7. En manque de toi
Carly
La chambre doit occuper la moitié du toit de la maison ! Un grand salon me fait face, équipé d’un canapé d’angle, et deux fauteuils. Derrière, un lit comme je n’en ai jamais vu s’étale devant une baie vitrée de la longueur du bâtiment.
J’avance au centre de la pièce et découvre un bar en forme de coude, tout comme le bureau qui lui fait face, devant les panneaux en verre.
Lukas désigne un volet roulant, contre le mur opposé.
— Le dressing est ici, m’informe-t-il en appuyant sur un bouton. Tu peux y déposer ta valise.
Le rideau de métal s’enroule sur lui-même, silencieux.
Choquée par autant de luxe, je suis incapable de parler. À quoi ça sert de réunir dans une chambre, en plus du lit, un bar, un salon et un bureau ? Ces lieux existent déjà au rez-de-chaussée. Et ce cuir clouté sur les meubles, le bois finement sculpté, la qualité des tissus, la porcelaine des objets de décoration, le cristal… l’ensemble m’oppresse, me donne cette impression d’étouffer, comme lorsqu’on abuse d’un bon repas et une vague de chaleur déferle dans tout mon corps.
Comme si ce trop plein ne suffisait pas, la quantité de vêtements et de chaussures, tous sous d’épaisses housses ou boites joliment décorées, me laisse pantoise.
— Tu as ramené tous tes vêtements du casino ? demandé-je, de plus en plus perplexe.
Lukas rit, me libère une place entre ses chemises, puis il me décharge de mon bagage dont je serre toujours la poignée.
— Non, juste quelques uns. Je te laisse t’installer.
— Combien de temps resterons-nous à Lyslodge ? m’informé-je.
— Aujourd’hui, puis demain. Mardi, nous partirons pour Las Vegas.
Sans la vider, je décide de glisser la malle, encombrante, sous l’unique espace vide que je trouve, en-dessous des smokings.
Ma trousse de toilette et mon maillot de bain en main, je retrouve Lukas dans l’appartement. Car je suis désolée, mais nous ne sommes pas dans une simple chambre.
Il m’attend devant le bar et me propose un verre. Je refuse, la Pina Colada en plein après-midi est largement suffisante. Il s’approche et me débarrasse avant de me prendre dans ses bras. Je reconnais des mélodies contemporaines en version instrumentale, où domine le piano. Je me laisse entrainer par mon cavalier sur une reprise de Tainted Love du groupe Soft Cell.
Nous dansons un rock très doux durant toute la chanson, puis Lukas me retient contre lui et m’embrasse. La caresse de sa langue est si tendre. Je soupire d’aise et effleure sa nuque du bout des doigts tandis que ses bras se croisent dans mon dos et m’enferment dans cette étreinte. Les doux baisers qui chauffent ma joue avant de descendre le long de mon cou me procurent d’irrésistibles frissons. Ses mains me libèrent et sous mes fesses, elles m’aident à soulever mes jambes qui s’enroulent autour de sa taille de manière automatique. Lukas gémit au-dessus de ma poitrine. Je me redresse et respire à plein poumon, gonflant et offrant mon corps à ses lèvres qui se dirigent avec précipitation entre mes seins.
Son attention se porte subitement ailleurs. L’espace de quelques secondes, sa bouche se fait moins gourmande et il jette de furtifs coups d’œil par-dessus mon épaule. Je sens, je vois que nous traversons la pièce.
L’arrière de mes cuisses rencontre soudain un meuble frais, avant que mon postérieur ne s’y pose. Des objets lourds et d’autres plus légers tombent au sol quand mon Lou exécute un grand geste du bras. Le bureau. Je me souviens qu’il fait face aux baies vitrées. J’espère qu’aucune maison n’a vue sur cette chambre. En fait je m’en fous. Les seules choses qui importent, là, tout de suite, ce sont les sensations que seul Lukas sait me procurer. Justement, il a relevé mon tee-shirt, levé mon soutien-gorge et chatouille ma peau de son souffle, tandis que ses ongles agacent mes tétons.
J’ai envie de lui depuis qu’il a quitté la Guadeloupe. Nos soirées passées à discuter longuement devant nos écrans ne remplacent pas la proximité. Quand je cherchais à toucher son visage, je ne rencontrais qu’une vitre froide. J’en ai passé des nuits à rêver de son sourire, du regard qu’il pose sur moi lors de nos ébats, de ses mains enflammant chaque parcelle de mon corps. Aujourd’hui, chaque frôlement a suscité mon désir et ce qu’il me fait exacerbe plus encore tous mes sens en alerte. Je ne veux plus attendre.
Mon pantalon le gène. Ses doigts s’agrippent à la ceinture et tirent vers le bas.
— Enlève-le, murmuré-je, la voix trépidante. Ton jean aussi.
Il ne se fait prier. Le bouton saute, je perçois le son de la fermeture qui descend et le tissu glisse sur mes jambes. Je me redresse tandis que mon partenaire laisse tomber le vêtement derrière lui et se rapproche.
Il me rallonge doucement, puis se penche à nouveau au-dessus de moi. Sa langue reprend son chemin au départ de ma poitrine, puis embrase à nouveau chaque centimètre de ma peau quand elle se dirige jusqu’à mon bas-ventre. Sa bouche prend le relais, ses doigts se faufilent sous ma culotte et trouvent mes lèvres gonflées. Ils m’effleurent, Lukas grogne de plaisir, ou soulagement, ou peu importe, il grogne encore.
— Viens, articulé-je entre deux inspirations.
— Déballe-ça, répond-il d’un ton rauque en me tendant un carré en aluminium.
Il en profite pour enlever son jean. Redressée, j’embrasse ma perfection tandis que je prends mon temps quand je caresse son membre dressé pour moi, avant d’y dérouler le préservatif.
Les mains sur mes hanches, il me rapproche du bord du meuble et commence à s’infiltrer en moi, juste au bord. Je sens les palpitations effrénées de son cœur sous mes paumes. J’en veux plus. Lui aussi, de toute évidence. Il m’invite à me rallonger et à lever mon bassin juste ce qu’il faut pour me mettre à sa hauteur. Ses ongles glissent jusqu’à mes chevilles et il dirige mes talons vers le plateau du bureau. Je cherche à relever le haut de mon corps. Mission impossible. Je voudrais m’accrocher à lui, mais j’abandonne, mes muscles se contractent déjà. Je pince son téton, et provoque un mouvement plus profond de mon amant. Il ne quitte pas mon visage du regard. Le mien épie chaque pli de ses paupières, chaque froncement de sourcils, chaque étirement de ses lèvres. Je m’agrippe à ses bras, puis recouvre mon sein avec sa main. De l’autre, il joue dans l’espace humide et restreint entre nous, exacerbe les sensations.
Les papillons envahissent mon corps. Ils sont trop nombreux, je ne vais pas pouvoir les retenir.
— Non, non, non, haleté-je, en vain puisqu’ils me paralysent déjà.
Totalement abandonnée, je parviens à gémir d’une voix faible :
— Lukas.
— Ne lutte pas, me conseille-t-il, haletant.
La puissance des sensations m’oblige à me cambrer et alors que j’inspire profondément, mon Apollon me glisse ces mots :
— Tu es encore plus belle quand tu jouis.
Ses paroles provoquent l’effondrement de mes dernières résistances. Les mouvements du bassin de mon amant se font de plus en plus frénétiques. Mes muscles se tordent et libèrent de nouveaux spasmes de plaisir tandis que mon cœur explose en milliers de morceaux que j’évacue dans de courtes lamentations.
Les yeux à moitiés fermés, je distingue toujours cet homme qui m’enivre. Ma langue qui caresse lentement mes lèvres le fascine. Je veux le regarder, jusqu’au bout. Plus droit qu’un I, la tête rejetée en arrière, il s’essouffle. Sa respiration est forte, rapide, puis très vite, il grimace et se laisse aller, me charmant de ses plaintes langoureuses.
Il se laisse tomber près de moi, le temps de reprendre son souffle. La tête callée par mon épaule, il ronronne contre mon cou, tandis que je dessine doucement le bord de son visage.
— Tu as aimé ? s’assure-t-il avec tendresse.
— Oh oui ! Tu m’as manqué, tu sais. J’aurais été heureuse que tu restes plus longtemps avec nous, en Guadeloupe. Ou que tu reviennes.
— Rien ne m’aurait fait plus plaisir, me rappelle-t-il en se redressant.
— Tes obligations, je n’ai pas oublié. En tout cas, je suis là. La prochaine fois, ce sera à toi de te déplacer.
Je souris et appuie ma déclaration de mon doigt sur le bout de son nez, puis il m’aide à me relever en laissant échapper un éclat de rire.
— C’est donc ainsi que nous allons fonctionner ? s’amuse-t-il toujours.
Déconcentrée par ma quasi nudité, mes vêtements ramassés à la main, je récupère mon maillot de bain et attend qu’il m’indique la salle de bain. Mais Monsieur semble apprécier ce qu’il voit et plus enclin à continuer de se rincer l’œil. Il se rapproche finalement et me prend affectueusement dans ses bras.
— Quelques mois chez toi, les autres ici ? C’est une excellente idée, murmure-t-il en nous berçant sur l’air de Heavens de Twenty-One-Pilots. J’ai hâte d’y être.
— Ah ?
Ce n’est pas tout à fait ce que je voulais dire. Je parlais juste de quelques jours de vacances en Guadeloupe ou à Las Vegas, pas d’une installation de plusieurs mois. Comment lui dire sans qu’il n’en souffre que mes enfants ne peuvent pas fréquenter un établissement scolaire pendant six mois, puis un autre, dans un pays étranger qui plus est, le reste de l’année ?
— On commence quand ? poursuit-il, vraiment emballé par la proposition.
— Heu…
Comme je voudrais répondre « maintenant » ! Un sentiment de frustration m’oppresse et je me force à sourire quand je me dégage doucement en réclamant les sanitaires.
Des tons blancs, ivoires, gris clair et dorés, avec un soupçon de rose recouvrent chaque espace de la pièce. Mes pieds foulent un carrelage dans lequel je vois mon reflet tant les dalles sont brillantes. Du marbre — encore ! — supporte deux vasques en forme de coquille Saint Jacques et la faïence blanche paraît neuve, sans aucune trace de calcaire. Le miroir est immense, éclairé par des spots installés au-dessus de chaque lavabo ou par une vitre aussi large que la pièce, et surmontée d’un store replié. À quoi peuvent bien ressembler les salles de bains du casino ?
J’examine les flacons parsemés autour des coquillages en porcelaine. Démaquillant, savon doux pour le visage, différentes crèmes de la marque Dior, — mon Dieu, je préfère ne pas connaitre le prix d’un pot, je n’oserais même pas la déballer ! — et je reconnais la boite violette de mon eau de toilette, Insolence. Je découvre dans un tiroir une brosse à cheveux dont les poils souples doivent caresser la coiffure. Le dos de l’instrument, recouvert d’un épais et soyeux tissu fleuri est sertie de… pierres éblouissantes sur tout le bord. Lukas me pense-t-il capable d’oublier ma trousse de toilette ? À moins que tous ces articles n’attendent ici les conquêtes que le propriétaire a pour habitude de ramener. Pourtant, le flacon aux effluves de violettes m’a l’air neuf. À quelques centimètres, un nécessaire pour les dents a également été placé là.
Près de l’autre vasque, la coupe de Invictus trône et brille sous les rayons du soleil qui se reflètent dans la glace. Rien d’autre. Le reste doit être rangé dans le placard, en dessous. Du linge de toilette a également été mis à notre disposition. Rien qu’à regarder l’éponge blanche, j’imagine déjà sa douceur sur ma peau.
Lukas. J’ai tellement peur de le blesser, surtout après tous les efforts qu’il a fait pour me convaincre de sa sincérité. Pourtant, il va nous falloir trouver une solution. Nous ne pourrons pas continuer à nous voir ainsi, une fois de temps en temps ou à se parler derrière des écrans. Pas plus qu’il ne nous sera possible de nous partager entre nos deux pays. Ce type de relation ne serait sain pour personne. En tout cas, ce n’est pas ce à quoi j’aspire. Et j’ai bien l’impression que mon prince charmant souhaite la même chose que moi. Pour l’instant, il m’attend, et il est déjà trop tard pour avoir cette conversation. J’aurais dû répondre sur le coup, quitte à rompre le charme.
Les enfants et nos amis se demandent sûrement ce que nous fabriquons. Ou pas. Peu importe, il est temps d’aller les retrouver.
Lukas porte un bermuda en jean et un polo blanc quand je le rejoins dans la chambre, l’appartement ? Ah non, la suite ! J’enfile rapidement une robe de plage et nous quittons ses quartiers, main dans la main.
— Ma chérie ! Comment vas-tu ? À quand remonte ta dernière visite à Lyslodge ?
Angie. Sa voix nous arrête à la moitié de l’escalier tandis qu’elle accueille quelqu’un, dans le hall. Surprise, j’interroge mon milliardaire du regard. Il tend l’oreille, le visage fermé.
Un bruit de bises nous parvient, puis une voix féminine que je ne reconnais pas :
— Mais ma chérie, il faudrait que Lukas et toi veniez plus souvent ici pour que je puisse avoir ce plaisir.
— Oh non, murmure Lukas, sourcils froncés.
Ses paupières se ferment un court instant. Il soupire, puis affiche un visage aimable avant de m’inviter à poursuivre notre descente. Aux enfers ? Mon estomac se contracte déjà.
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