au moins essayer de gagner leur confiance.

— Dis-leur que j’ai paniqué en voyant ma blessure et que ça a pris du temps de me rassurer.

Sa voix était plus chétive et tremblante qu’elle ne l’aurait voulu. L’ombre de Maxime ne bougea pas de l’autre côté de la toile. Il finit par répondre un bref « OK » avant de partir. Rafael acquiesça lentement, approuvant son initiative, mais son regard restait intense sur elle.

— Oui, je promets de ne rien dire.

— Bien.

Le ton était sans appel. Elle n’osait pas imaginer les conséquences si elle s’avisait d’enfreindre cette promesse. Joaquin se racla la gorge.

— Dernière chose : ta plaie cicatrise très bien, mieux que si tu étais… heu… normale ?

Il eut un sourire maladroit.

— Mais je t’en prie, ne te gratte plus ! Et si elle n’est pas cicatrisée avant le départ, tâche de faire les soins à l’abri des regards. Ce qu’il y a sous ce pansement, il n’est pas impossible que ce soit visible de tous…

Cette dernière information intrigua la jeune fille : ils ne savaient pas ?

— Comment ça, vous… vous n’en avez pas des… trucs comme ça ?

Elle se sentit bête à contourner les mots, mais les éviter c’était aussi éviter de les rendre trop réels et elle avait cruellement besoin de temps pour digérer tout ce qu’elle apprenait.

Ils nièrent tous les deux.

— C’est pour ça que vous me regardez tous méchamment depuis hier… ?

Cette question lui parut ridicule une fois posée, mais elle avait besoin de savoir.

— Méchamment, ce n’est pas le terme, répondit Rafael. Ton cas est unique à ma connaissance, c’est donc intrigant.

Je suis unique ?!

Joaquin reprit la parole en se redressant.

— Comme je te le disais, ta plaie cicatrise très vite et très bien. Malgré tes grattages un peu plus tôt, il ne devrait pas y avoir d’infection. Maintenant, c’est toi qui décides : est-ce que tu veux rentrer chez toi et à ce moment-là, Raf te raccompagnera et assurera les soins. Ou est-ce que tu veux rester jusqu’à la fin ici ? Quoi que tu décides, nous partirons tout de même au moins un jour plus tôt pour te faire passer quelques examens à l’hôpital, histoire de vérifier que tout va bien…

Rafael acquiesça à la dernière proposition. Des examens ? Pourquoi ? s’enquit-elle, mais elle se garda de poser ces questions. Elle connaissait déjà la réponse. Une façon de présenter les choses était de parler de cas unique. L’autre, plus crue et bien moins flatteuse, était de dire qu’elle était une anomalie. Mais pouvait-il y avoir autre chose ? Cela pouvait-il être pire ?

— Alors ? insista Rafael dont la patience n’était pas une qualité abondante.

Océane était prête à courir pour rentrer chez elle, retrouver ses sœurs se chamailler et aider sa grand-mère à faire à manger, mais… Elle refusait d’être une source de contraintes encore plus importante et empiéter sur les vacances de cette famille qu’elle parasitait. Tiens, les lézards ont-ils des parasites ? songea-t-elle soudainement.

— Non, je… Si c’est sans danger, je reste ici…

Elle n’était pas du tout convaincue d’être en sécurité, mais elle n’avait pas vraiment le choix. Ses interlocuteurs ne cherchèrent pas à insister, ils semblaient tous les deux tendus et las de cette longue conversation.

Il lui restait néanmoins une dernière question à poser.

— Au fait… Je… Je suis quoi ?

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