Chapitre 20

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— Comment je fais pour la réveiller ? demanda Océane d’une voix déterminée.

Maxime parut satisfait de son intérêt, pourtant il restait perplexe.

— Ça, j’admets ne pas savoir, c’est normalement instantané avec la brûlure.

— Peut-être que je n’en ai pas, je suis peut-être qu’à moitié comme vous ?

Le jeune homme la dévisagea, il prit un moment de réflexion.

— Non, je ne pense pas. Ceux que nous appelons les mal-formés, quand le gène ne se réveille pas ou partiellement, ils n’ont pas les yeux draconiens. Les tiens…

Il eut un sourire un peu rêveur, il détourna le regard, comme gêné.

— Les tiens sont bien marqués, ils sont magnifiques…

Malgré elle, Océane sentit ses joues s’empourprer. Elle se concentra sur les paroles entendues la veille. « famille de roturiers », « son père c’était personne », « mort noyé dans l’alcool ». Son cœur ralentit et s’alourdit. C’était mieux ainsi.

— On ressent cette oppression surtout au niveau de la poitrine, vers le cœur, expliqua Maxime qui était redevenu sérieux.

Océane tâcha de faire abstraction des émotions qui la traversaient.

— On va essayer quelque chose. Ferme les yeux, conseilla-t-il doucement.

Elle ne lui faisait pas confiance, pas plus qu’à Rafael ou Joaquin, mais s’il disait vrai, elle risquait de mettre sa famille en danger, elle n’eut donc d’autre choix que de s’exécuter.

— Fais abstraction de l’environnement, du bruit des cigales, de l’odeur de la terre. Concentre-toi sur ton corps, ton souffle, la chaleur qui émane de toi...

Océane obtempéra. Elle se sentait calme, son rythme cardiaque était lent et régulier.

— Est-ce que tu ressens quelque chose de différent ? demanda-t-il après un moment.

Elle fit non de la tête sans ouvrir les yeux, concentrée sur sa respiration.

— Bon… On va alors miser sur ce qui fait tristement notre réputation : la colère. Je veux que tu trouves un ou plusieurs souvenirs qui éveillent ce sentiment en toi et que tu t’y abandonnes sans retenue.

Easy… songea Océane qui n’eut aucun mal à se remémorer à nouveau la conversation de la veille, le mépris de Maxime pour son père, sa condescendance quant à son statut social. Elle se rappela le ton léger d’Alexandre qui ne la considérait pas plus qu’un vulgaire amusement. Elle renforça ses souvenirs de toutes les fois où Maxime l’avait ignorée, rabaissée. Elle sentit son cœur battre plus vite, mais aussi plus fort, c’est alors qu’un sentiment de puissance s’empara d’elle, comme une force qu’elle n’avait pas avant.

Elle ouvrit les yeux, Maxime se releva aussitôt, inquiet comme prêt à en venir aux mains.

— Et maintenant ? demanda Océane d’une voix doucereuse.

— Est-ce que tu te sens différente ? Est-ce que tu ressens le dragon en toi ?

Pas d’intrus en elle. Océane se sentait entière et prête à le mettre en pièce.

Elle se redressa à son tour, les yeux rivés sur sa proie, ses muscles se tendirent, prêts à se déchaîner. Elle envisagea d’abord de planter ses ongles dans son visage afin de déchirer ses traits, effacer ce sourire narquois, cet air condescendant à jamais !

Elle avança d’un pas, il recula tout autant, le regard aux aguets.

— Océane, parle-moi ! Est-ce que ça va ?

Il semblait crispé, les muscles tendus. Elle vit sa pomme d’Adam bouger lorsqu’il avala sa salive. Un frisson la parcourut aussitôt, le goût ferreux du sang déjà sur ses lèvres à l’idée d’enfoncer ses crocs dans sa gorge. Océane traversa le mètre qui les séparait en une fraction de seconde tout en agrippant brutalement son t-shirt. À sa surprise, il ne la repoussa pas, se contentant de la tenir par les bras, ce qui lui évita de justesse d’être mordu.

Elle l’entendit vaguement parler, mais ne l’écouta pas ; elle était fascinée par les battements rapides de son cœur, l’odeur salée de sa peau et surtout sa faiblesse. Il ne la retenait que parce qu’il avait eu un réflexe qu’elle n’avait pas anticipé, mais il n’était pas de taille contre elle. Déterminée à le lui montrer et à le faire taire pour bon, elle s’extirpa de son emprise en écartant les bras et le frappa d’un coup violent dans la poitrine, le repoussant de plusieurs mètres, son recul seulement stoppé par le tronc contre lequel il s’écrasa.

L’odeur du sang caressa ses narines, excitant sa colère.

Elle l’entendit vaguement marmonner tandis qu’elle se rapprochait de lui ; elle l’ignora, jusqu’à ce qu’elle entende les mots « sœurs » et « Oma ».

La raison la rattrapa et la stoppa net à deux mètres de sa victime. Elle ne gagnerait rien à le tuer si ce n’est de gros ennuis et la perte de la garde de ses sœurs. Néanmoins, sa colère ne diminuait pas, elle avait besoin d’être déversée, déchaînée. Désespérée, Océane décida de couvrir sa rage avec de la souffrance et profita de ce moment de clairvoyance pour se frapper le mollet blessé avec force.

Elle hurla de douleur et tomba à terre, la vue brouillée, au seuil du malaise. Et malgré cela, la rage continuait de la consumer comme un feu incontrôlable, la maintenant consciente et prête à blesser cruellement la source de cet état. Quelle idiote elle faisait ! Elle n’aurait jamais dû l’écouter, ce crétin ! Si la douleur physique ne suffisait pas, alors elle se plongerait dans la douleur psychologique. Elle ferma les yeux, se mit en boule, serrant fort ses jambes contre son buste.

L’image du cercueil de sa mère apparut aussitôt dans sa tête. Ouvert dans le funérarium, laissant voir ce visage qu’elle aimait tant, figé à jamais. Sa mère qui ne l’embrasserait plus jamais, qui ne lui sourirait plus jamais, qui ne la câlinerait plus jamais. Sa mère qui avait disparu et emporté son père avec elle.

Lentement, mais sûrement, la rage s’étouffa, noyée dans les larmes.

Lorsqu’il ne resta plus aucune trace de violence en elle, Océane se détendit, relâchant ses jambes. Maxime se pencha aussitôt sur elle, lorsqu’il croisa son regard, il sembla rassuré et l’aida à se rasseoir.

Océane était vidée de toute énergie et sa jambe… l’enfer entier semblait brûler sous son bandage, ce dernier était écarlate de son sang.

— Océane, est-ce que ça va ? Ta jambe, merde c’est pas beau à voir… J’aurais préféré que tu continues de t’en prendre à moi plutôt que tu te blesses davantage ! Je pouvais encaisser !

Océane eut un petit rire, s’il avait su ! La douleur la ravageait, pourtant elle était convaincue d’avoir fait le bon choix. Elle savait qu’il avait une bonne condition physique et qu’il pratiquait les arts martiaux, mais l’aisance avec laquelle elle l’avait repoussé…c’était juste effrayant. Elle n’avait aucun doute sur sa capacité à l’emporter sur lui et à le blesser. Enfin, une partie d’elle regrettait quand même un peu de ne pas lui en avoir collé une ou deux…

— Tes yeux, c’était fou, j’avais jamais vu ça ! Tes iris étaient jaunes et couvraient toute la surface de tes yeux ! En tout cas, je suis impressionné de ton contrôle, tu as une sacrée force mentale !

Son discours et son admiration paraissaient sincères, mais à cet instant, elle s’en fichait. Elle avait juste horriblement mal et terriblement sommeil.

— Est-ce que tu peux me ramener à ma tente ? Je suis épuisée…

Lui demander de l’aide, à lui, la répugnait, mais dans son état, elle était incapable de se déplacer seule.

— Bien sûr, acquiesça-t-il.

Elle s’attendait à ce qu’il l’aide à marcher, au lieu de cela, il la prit directement dans ses bras, sans laisser transparaître le moindre effort et marcha calmement jusqu’à la tente qu’elle partageait avec son amie.

Trop fatiguée pour protester, Océane toléra son aide, elle laissa même sa tête retomber sur l’épaule de son porteur.

— Comment est ton dragon ? demanda-t-il doucement en se glissant dans la tente. Hum… C’est lequel ton lit ?

— C’est celui avec l’oreiller rouge. Mon dragon ? Il n'est pas content, mais il fera ce que je lui dis.

C’était un mensonge, un mensonge nécessaire. Elle ne ressentait aucune créature furieuse au fond d’elle, juste sa propre puissance calme et endormie ; elle refusait de se laisser à nouveau porter par la rage. Et surtout, elle commençait à faire un lien avec une autre légende, un lien troublant.

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