3. Souvenirs
Il est 18h passé. j'ai finis d'observer la nuit tomber. Le temps passe bien trop lentement depuis que les jours diminuent. Je descends prendre quelque chose à grignoter et me dirige vers la véranda. Ma mère et moi discutons un peu jusqu’à ce que nous entendons la porte de la cour claquer, signe que mon père rentre du travail. Je le vois dans le pan de la porte, son badge se balançant autour de sa barbe et ses yeux coulant de ses lunettes. Comme à chaque fois, il pousse la porte en soupirant puis s’avance vers ma mère pour l’embrasser. Je peux dire que mes parents sont un modèle pour moi. Un modèle de couple je veux dire. Car de toute évidence ils s’aiment toujours et pourtant, les obstacles n’ont pas manqué sur leur chemins. Ma mère a rencontré mon père lorsque elle était lycéenne. Je n’ai pas beaucoup d’informations sur leurs débuts, sans doute qu’ils ont choisis de garder cela dans leur intimité. Tout ce que je sais, c’est que d’après ma mère ça a été le coup de foudre. Le vrai. Puis elle est resté son amie, longtemps, jusqu’à ce que mon père se sépare de sa copine de l’époque et que son attente soit récompensée. Cette période n’a pas duré longtemps puisque à l’âge de dix neuf ans et en pleine année de terminale, ma mère est tombé enceinte. Elle se plait à dire qu’elle avait des neurones en plus. Et moi, je peux dire que j’ai passé deux fois le bac dont une fois dans le ventre de ma mère.
Je me suis longtemps demandé si j’été voulu, la réponse était évidente et c’était la bonne, mais ma mère a dit qu’une fois enceinte j’étais très attendu. Le moment où elle a révélé la nouvelle à ma grand-mère est définitivement gravé dans la mémoire familiale. J’ai ainsi grandi dans ce foyer d’étudiants, entourés de leurs amis. Ma mère allait à la faculté de Rennes pendant que nous habitions Tours et mon père devait travailler à Besançon. Pour trouver du travail, il a fallu nous faire déménager de nombreuses fois.
En tout j’ai déménagé sept fois. A chaque fois il fallait tourner la page, repartir de zéro. Se réfugier dans les cabanes de cartons. C’était les pages d’un livre, de mon livre, que je tournais. A chaque fois, je me suis senti comme un personnage arraché à sa feuille de papier. Déménager, c’était comme passer d’une intrigue à une autre et cela me pendait au dessus de me tête comme un deus ex machina, un dernier rebondissement à mes aventures que je me refusais à voir. On changeait les décors et les personnages. On abandonne une histoire dont on ne connaîtra jamais la fin pour en intégrer une nouvelle dont on ne connait pas le début. On a le sentiment d’être l’un de ses personnages secondaires, on devient « le nouveau ». Cet étiquettes m’a collé à la peau une bonne partie de mon enfance. C’est ainsi qu’en CM2, un élève a crée une pétition pour que je « retourne d’où je viens ». j’ai vu la feuille passer de main en mains dans la cour de récréation, le stylo avec un frou-frou rose de doigts en doigts, jusqu’à cet élève qui ne me connaissant pas, me propose de signer la pétition. Mal à l’aise et ne sachant pas comment réagir, je l’ai signé.
Avoir déménager, plus que m’avoir fait tourner des pages, a été un autodafé de mon enfance. En effet, la plupart des personnes, lorsque elles passent en voiture devant leur école, entendent le cri des enfants et se remémorent le temps passé dans la cour de récréation, se revoit derrière ses grilles et sentent l’odeur des arbres qui la borde. Pour ma part, je ne suis jamais revenu sur les lieux de mon enfance. Je les ai effacé. Je ne me souviens de rien, ni les noms de mes professeurs ni même celui de mes amis. Les seul éléments que j’ai sont les souvenirs artificiels des albums photos. Un de mes seul souvenirs est que nous prenions les fils des sacs poubelles de l’école puis les accrochions à des bout de bois pour nous faire des baguettes magiques. C’est mon souvenir le plus prégnant.
Sans doute que ces nombreux déménagements m’ont perturbés. J’étais un enfant perturbé. J’ai fait mes nuits à seulement quatre ans et jusqu’à bien plus tard je piquais des colères noires, criant et me cognant la tête contre le sol. Il fallait me prévenir quatre jours avant de faire les courses. La nourrice s’était même demandé si je n’avais pas « un problème ». Heureusement, il y avait de la stabilité dans ce milieu mouvant, ces points de chute que constituaient les maisons de mes grands parents. Du coté de mon père, ils vivent dans une vieille bâtisse de huit-cent ans qu’ils ont mis une quinzaine d’année à rénover. L’intérieur sent la pierre des églises et la cendre humide. Il y a une tour dans laquelle je me suis longtemps imaginé être un chevalier, décrochant parfois du mur un sabre ou un mousquet. Du coté de ma mère, je me souviens des jeux avec mon grand père et de ma grand-mère qui me sourit à la fenêtre. Je me souviens de nos châteaux de sables, de nos chasses aux escargots. Qu’on les alignait sur une planche et en choisissait un pour faire la course. Je me souviens que l’on se prenait en photo et que je l’appelais papyrazzi. Je me souviens des soirs où l’on installait un décor que l’on avait peint l’après midi et que le soir, on produisait un spectacle de marionnettes.
La ville dont je me souviens le plus est Nancy. Avec maman, après l’école, j’allais au parc près de la place Stanislas. J’y faisais toujours un tour de manège et tentais d’attraper le pompon. J’y allais tellement que chez nous sur le buffet, on retrouvait la pile de tickets acheté à l’avance. Je me souviens des lourdes et noires grilles à l’entrée du parc, des fontaines qui gelaient en hiver. Je me souviens d’une glace au citron sur la pelouse et de mes pieds nus sur lesquelles courraient quelque fourmis. A Nancy, je me souviens aussi ce moment où l’ont m’a dit que « maman était malade » et que « papa travaillait » et que je devait aller vivre chez mes grands-parents, où je devais intégrer une nouvelle école. Je me souviens avoir eu le sentiment qu’on ne me disait pas tout. Je me souviens être allé chez la psy pour la première fois et avoir rempli une feuille de dessin de papa. Je me souviens avoir pleurer dans les bras de ma grand-mère lui demandant si ma mère allait bien et avoir entendu sa réponse « ça va aller, ça va passer ».
« ça va aller pour elle, ça va passer » je l’ai entendu bien plus tard cette phrase, à mes douze ans. C’était dans la voiture de papa. Je m’étais bien rendu compte que quelque chose n’allait pas avec maman. Quelque chose ne tournait pas rond. Papa était désemparé. Je savais ce qu’il se passait mais je ne le comprenais pas. Je le pressentais sans avoir les mots. Mon père me l’a enfin dit. Il m’a tout expliqué, Il me l’a révélé.
Puis il a quitté la route des yeux pour se tourner vers moi, et s’adressant à moi comme à un adulte. C’était bien, la première fois que l’on me parlait comme à un adulte, bien avant que les coiffeuses me disent monsieur.
- On va emmener maman à l’hôpital, elle va y rester un petit bout de temps. Tu es d’accord ? Tu en penses quoi ? Ne t’inquiètes pas, ça va aller pour elle, ça va passer.
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