Le Culte du Puîné des Larmes

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La naissance du Culte du Puîné des Larmes remonte à seize ans en arrière seulement.

Ce qui allait devenir une religion majeure avait vu ses prémices naître dans les profondeurs d’une soute d'un navire de transport sulessien.

Plein à craquer d’esclaves originaires de toutes les contrées du nord et d’au-delà de la mer Briannée, là, alors que chaque prière adressée à un dieu différent se mêlait dans un même murmure, le Puîné se manifesta et choisit son premier prophète.

Un vieillard dont le nom était inconnu de tous, passé à tabac et aux portes de la mort. C’est ici, le corps couvert d’ecchymoses et l’esprit empreint de désespoir, qu’il transmit les paroles du Puîné des Larmes : une jeune fille apparaîtrait bientôt dans un endroit similaire à celui-ci. Elle serait son élu, et porterait en son corps la douleur d’un millénaire, pour que mille années viennent et rayonnent sur le monde.

Apparut plus tard la jeune fille. Une enfant, élevée dans la crasse puis vendue par les siens. Ceux qui lui avaient tout refusé, jusqu’à un nom. Souillée par les gardiens, et par d’autres esclaves, toute lueur s’était éteinte en elle jusqu’à ce qu’il lui apparaisse. Jusqu’à ce que son sort soit élevé par les larmes du Puîné.

Lorsqu’elle se releva, elle tenait alors entre ses mains un pouvoir désiré de tous, bien plus grand que celui que toute autre divinité avait pu accorder jusque-là : celui de la vie éternelle.

Elle n’eut plus à craindre ni le froid, ni la faim, ni les flammes, ni la maladie… Figée dans sa douleur, elle était devenue immuable au travers de celle-ci.

Les marchands d’esclaves, si horrifiés par son sort et le spectacle qu’elle offrait, sombrèrent dans la folie ou le désespoir. Les esclaves, eux, trouvaient dans son martyr une force nouvelle et une inspiration démesurée. Ils reniaient leurs églises et leurs dieux et se massaient en congrégation autour de la figure déformée par la douleur de leur prophète.

Cette fascination s’étendit rapidement hors des rangs des esclaves et déborda sur ceux de la plèbe de toutes les nations. Bien vite, aux quatre coins du monde connu, au sein des communautés paysannes, des corporations d’artisans ou des sociétés ouvrières, on bâtit des temples de pierres, des hôtels de bois et d’acier, des effigies sculptées de plomb. Son existence se chuchotait partout mais elle n’était jamais évoquée à voix haute devant les seigneurs, les bourgeois et les clercs.

Un évènement qui propulsa le Culte du Puîné plus avant encore fut celui de la traversée de Beauzelles. L’élue qui était abritée dans les profondeurs d’un bois environnant la ville se leva un jour, alors même que ses membres frêles avaient été jugés incapables de supporter le poids de son maigre corps. Entourée de ses fidèles, elle traversa champs et prairies jusqu’à atteindre la ville. Là, continuant sa route en allant toujours tout droit, d’un pas lent et tremblant, elle parcourut la ville de l’entrée nord jusqu’à celle du sud.

Sur son chemin, chacun tombait à genoux empreint d’admiration et d’un zèle enfiévré de dévotion. Presque tous désiraient lui porter secours sans pour autant oser la toucher.

Pour ceux qui ignoraient l’élue, qui était habité de mépris envers elle, ceux-là subirent le châtiment du Puîné. La folie envahit leur esprit avec une telle force que dans leur agitation ils disloquaient leurs propres membres et se pressaient afin de mettre fin à leur existence.

On dit que l’élue avait partagé avec eux une once de sa douleur.

L’évènement fit grand bruit et les seigneurs, sachant qu’aucun de leur race n’avait été épargné par les afflictions lors de la traversée de Beauzelles, se mirent en quête de faire disparaître le culte. Prenant les armes et s’entourant de leur gens les plus féroces, ils multiplièrent massacres et tortures en quêtes d’informations sur l’élu. Mais tous leurs efforts se montrèrent vains ; la jeune fille avait disparu et nul ne put leur dire dans quelle direction elle était partie. Aussi, leurs cruelles exactions firent naître en réponse des groupes armées. Agitant des bannières blanches tâchées de pourpre, ils se firent connaître sous le nom des « Interdits ». Ils étaient les défenseurs des fidèles du culte, le bras armé de leur revanche et les gardiens des secrets touchant à l’élu.

Aujourd’hui, alors que notre terre est ravagée par ce conflit qui oppose les seigneurs aux miséreux, les religions aînées à leur culte cadet, tous craignent ou espèrent son retour en contemplant les souffrances du millénaire et en priant pour un meilleur avenir.

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