18 - Le fleuve de bitume
Il faut que je meure
Le dieu absurde que je suis devenu est évidemment dangereux pour moi et pour les autres. Mais je suis resté honnête et fidèle à la bible que je me suis écrite. Je reste fidèle à mon anti-philosophie. Plutôt que de jubiler jusqu’à l’exaltation de mort, je décide de retourner vers l’Homme comme j’ai écrit que les hommes devait retourner à la nature. Je veux me noyer dans les bras de mes parents. Rester parmi eux et devenir aussi lourd et inerte qu'un sac de sable.
Je descends les voir, mes parents, et il reçoivent mes yeux bordés des larmes que je ne peux plus contenir. J’explose de mon sanglot divin et me déverse de mes océans dans le salon. Mes deux parents les recueillent du creux de leur mains. Ma mère me retient dans ses bras comme une pietà, carressant mes mèches de cheveux pour dégager mon front. Je me sens mort. Je sens que bientôt elle passera sa main pour fermer mes paupières. Nous restons là longtemps sur le canapé, sous la véranda qui crépite comme un feu d’une légère bruine. J’ai terriblement peur, j’ai peur de ce que pense, de cette toute puissance, cette fusée qui ne peut qu’exploser au démarrage. J’ai peur de cette folie dont j’ai fait le méticuleux rapport, chaque soir. J’ai l’envie de m’arracher la tête pour qu’enfin cette pensée cesse.
— Tu veux qu’on t’emmène à l’hôpital ? Me glisse ma mère
— Non... Je veux pas y aller.
— Tu veux que je prenne la décision pour toi ? Demande mon père.
— Oui, s’il te plait.
Il faut que je meure
Alors, je me délaisse de toute responsabilités et mes parents quittent la véranda pour rassembler quelques affaires. Je sens tout le poids du monde quitter mes épaules. Atlas le laisse ainsi tomber le monde dans cette pente infernale. j'angoisse. Je ne sais pas qui prendra la rélève. je plains le prochain qui sera touché par la grâce. J'observe mes parent s'apprêter à cheminer vers mes enfers. Je me lève du canapé, marche en titubant pour me tenir contre la porte, il n’y a plus que ça à faire. Attendre. les jambes tremblantes. De froid. De peur. Je me prépare à jeter mon être dans mon enfer de folie. Je vais plonger dans ce qui me fait peur. J’ai peur de l’enfer. Territoire inconnu pour un Dieu. Dans mon enfer, les murs sont blanc et je suis malade. J’ai plongé avec mon absurdité dans le cabinet du médecin, maintenant c’est un ennemi d’une toute autre taille que je m'apprète à affronter. je vais plonger dans ce blanc laiteux des hopitaux, ce blanc de pus. C’est bien là l’ultime combat que puisse mener de ma révolte. J'aurai raison de cet endroit. Ma raison triomphera dans l'asile des fous.
Je pleure encore quand la voisine arrive pour garder mes frères sœurs. Je pleure d’autant plus que durant tout ce temps, je n’ai fait que les oublier, mes frères et sœurs. La voisine apparait derrière la porte vitrée et lorsque elle la pousse et qu’elle voit mon visage gonflé de rouge larme, elle me dit « ça va aller, ça va passer ».
Il faut que je meure
Mes parents finissent de remplir mon sac et se préparent à sortir. Je me retourne comme pour dire au revoir à ce monde absurde mais indéniablement beau où ma puissance s'est déployée. Mon regard et un doigt se posent sur une touche de mon piano duquel surgit à mes oreilles toute une symphonie. J’entends au travers les chuchotement de mes parents, notamment mon père qui dit vouloir appeler l’école, sans doute pour les prévenir pour mon partiel de demain matin.
— Demain matin je ferai mon partiel ! j'en suis capable ! Et dites leur que je les emmerde ! J’emmerde ce monde absurde et j’emmerde Sciences Po. J’emmerde la littérature, j’emmerde Nietzsche et j’emmerde Camus et son Sisyphe ce bouseux de merde. Merde !
Il faut que je meure
Je suis déposé à l’arrière de la voiture comme on dépose un cercueil dans un corbillard. Mais je veux sortir de cette boite, sortir de toute ces boites. J'ai envie de partir, m'enfuir serait le mot. sortir, chercher ma transcendance. Je sais désormais qu'elle est ma transcendance.
je le répète, Il faut que je meure
Je n’ai que ces mots en tête. Il n’y a qu’un moyen pour que cela s’arrête. Il me suffirait d’enclencher la poignée, pousser la porte, courir. Courir au delà de tout problème. Courir vers la nature, et m'y jeter, me fondre en elle. sauter. Je ne sais de combien de mètres. je tomberai comme se décrochent les feuilles mortes d'un coup de vent. j'atterirais sur un simple coin de verdure, lequel suffirait à mon éternel repos. J'y déposerais ma joue. Je planterais mes doigts dans la terre, me nourrirait des nutriments et le sol se nourrirait de moi, et je sucerais sur son duvet vert la rosée déjà tombée. Si j’ouvre la portière, je pense qu'on me rattraperait, mon père, peut être la police. et la finalité serait la même. Alors je ne me m’enfuis pas, j'ai lâché la portière pour accepter ma sentence.
Ma tête vibre de sa révolte tandis que je regarde les lumières des phares danser dans la nuit. Ma tête se redresse difficilement et coule devant moi l’autoroute. Elle serpente comme une rivière et je sais qu’elle va bientôt me jeter dans mon enfer de folie. Sur ses berges, les fenêtres des maisons m’agressent comme une centaine de regards. Les arbres me griffent de leurs doigts. Des croches de corbeaux se posent sur les lignes à hautes-tension dont les pilonnes électriques jouent la partitions de mort. Ma mère se retourne avec un faux sourire qui ne fait pas plisser ses yeux tandis que nous naviguons sur le fleuve de bitume. Mon père lui, mène la barque. Il appuie sur un bouton. De la musique classique parvient de la radio pour m’apaiser, mais j’en n’en ai plus besoin, je suis concentré. Je vois au travers de la vitre ces arbres qui défilent, vampirisés par les boules de gui qui bravent l’hiver. je me sens moi aussi vampirisé, par quoi, je ne sais pas. Mais mon corps est malade. Je vais le purger de toutes ses souffrances et ma pensée de toutes ses peurs. Je vais purger ma peine. Là bas, je trouverai ma finitude, quelqu'un là bas me ramènera à ce qu'il y a de terrestre. Je serai contenu, comme un mauvais génie prisonier de sa lampe qui ne cherche qu'a se déployer. je serai cuisiné dans une cocotte minute qu'on ouvrirait jamais. J’irai dans le tartare de ceux qui refuse le sommeil et qui on voulu trop vivre l'exaltation. Là bas, je ne serai ni fouetté ni brulé par les flammes de l’enfer. On m’enfoncera un entonnoir dans la bouche pour me faire avaler les pilules de mort et de sommeil. C’est la mort le sommeil.
Nous arrivons aux urgence psychiatriques. Avant de sortir de la voiture je glisse mon portable entre deux sièges. Je glisse mon livre entre ces deux sièges. Je ne le glisse pas, je l’arrache de ma main. C’est douloureux mais c’est important. Ils ne pourront pas me le prendre et en plus, je ne pourrai plus écrire. Je dois arrêter d’écrire. Au moins pour l’instant. Il ne faut pas qu’ils te voient mon livre, ma monstruosité, il te détruirait, ils nous détruirais. Mes parents t’apporteront lorsque je serai prêt.
Après être passés par l’accueil, nous sommes invités vers dans la salle d’attente. Elle est laide, avec son bleu blafard. Je me dis que la moindre des choses pour un hôpital pour la pensée serait d’être un peu plus accueillant. Dans cette anti-chambre gronde une révolte qui me fait sentir vivant. Ah, douce révolte. Je regarde un téléviseur accroché au mur qui crache ses infos en continues. Je me sens alors profondément anarchiste. J’en veux à cette société pour avoir oublié l’Homme et son monde, pour m’avoir oublié. J’en veux à ce monde, et prend conscience, devant ce téléviseur que je ne peux rien contre lui. J’emmerde tout. J’emmerde ce libéralisme qui n’a pour moi rien de libérateur et qui ne produit dans tout ce que je vois que l’anomie. Nous attendons longtemps dans cet antichambre des enfers, et commençant à m’impatienter, je vais au distributeur prendre de l’eau et du chocolat. Puis je reste assis la tête recroquevillée sur ma bouteille d’eau. Je sens sa fraicheur sur mon front en ébullition. Je me concentre sur la sensation. Je me souviens de ce que j’ai écrit. Il faut retourner à la mer. Cette bouteille d’eau est ma seule consolation, c’est de la vie au milieu de toute cette mort. C’est comme de la mer en bouche.
Comme le prévoit la procédure, trois psychiatres viennent me chercher et m’accompagnent dans un long couloir de néon. Leur gueules sont cachés par leur muselière couleur bleu âcre ne laisse discerner que leur regards, dont le mouvement des sourcils constitue la seule expression. Les trois têtes de cerbère me tirent sur un lit. La pesée de mon âme souffrante peut commencer.
Je réponds aux questions qu’elles me posent, enfin ça répond aux questions. Car j’ai le sentiment de ne plus posséder ma voix. Je ne me possède plus. Cette voix parle comme mon livre, il a pris le contrôle. Car je suis mon livre. Je n’arrive pas à m’en défaire. Des pages s’échappent de ma bouche comme une cascade de langue. Les questions continuent.
— Comment vous sentez-vous maintenant ?
— Mal, j’ai peur de cet endroit et m’y sent pas bien du tout. Il est laid cet endroit, tout aseptisé. C’est laid. Vous êtes laides. Vous êtes vraiment laide. Ici c’est mon enfer. Lorsque je vous ai suivit dans ce long couloir de néon, je me suis senti comme un chien qu’on va faire piquer.
— Vous auriez envie d’être piqué ?
— Ah, si vous pouviez piquer cette pensée tyrannique, elle ne s’arrête jamais.
Mes parents sont invités à me rejoindre. Je reste allongé tandis qu’eux racontent leurs versions des faits. Bientôt, l’une des psychiatres se tourne vers moi.
— Depuis combien de temps n’avez-vous pas dormi ?
— Je ne sais pas, je me tourne vers mes parents, trois nuits, peut être quatre.
— Vous avez du mal à dormir depuis combien de temps monsieur ?
— Je ne sais plus, je ne reconnais plus les jours. Je ne m’en souviens plus.
Les deux psychiatres derrière celle qui parle griffonnent sur leur carnets. Elle reprend dans un souffle glacial.
— Monsieur, voulez vous être attaché à votre lit cette nuit ?
— Non, je lui répond horrifié, non merci.
— Pourquoi dites vous que cet endroit est votre enfer ?
— Parce que j’en ai peur.
— Vous avez peur de quoi monsieur ?
— Ah oui, ça me revient, j’ai peur d’être bipolaire.
Un homme me conduit quelque part où j’enfile un pyjama bleu. Je vais faire un test covid. Puis, il m’emmène dans ma chambre pour que je défasse mon sac. Je sors mes trois slips et mon carré de chocolat. On m’apporte un document que je dois signer, sans doute pour donner mon consentement pour être interner. Quelques minutes après qu’ils soit sorti, une femme m’apporte un verre d’eau et des cachets. Méfiant je lui demande :
— Est-ce que je vais oublier tout ce qui m’est arrivé ?
— Non, du tout, répond t-elle avec un sourire, on a pas ce pouvoir.
— Est-ce que je vais oublier, je ne veux pas oublier. je veux en faire une histoire.
— Vous n’allez pas oublier.
Je prends les cachets
Je me réveille désorienté, serrant ma bouteille d’eau et mon dernier carré de chocolat. Je l’ai mangé doucement cette tablette, carré par carré. Je me suis réveillé dans un lit bien sûr mais je m’éveille sur le carrelage de la salle de bain des urgences psychiatriques. Je pleure toute mes larmes, comme je n’ai jamais pleuré, recroquevillé contre le lavabo. Je pleure devant la vérité qui s’impose désormais à moi et que cet endroit martèle sur ma tête comme un clou. Je pleurs. Ce sont les les pleurs d’un vivant. Je bois une gorgée et laisse un temps l’eau dans ma bouche en la remuant avec ma langue, puis mange délicatement mon carré de chocolat dans un sanglot. Je le sens fondre sur ma langue. Je me sens fondre. Je me raccroche à ce qui me fait vivre. Je veux vivre. Je reste ainsi longtemps étalé sur le carrelage, à sentir sur mon corps sa froideur. Je ressens de nouveau mon enveloppe charnel. Les moindres grains de ma chair de poule. il ne faut pas que je meurs. Et je pleurs. Une infirmière passe et apparait dans le jour de la porte.
— Je veux voir un psychiatre, amenez moi un psychiatre s’il vous plait.
L’infirmière part d’un pas pressé et je reste encore là les joues mouillées de mon sel. Le médecin arrive, poussant la porte d’un air déterminé. Il me calme et m’allonge sur le lit.
— Qu’y a-t-il monsieur ?
Je m'aggripe à sa blouse pour lui déverser mon flot de parole.
— J’vous aime pas. Parce que je ne veux pas vous voir, j’ai menti à tous le monde, à vos collègues, à mes parents et à moi-même. La vérité est que je n’ai fait que vivre au travers d’un personnage de roman et je n’en suis pas un. Je me suis senti comme Dieu et je sais qu’au fond, Dieu veut sa mort. Dans ce qui m’a semblait être de la lucidité, je peux affirmer que se sentir Dieu est un cauchemar. Dieu est mort car il s’est suicidé après avoir enfanter ce monde de merde. Oui, j’ai pensé au suicide et j’ai pensé un instant avant de venir ici que c’était la seule solution. Je me serais suicidé dans un sourire. Je n’ai fait que faire semblant d’être libre, comme un auteur fait ce qu’il veut de ses êtres de papiers. Mais je ne suis pas de papiers mais bien de chair, de sang et d’os et aujourd’hui je ne vois que peu de chair et mes os sont saillants. Je me suis échappé, ailleurs, c’est tout ce que je peux dire. Tout ce livre est une échappée pour son auteur car je fuis la maladie. Ce livre dans ses fragments constitue le verre avec lequel j’ai scarifié ma pensée. J’appelle à l’aide et me repentis. Pardon. Merci. Je vais faire ce qu’un malade fait, se faire guérir. Je n’vous aime pas. Mais j’ai besoin de vous.
Anamnèse extraite du compte rendu d’hospitalisation :
« patient adressé par son médecin traitant dans un contexte d’insomnie totale depuis au moins 4 jours. A l’entretien : discours logorrhéique passant du coq à l’âne, fuite des idées, discours tangentiel, persévérations, angoisses centrées autour d’une souffrance morale et des questions existentielles ainsi que d’un vide émotionnel. Possible sentiment de déréalisation et de dépersonnalisation, tachypsychie avec idées de grandeur, exaltation de l’humeur »
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